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mercredi 24 avril 2024

L'appel des chemins verts

 



Vacances. Sans vacance. Des copies à corriger. Une conférence[1] que je suis invitée à donner et qu’il me faut boucler. L’incendie du Bazar de la Charité, un sujet grave et particulièrement émouvant, que j’avais eu l’occasion d’évoquer dans Destins tragiques de princesses[2], au chapitre consacré à Sophie-Charlotte d’Alençon. De gazettes en témoignages, je tire des fils, j’assemble des idées. Ce terrible fait divers eut un retentissement politique et sociétal sans pareil et une étonnante résonance dans cette fin de siècle où l’art donnait volontiers dans le décadentisme avec des artistes comme Félicien Rops et Gustave Moreau, avec des récits de sadisme chez Barbey d’Aurevilly, auteur que j’avais découvert adolescente et lu avec circonspection, toute parée de ma fraîcheur innocente d’alors. J’étais aux antipodes des pamoisons de Madame de Mortsauf et je découvrais que la littérature pouvait être venimeuse.

Mes doigts courent sur le clavier et je fais un détour car, en fait, je voulais consacrer ma chronique aux chemins verts de la campagne. Je suis en manque de nature et ma pensée, pas toujours corsetée dans le travail, se jette parfois dans les sentiers de balade qui m’attendent. Chemins de halage de bord de Loire, sentes entre les vignes de la colline sancerroise. J’ai faim de dévorer le vert tendre d’avril, de boire la lumière du val des rois dont la région de Jacques Cœur est la queue de comète. C’est un coin de terre qui m’est cher. Terre de ma jeunesse bien qu’elle ne soit pas mon petit Liré. Sancerre, l’austère et grise protestante, âpre et tenace, dont seules quelques pierres savent encore murmurer la complainte. Sancerre, la pimpante, touristique et avenante, gouleyante comme son vin blanc. Je te connais en toutes saisons. Parfumée des vendanges à l’automne, abrutie de soleil en été, embrumée et frisquette l’hiver. J’ai parcouru toutes tes ruelles abruptes. Je peux les égrener de mémoire, en un poème à la mode d’antan. Rue du Puits de Dieu, Rue des Pressoirs, rue du Serre Cœur, rue de la Chèvre blanche, rue du Mouton noir, rue Porte serrure, rue du Carroir de velours, rue du Vieux prêche, rue des Petits remparts. Ce sont des mots qui chantent à mon oreille et bercent mes souvenirs. Des repas de famille, d’amis. Des pas d’enfants qui trottinent dans l’ombre des vieilles demeures. Un abricotier dans un jardin. Une terrasse, avec au loin, le ruban alangui de la Loire. J’ai hâte de croquer la galette berrichonne aux pommes de terre, un quartier de crottin de Chavignol et de plonger mes yeux dans le reflet jaune citrine d’un verre de sauvignon. Patience…




[1] Conférence à l’Espace Dewailly, place Dewailly, amphithéâtre Jean Cavaillés, AMIENS, samedi 1er juin 2024 à 14h30, proposée par l’association Les Amis de la cathédrale.

[2] Nathalie BONIFACE-MERCIER, Destins tragiques de princesses, Editions Jourdan (2021)


samedi 13 avril 2024

Dilemme


 


S’il me fallait choisir

Entre ma garde-robe et ma bibliothèque

Je garderais mes livres

Et un vieux pull qui a mémoire de mes anciens chagrins

S’il me fallait choisir

Entre le placard de la cuisine et ma bibliothèque

Je me nourrirais de livres

Et d’un œuf à la coque avec une pointe de sel

S’il me fallait choisir entre mes flacons de parfum et ma bibliothèque

Je puiserais dans les poèmes les enivrantes senteurs

Et les effluves volatils du vent saisonnier

S’il me fallait choisir

Entre mon jardin et ma bibliothèque

J’emporterais les livres au jardin

Parce qu’il y a des dilemmes pour lesquels on ne tranche pas

Recto verso valent un même bonheur.

