samedi 3 février 2024

Fatigue

 



Le ferrailleur ramasse mes jours sombres

Vieux rebuts qui traînent au fond de ma fatigue

Je n’ai pas la force de sortir de la toile

Bras cassés

Angles désossés

Cubisme buté

Mon corps n’a plus d’histoires

J’écorne une page dans un coin de ma tête

Me rappeler là où s’arrête le cours de la vitalité obligée

Faut-il toujours vivre avec voracité

Remplir des pages

Déplacer des pierres

Chalouper dans le courant des autres

Épingler des minutes

Sur le trophée de notre ego

Qu’on me laisse des dictons de paysan

Pour ferrer mes heures

Dans mes rêveries

Qu’on me laisse monter au coin bleu avec un chat ou un âne

Qu’on me laisse dans ma maison d’hiver

Ou mon jardin d’impressionniste

Qu’on me laisse prendre des mots sous la pluie

Tandis que d’une porte entrebâillée glisse un Nocturne.


3 février 2024

 

 

 


dimanche 28 janvier 2024

Chasse aux sorcières

 

 Au hasard d'une rue (Bruxelles, 2021)

Une date est fixée avec mon éditeur pour une lecture musicale dans le cadre du Printemps des poètes 2024. Lecture que je ferai en binôme avec une poétesse dont j’aime le travail. Je suis heureuse de participer une nouvelle fois à la manifestation du Printemps des poètes et ne prends pas ombrage qu’elle soit sous l’égide de Sylvain Tesson. La pitoyable polémique que nourrissent les réseaux sociaux et quelques médias tient de la véritable chasse aux sorcières, où tout le monde s’autorise à écrire, à ériger en certitudes des approximations et des amalgames, à proscrire un homme sous prétexte qu’il ne pense pas selon une certaine doxa. Loin de moi l’idée de classer les auteurs en écrivains de gauche ou de droite. Certes, il m’arrive de les étiqueter « cathos » ou pas, déformation confessionnelle oblige ! Pour moi, il y a les bons auteurs et les médiocres. Nous sommes tellement envahis par ces derniers qui pondent des bouquins au bagage lexical d’une pauvreté affligeante et réchauffent des poncifs. Dans ma bibliothèque, Sylvain Tesson côtoie Pierre Bergounioux ; j’aime ces auteurs, aux antipodes dans leur manière de vivre et de penser, et j’ai le plus profond respect pour leur intégrité et leur personnalité de citoyen et d’écrivain. Chez moi, Rimbaud et Francis Jammes sont sur la même étagère.

Le danger pour notre civilisation n’est pas seulement le grand méchant loup au bout du chemin qu’on redoute et qu’on guette, c’est aussi la mauvaise bête tapie dans les fourrés et qui, insidieusement, se faufile jusqu’à nos façons de penser, de condamner, de lisser, de corriger, de réviser, celle qui dévore notre patrimoine littéraire et artistique de prétextes fallacieux ou ridicules, en jetant par exemple, l’opprobre sur le mot « nègre » dans un célèbre roman policier britannique ou en aspergeant des toiles de maîtres.

À ce jeu du censeur vertueusement politique, les auteurs de la polémique n’en sortiront pas grandis ; les quelques célébrités littéraires de la liste des signataires suscitent des sourires condescendants chez leurs détracteurs et la cohorte d’inconnus qui les ont suivis ont fait naître, malgré eux, une tout aussi pitoyable diatribe. Si d’aucuns sont sans doute d’obscurs écrivailleurs aux chevilles hypertrophiées, quelques-uns sont peut-être de bons poètes qui n’ont pas eu la chance d’être portés au firmament des Belles-Lettres parce que leur maison d’éditions n’a pas les reins assez solides en matière de diffusion, distribution et relation avec les médias. Le mépris avec lequel certains journalistes les ont traités n’a d’excuse que leur indignation d’avoir vu ce vent mauvais se lever contre Sylvain Tesson, auteur de talent, érudit, travailleur, populaire et reconnu parmi ses pairs.

Dans cette histoire d’arroseurs arrosés, c’est encore Dame Poésie qui doit bien rire, tout là-haut dans son Olympe, car il lui faut une bonne dose d’autodérision pour ne pas s’affliger de la bêtise des hommes. La poésie est liberté, insolence, pudeur et impudeur, douceur et brusquerie. Elle est indémodable, salvatrice, tolérante, apaisante. Elle n’a pas d’âge, de Catulle ou Sappho à Guérasim Luca, Ivar Ch’vavar, Lionel Ray, Angèle Paoli, Sylvia Plath, Jean Grosjean, en passant par Rutebeuf, Christine de Pisan, Marceline Desbordes-Valmore, Hugo, Verlaine, Emily Dickinson, Edith Södergran, Apollinaire, Anna de Noailles, Albert Samain ou encore Victor Segalen, René-Guy Cadou et tant d’autres. Il me faudrait des pages pour citer tous ces remarquables poètes d’hier et d’aujourd’hui. Dame Poésie se plaît à la cour des rois (Ronsard) ou en prison (François Villon, Jean Genêt), elle est bourgeoise, aristocratique ou prolétaire. Elle va pieds nus ou en redingote et canne de dandy, elle prie dans les églises ou fume de l’opium, elle gravit des montagnes, traverse des déserts ou regarde son jardin. Elle est si libre qu’on ne peut pas l’enfermer. Elle voudrait juste une chose : qu’on l’aime, qu’on la lise et qu’on ne la salisse pas de vains discours.