 

Nathalie Boniface-Mercier 


lundi 1 avril 2024

Collier des jours

 



La datcha semble assoupie ces derniers temps. Les semaines chargées m’accaparent. Il me vient parfois des idées de chroniques, une jolie phrase qui effleure la poésie, une image que je voudrais confier aux mots, des bribes de sujets, le tout ne s’assemble pas, même si, épars, ces morceaux viennent du collier des jours. À vivre trop vite ou sans se retourner, on casse des fils et les perles se défont. On les ramasse, on les abandonne dans une coupelle ou un tiroir. Petites boules vulnérables, esseulées. Elles ne sont pourtant pas moins belles que dans l’ordonnancement des jours et des saisons, que jointes les unes aux autres sur le cordon du bijou. Laissons mes doigts fouiller ce vide-poche de mots glanés, d’images conservées. J’ai bien de quoi composer une rivière de diamants pour honorer le quotidien. La tête d’un faisan émergeant à la lisière d’un champ de colza, un écureuil traversant la route, panache en radar, la lumière des cierges de la veillée pascale sous les voûtes en ogive, les mots luminaires et firmament dans le Livre de la Création, l’éclosion des premières jacinthes dans le jardin, le parfum d’un baeckeofe qui mijote au four, des bribes de poèmes lus à la sauvette dans un vent coulis de poésie qui glisse dans les heures laborieuses, le chant des oiseaux – prémices de l’aube – , la présence discrète de la mésange à tête bleue sur une branche d’arbuste à quelques mètres de mon bureau, le sautillement du merle qui accourt, tel un animal de compagnie, à ma vue, dans l’espoir de trouver au pied du rosier le quignon quotidien de ma pomme partagée. Au fond, quoi d’autre qu’une poésie sans nom qui ne s’est pas posée sur le papier mais dans nos yeux. Dans le nid de nos cinq sens, dirais-je même.         

dimanche 17 mars 2024


                         

Lecture musicale croisée

                                             Entre sèves et campagne 

Bibliothèque de Glisy 11, rue du vert bout

 

mercredi 20 mars  18h – 20h

 

Âme fragile et vacillante l’enfant donne ses yeux au gré des lieux

Elle herborise comme on se laisse prendre la main

Ses planches de botaniste      ses saisons intérieures

Un paravent sur ses fêlures

 

Nathalie BONIFACE-MERCIER L’Engrangeoir (Editions La Chouette Imprévue, 2021, page 29)

vendredi 15 mars 2024

Poétisez!

 



                                                  Sculpture de Jan FABRE, Namur


« Un musicien compose, un peintre peint, et un poète… ? Où est le verbe ? Un Poète, que fait-il quand il écrit ? Il « poètre », peut-être. »

Claude NOUGARO L’Ivre d’images (Editions Le cherche-midi, 2002) 


dimanche 25 février 2024

Petits salons et livres auto-édités

 


                                             Salon du livre de Chauny (Aisne), juin 2023


Cette semaine, sur un compte Facebook qui rendait compte d’un salon du livre auquel j’ai participé le week-end dernier, un internaute avait ce commentaire condescendant : « Encore un salon où il n’y a que des auteurs auto-édités. », ce qui n’a pas manqué de soulever maintes récriminations, la mienne y compris.  Habituellement, je reste toujours en dehors des vains débats d’internautes. Quelle mouche m’a alors piquée ? Mon ego blessé ? Pas faux, avouons-le. Une honorable envie de défendre mes condisciples de plumes en tout genre ? La question est suffisamment complexe pour que je m’autorise une troisième chronique dans la Datcha sur les salons du livre. (Voir chroniques du 29 août 2021 et 4 septembre 2021).

Les manifestations locales autour du livre, sous forme de salons et festivals, sont aujourd’hui pléthoriques et le formidable outil de communication qu’est Internet permet d’assurer une promotion tentaculaire. Beaucoup de petites communes, rurales ou en périphérie de grandes villes, se targuent désormais d’avoir créé leur salon, avec plus ou moins de succès. Du côté des organisateurs, c’est bien sûr, un vaste chantier en amont et un investissement financier non négligeable, souvent alimenté par des subventions et/ ou du mécénat. Comme ces festivités sont gratuites pour le visiteur, le gain économique est souvent nul ; l’enjeu est donc surtout politique et culturel. À échelon local, certes, mais en corrélation avec le discours national de la défense et la promotion du livre, impulsé par Emmanuel Macron. Les municipalités qui mettent en place un salon du livre ont à cœur d’amener le monde du livre aux citoyens qui ne le fréquentent pas ou peu. Intention tout à fait louable. Et c’est ce sens que des conseils municipaux proposent un chèque livres aux enfants des écoles, à dépenser lors du salon.  Beau cadeau et subtile façon de cibler les adultes. Mais de quels livres parle-t-on ?

Dans ces petits salons, indéniablement, les auteurs auto-édités sont nombreux mais, me semble-t-il, pas majoritaires, même si je constate d’année en année leur présence accrue. Ils seraient donc les moutons noirs du monde de l’édition ? Honnêtement, si j’envisage tous les maillons de l’édition, c’est vrai. Un livre auto-édité est un produit « d’artefact » au même titre qu’un savon au lait de chèvre ou un pot de miel. N’importe qui peut s’improviser, avec un minimum de savoir-faire et de sens des affaires, dans ce type d’auto-entreprenariat. Des sites sur Internet, moyennant finances, permettent en effet de s’offrir de beaux livres-objets avec des couvertures et jaquettes dignes de grandes maisons d’éditions. Un mirage séduisant pour qui veut être publié sans passer par les arcanes du monde éditorial ou parce qu’on n’a pas été retenu – mot magique – par un éditeur. J’ai bien dit un mirage car ces auteurs auto-proclamés ne seront jamais, ou quasiment jamais, conviés dans des librairies pour des séances de dédicaces, de même qu’ils n’ont aucune chance de voir figurer leur opus à côté des auteurs autorisés. Aussi n’ont-ils que les salons pour avoir une vraie visibilité. À discuter avec ces auto-édités, je m’aperçois que la pratique ne semble nullement les gêner parce que leur motivation première, outre d’être lus, est de ne pas y perdre financièrement. On m’a déjà rétorqué avec un soupçon de condescendance que je ne touchais que 8 à 12 % de droits d’auteur pour chaque exemplaire vendu alors qu’eux…. Inutile alors de leur vanter les mérites du métier de libraire et de ces lieux merveilleux que sont les librairies. Et bien sûr inenvisageable d’aborder avec eux la délicate question de la qualité du texte. Un auteur auto-publié n’est pas passé par une forme de censure ou de reconnaissance. Je ne souhaite pour autant pas trop entrer dans le sujet. À chacun de trouver derrière ma réserve une forme d’hypocrisie ou de lucidité.