 

  


vendredi 19 janvier 2024

La neige tant attendue

 



Chaque hiver, j’attends la neige. Je l’espère. Elle ne vient pas toujours. J’aime l’hiver. Le véritable. Avec ses conditions climatiques de froidure et de gel. Avec ses ciels limpides où les branches des arbres nus posent leurs calligraphies. Avec ses couchers de soleil roses, ses crépuscules d’heure bleue. Avec ses maisons aux cheminées fumantes. Et, apothéose, les hivers de neige généreuse.

            Je quête les hivers dans les livres. « Un hiver de haute neige, un hiver du temps des loups […] » : ces quelques mots tout simples dans une nouvelle de René-Guy Cadou[1] sont la perfection même de la langue tant leur pouvoir a d’effet sur moi. L’hiver entre en moi par les mots, et par eux je me compose des hivers sur mesure, chargés d’une nature à l’austère beauté. J’aime les hauts plateaux pelés de givre et venteux chez Giono et Bosco, les steppes enneigées et les isbas noyées de blanc des auteurs russes. Je traque la neige chez les auteurs contemporains. Neige mystique et poétique chez Sylvie Germain. Neige impressionniste chez Michel Bernard.[2] Dans ma bibliothèque rangée – bien grand mot – par collections ou par thèmes, peut-être devrais-je consacrer une étagère à mes livres d’hiver ? On y retrouverait bien sûr Pays de neige[3]. De ce roman lu il y a presque trente ans, je ne me souviens de rien, sinon d’une page que ma mémoire évanescente a conservée : la description d’une rue sous la neige aux abords d’une auberge qui attirait le narrateur ou le personnage principal. Quelque chose de flou, d’inconsistant mais d’apaisant et de rassurant. L’hiver en mots a sur moi un pouvoir rassérénant. Sans doute est-ce pour cela que l’hiver est une saison souvent glissée dans mes romans et ma poésie, comme mon emblématique L’hiver avec elle[4] où la neige tombe dans les premiers chapitres.

La neige par son caractère immaculé, volatil et silencieux, vient du ciel au sens biblique. « De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer […] » A chaque veillée pascale, j’ai plaisir d’entendre les premiers mots de ce verset du prophète Isaïe[5].

Décrire la neige est un travail d’écriture exigeant, qui doit refouler les clichés – écueil que je ne réussis pas toujours à éviter – , qui doit toucher à la beauté et à la grandeur dans l’essentiel. Qui doit pouvoir dire sa chute vaporeuse, insouciante, primesautière, déterminée ou hésitante. Sa voracité à tout ensevelir. Sa pesanteur en filigrane du dénuement ou, au contraire, son enveloppante couverture. Sa fonte déloyale.

La neige n’est pas qu’au dehors ou dans les livres. Neiges d’artistes accompagnent notre jardin hivernal intime. Mon premier choc esthétique, enfant, me fut donné par Les chasseurs dans la neige[6], tableau reproduit sur une boîte de chocolats que je gardai longtemps dans ma chambre d’enfant. Mes premiers hivers de peintres doivent beaucoup aux cartes de vœux illustrées par des peintures flamandes, avant de connaître, dans les musées, les hivers des impressionnistes (Jardins enneigés de Camille Pissarro, coins de campagne de Claude Monet, rues d’Alfred Sisley, toits parisiens d’Albert Marquet) et les estampes japonaises.

Mes neiges sont venues aussi d’Auvergne par les photographies de  Marie-Agnès Kopp[7] ou par les livres sur le Ladakh et le Zanskar.

Mes amours de neiges, mes coups de cœur, mes miscellanées « nivologiques » me conduiraient facilement à l’accumulation de références, au vertige des listes. Il faut savoir arrêter la danse des flocons. Ah oui, justement, j’oubliais la musique. Casse-Noisette, bien sûr !



[1] René-Guy CADOU, « La Prairie » dans Monts et merveilles, Editions du Rocher (1997)

[2] Michel BERNARD, Deux remords de Claude Monet, Editions La Table Ronde (2016)

[3] Yasunari KAWABATA, Pays de neige (édition japonaise 1947), Editions Livre de poche (1982)

[4] Nathalie BONIFACE-MERCIER, L’hiver avec elle, Editions Unicité (2019)

[5] Isaïe, 55, 10 à 15. Bible de Jérusalem.