Là où le bât blesse un peu, c’est de voir de se multiplier ces pratiques de publication dans les salons. Certes, il y a tout de même de bons ouvrages chez ce type d’auteurs, je pense surtout aux albums pour enfants, quand le graphisme est le fruit d’un vrai travail créatif. (Mais l’Intelligence Artificielle tant décriée est vraiment ici à redouter.) Alors faut-il en vouloir aux organisateurs de salons de convier ces auteurs ? Sont-ils dupes ou bienveillants ? Il ne me revient pas de trancher et il y aurait autant de réponses que de salons organisés. Je conçois la difficulté pour une petite commune d’inviter des écrivains notoires. L’argent est le nerf de la guerre, pas moins que le nombre de visiteurs escompté. Et la présence d’un auteur renommé, invité locomotive, comme cela se fait dans certaines manifestations, éclipse par son aura médiatique – pas forcément par son talent – les vertueux travailleurs de la plume, restés dans l’ombre. Dans quel vivier puiser alors sa galerie d’auteurs invités ? La proximité géographique est le premier critère. Dans le panier tomberont forcément des auto-publiés mais aussi de méritants écrivains – au talent plus ou plus avéré (question de goût certes, mais aussi de discernement de lettré – vaste sujet ! –) publiés chez de modestes éditeurs, lesquels ne sont pas toujours partenaires avec la librairie en place dans ledit salon. Tout le monde y laisse un peu des plumes. Mais chacun est toutefois heureux de ces échanges qui parlent souvent davantage au cœur qu’à la culture. Et c’est pour cela que les petits salons se doivent d’exister. Bien sûr, il y aurait néanmoins une vraie question de fond à mettre à plat : comment brasser davantage les talents pour que ces salons ne deviennent pas de l’entre-soi de clocher ? Nombre d’auteurs publiés dans de grandes ou moyennes maisons d’éditions, mais pas célèbres, auraient leur chance à saisir d’être davantage représentés, dussent-ils laisser de côté leur désappointement de ne vendre en ces occasions peut-être qu’une dizaine de livres et de côtoyer des « fabriqueurs » de livres.  Ces salons gagneraient en fréquentation parce que celui qui a le dernier mot reste le lecteur. Dans ces petits salons, on ne voit guère beaucoup de lecteurs confirmés et exigeants. Eux ne sont pas dupes.


dimanche 28 janvier 2024

Chasse aux sorcières

 

 Au hasard d'une rue (Bruxelles, 2021)

Une date est fixée avec mon éditeur pour une lecture musicale dans le cadre du Printemps des poètes 2024. Lecture que je ferai en binôme avec une poétesse dont j’aime le travail. Je suis heureuse de participer une nouvelle fois à la manifestation du Printemps des poètes et ne prends pas ombrage qu’elle soit sous l’égide de Sylvain Tesson. La pitoyable polémique que nourrissent les réseaux sociaux et quelques médias tient de la véritable chasse aux sorcières, où tout le monde s’autorise à écrire, à ériger en certitudes des approximations et des amalgames, à proscrire un homme sous prétexte qu’il ne pense pas selon une certaine doxa. Loin de moi l’idée de classer les auteurs en écrivains de gauche ou de droite. Certes, il m’arrive de les étiqueter « cathos » ou pas, déformation confessionnelle oblige ! Pour moi, il y a les bons auteurs et les médiocres. Nous sommes tellement envahis par ces derniers qui pondent des bouquins au bagage lexical d’une pauvreté affligeante et réchauffent des poncifs. Dans ma bibliothèque, Sylvain Tesson côtoie Pierre Bergounioux ; j’aime ces auteurs, aux antipodes dans leur manière de vivre et de penser, et j’ai le plus profond respect pour leur intégrité et leur personnalité de citoyen et d’écrivain. Chez moi, Rimbaud et Francis Jammes sont sur la même étagère.

Le danger pour notre civilisation n’est pas seulement le grand méchant loup au bout du chemin qu’on redoute et qu’on guette, c’est aussi la mauvaise bête tapie dans les fourrés et qui, insidieusement, se faufile jusqu’à nos façons de penser, de condamner, de lisser, de corriger, de réviser, celle qui dévore notre patrimoine littéraire et artistique de prétextes fallacieux ou ridicules, en jetant par exemple, l’opprobre sur le mot « nègre » dans un célèbre roman policier britannique ou en aspergeant des toiles de maîtres.

À ce jeu du censeur vertueusement politique, les auteurs de la polémique n’en sortiront pas grandis ; les quelques célébrités littéraires de la liste des signataires suscitent des sourires condescendants chez leurs détracteurs et la cohorte d’inconnus qui les ont suivis ont fait naître, malgré eux, une tout aussi pitoyable diatribe. Si d’aucuns sont sans doute d’obscurs écrivailleurs aux chevilles hypertrophiées, quelques-uns sont peut-être de bons poètes qui n’ont pas eu la chance d’être portés au firmament des Belles-Lettres parce que leur maison d’éditions n’a pas les reins assez solides en matière de diffusion, distribution et relation avec les médias. Le mépris avec lequel certains journalistes les ont traités n’a d’excuse que leur indignation d’avoir vu ce vent mauvais se lever contre Sylvain Tesson, auteur de talent, érudit, travailleur, populaire et reconnu parmi ses pairs.

Dans cette histoire d’arroseurs arrosés, c’est encore Dame Poésie qui doit bien rire, tout là-haut dans son Olympe, car il lui faut une bonne dose d’autodérision pour ne pas s’affliger de la bêtise des hommes. La poésie est liberté, insolence, pudeur et impudeur, douceur et brusquerie. Elle est indémodable, salvatrice, tolérante, apaisante. Elle n’a pas d’âge, de Catulle ou Sappho à Guérasim Luca, Ivar Ch’vavar, Lionel Ray, Angèle Paoli, Sylvia Plath, Jean Grosjean, en passant par Rutebeuf, Christine de Pisan, Marceline Desbordes-Valmore, Hugo, Verlaine, Emily Dickinson, Edith Södergran, Apollinaire, Anna de Noailles, Albert Samain ou encore Victor Segalen, René-Guy Cadou et tant d’autres. Il me faudrait des pages pour citer tous ces remarquables poètes d’hier et d’aujourd’hui. Dame Poésie se plaît à la cour des rois (Ronsard) ou en prison (François Villon, Jean Genêt), elle est bourgeoise, aristocratique ou prolétaire. Elle va pieds nus ou en redingote et canne de dandy, elle prie dans les églises ou fume de l’opium, elle gravit des montagnes, traverse des déserts ou regarde son jardin. Elle est si libre qu’on ne peut pas l’enfermer. Elle voudrait juste une chose : qu’on l’aime, qu’on la lise et qu’on ne la salisse pas de vains discours.

 

  


vendredi 19 janvier 2024

La neige tant attendue

 



Chaque hiver, j’attends la neige. Je l’espère. Elle ne vient pas toujours. J’aime l’hiver. Le véritable. Avec ses conditions climatiques de froidure et de gel. Avec ses ciels limpides où les branches des arbres nus posent leurs calligraphies. Avec ses couchers de soleil roses, ses crépuscules d’heure bleue. Avec ses maisons aux cheminées fumantes. Et, apothéose, les hivers de neige généreuse.

            Je quête les hivers dans les livres. « Un hiver de haute neige, un hiver du temps des loups […] » : ces quelques mots tout simples dans une nouvelle de René-Guy Cadou[1] sont la perfection même de la langue tant leur pouvoir a d’effet sur moi. L’hiver entre en moi par les mots, et par eux je me compose des hivers sur mesure, chargés d’une nature à l’austère beauté. J’aime les hauts plateaux pelés de givre et venteux chez Giono et Bosco, les steppes enneigées et les isbas noyées de blanc des auteurs russes. Je traque la neige chez les auteurs contemporains. Neige mystique et poétique chez Sylvie Germain. Neige impressionniste chez Michel Bernard.[2] Dans ma bibliothèque rangée – bien grand mot – par collections ou par thèmes, peut-être devrais-je consacrer une étagère à mes livres d’hiver ? On y retrouverait bien sûr Pays de neige[3]. De ce roman lu il y a presque trente ans, je ne me souviens de rien, sinon d’une page que ma mémoire évanescente a conservée : la description d’une rue sous la neige aux abords d’une auberge qui attirait le narrateur ou le personnage principal. Quelque chose de flou, d’inconsistant mais d’apaisant et de rassurant. L’hiver en mots a sur moi un pouvoir rassérénant. Sans doute est-ce pour cela que l’hiver est une saison souvent glissée dans mes romans et ma poésie, comme mon emblématique L’hiver avec elle[4] où la neige tombe dans les premiers chapitres.