[6] Brueghel le Vieux, Les Chasseurs dans la neige (1565) Kunsthistorisches Museum, Vienne

[7] La route, Editions Unicité (2019) Poèmes d’Henry BAUCHAU, photographies de Marie-Agnès KOPP


vendredi 5 janvier 2024

Un livre en route

 

                                   Au hasard d'une rue, dans Maastricht


Dans mon entourage, on me demande souvent, ces derniers temps, si j’ai un nouveau livre en route. J’aime bien l’expression en route. Plutôt que commencé. Parce qu’un livre en route, c’est déjà une histoire avancée, déployée. Ce sont des visages qui m’accompagnent, des corps qui m’habitent. En route sent moins l’effort que commencé. En route, c’est un ruban qui se déroule, c’est un départ déjà derrière soi, c’est une destination à atteindre. En route tiendrait presque de la promenade. Je n’aurais qu’à avancer dans un décor planté. Avec des carrefours comme autant de choix narratifs.

Et pourtant, pour filer la métaphore, ma voiture n’a pas quitté le garage depuis quelques mois. Le crayon est en panne sèche. Commencé n’est pas un participe passé, c’est une participation au grand voyage de l’imagination. Commencer est un infinitif en attente sur une étagère de ma conscience. Que je n’arrive pas à saisir. Un inchoatif prêt à éclore – il suffirait de peu – mais qui se heurte à mes velléités et ma paresse. À mes questionnements. À mes appréhensions. À mes attentes.

Je propose déjà un roman à des éditeurs. Autre histoire. Autre chemin. Celui semé d’écueils, de déconvenues. Âpre. Tortueux. Incertain. Sans promesse d’arrivée à destination. Un chemin d’ambition. Un chemin d’expectative. De hasard. De soulagement et de joie si rencontre il y a.

Dans mes journées sans écriture, le calendrier tout neuf de 2024 me guette de pied ferme, un brin narquois, assez impatient. Il faudra que je remplisse mes heures et mes jours d’une conférence à préparer (Sollicitée pour juin prochain. Après-demain, en somme !) Dans mon dépouillement, sans mots pour couvrir mon goût – inaltérable pourtant – de l’écriture, j’attends encore. J’attends de retrouver l’Italie, mes coins préférés de Rome. Pour écrire. De la poésie, peut-être.

 


mardi 2 janvier 2024

Meilleurs voeux

    



Une très belle année 2024 à vous. Je vous souhaite de trouver ou de garder le bon tempo, la bonne mesure ou même l’accord parfait.

vendredi 29 décembre 2023

Au chaud avec un bon livre

 

                                                   Source: Pinterest


En cette période de l’année, les sites d’images regorgent d’illustrations de lectrices au coin du feu, dans des maisonnées au charme désuet, tandis que la campagne, entraperçue d’une fenêtre, est enneigée. L’atmosphère est paisible, rassurante et enveloppante. La présence d’un chat, et souvent, d’une tasse de thé ou tisane fumante, contribue à la douceur des lieux. Ce sont des images sans ancrage dans notre époque, loin de la frénésie compulsive de nos quotidiens. Aucune valeur marchande en filigrane. Aucune injonction de faux mages du bien-être. Le bonheur se résume au plaisir de lire au chaud. Les rumeurs du monde sont refoulées. Le silence a couleur de neige ; dans la maison, il ricoche sur les objets simples, se pelotonne dans la fourrure du chat ou la laine de la couverture. Il est le loyal complice des univers déployés dans les pages.

Ces images de sobriété heureuse fonctionnent souvent, paradoxalement, comme une part de rêve luxueux, inabordable dans nos vies chahutées et dans nos décors urbains, aux clinquantes lumières artificielles, sans perspective de neige. Pour écrire ces lignes, je convoque à moi, en pensée, ces fauteuils à oreillettes où se nicher devant le feu de bois. J’ai, en réalité, en vis-à-vis mon ordinateur, précieux compagnon de mes écrits, car j’écris trop peu aujourd’hui à la main sur mes cahiers et carnets, et j’ai parfois le scrupule de céder à la facilité pour gagner du temps. Mais derrière la baie vitrée, un rouge-gorge perché sur un pot de terre, m’envoie un ersatz de cliché hivernal feutré. Au loin, c’est une mésange qui volette dans le weigelia dénudé.

Alors, à défaut de flocons virevoltant au dehors, j’ai le loisir de vivre un hiver de franche neige dans les Contes de ma lampe à pétrole[1], charmant petit livre de Marius Noguès, paysan et écrivain, né en terre gasconne il y a plus de cent ans et dont la langue, à la fois drue et tendre, tisse des historiettes de villages ou d’ancêtres. C’est l’époque, où « le vin glaçait dans les barriques », où l’on allait à pied à travers la campagne, où le marcheur attardé craignait de tomber dans « la grosse nuit des bois » qui fait si peur lorsque « la neige, les champs de neige imbibent la nuit d’une opacité bleue. » On avançait sans espoir et soudain « C’est une fenêtre, avec derrière une ombre bleue, et les dessins que fait le gel aux vitres, et des ombres chinoises que fait le feu en sautillant dans la cheminée. Ça sent bon déjà la bûche chaude, et la chaux tiède des murs. » Eh bien voilà, je la retrouve ma fenêtre de maisonnée chaleureuse !

    



[1] Marius Noguès (1919, 2012), Contes de ma lampe à pétrole, réédition 1984, Editions Plein Chant


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