La neige par son caractère immaculé, volatil et silencieux, vient du ciel au sens biblique. « De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer […] » A chaque veillée pascale, j’ai plaisir d’entendre les premiers mots de ce verset du prophète Isaïe[5].

Décrire la neige est un travail d’écriture exigeant, qui doit refouler les clichés – écueil que je ne réussis pas toujours à éviter – , qui doit toucher à la beauté et à la grandeur dans l’essentiel. Qui doit pouvoir dire sa chute vaporeuse, insouciante, primesautière, déterminée ou hésitante. Sa voracité à tout ensevelir. Sa pesanteur en filigrane du dénuement ou, au contraire, son enveloppante couverture. Sa fonte déloyale.

La neige n’est pas qu’au dehors ou dans les livres. Neiges d’artistes accompagnent notre jardin hivernal intime. Mon premier choc esthétique, enfant, me fut donné par Les chasseurs dans la neige[6], tableau reproduit sur une boîte de chocolats que je gardai longtemps dans ma chambre d’enfant. Mes premiers hivers de peintres doivent beaucoup aux cartes de vœux illustrées par des peintures flamandes, avant de connaître, dans les musées, les hivers des impressionnistes (Jardins enneigés de Camille Pissarro, coins de campagne de Claude Monet, rues d’Alfred Sisley, toits parisiens d’Albert Marquet) et les estampes japonaises.

Mes neiges sont venues aussi d’Auvergne par les photographies de  Marie-Agnès Kopp[7] ou par les livres sur le Ladakh et le Zanskar.

Mes amours de neiges, mes coups de cœur, mes miscellanées « nivologiques » me conduiraient facilement à l’accumulation de références, au vertige des listes. Il faut savoir arrêter la danse des flocons. Ah oui, justement, j’oubliais la musique. Casse-Noisette, bien sûr !



[1] René-Guy CADOU, « La Prairie » dans Monts et merveilles, Editions du Rocher (1997)

[2] Michel BERNARD, Deux remords de Claude Monet, Editions La Table Ronde (2016)

[3] Yasunari KAWABATA, Pays de neige (édition japonaise 1947), Editions Livre de poche (1982)

[4] Nathalie BONIFACE-MERCIER, L’hiver avec elle, Editions Unicité (2019)

[5] Isaïe, 55, 10 à 15. Bible de Jérusalem.

[6] Brueghel le Vieux, Les Chasseurs dans la neige (1565) Kunsthistorisches Museum, Vienne

[7] La route, Editions Unicité (2019) Poèmes d’Henry BAUCHAU, photographies de Marie-Agnès KOPP


vendredi 5 janvier 2024

Un livre en route

 

                                   Au hasard d'une rue, dans Maastricht


Dans mon entourage, on me demande souvent, ces derniers temps, si j’ai un nouveau livre en route. J’aime bien l’expression en route. Plutôt que commencé. Parce qu’un livre en route, c’est déjà une histoire avancée, déployée. Ce sont des visages qui m’accompagnent, des corps qui m’habitent. En route sent moins l’effort que commencé. En route, c’est un ruban qui se déroule, c’est un départ déjà derrière soi, c’est une destination à atteindre. En route tiendrait presque de la promenade. Je n’aurais qu’à avancer dans un décor planté. Avec des carrefours comme autant de choix narratifs.

Et pourtant, pour filer la métaphore, ma voiture n’a pas quitté le garage depuis quelques mois. Le crayon est en panne sèche. Commencé n’est pas un participe passé, c’est une participation au grand voyage de l’imagination. Commencer est un infinitif en attente sur une étagère de ma conscience. Que je n’arrive pas à saisir. Un inchoatif prêt à éclore – il suffirait de peu – mais qui se heurte à mes velléités et ma paresse. À mes questionnements. À mes appréhensions. À mes attentes.

Je propose déjà un roman à des éditeurs. Autre histoire. Autre chemin. Celui semé d’écueils, de déconvenues. Âpre. Tortueux. Incertain. Sans promesse d’arrivée à destination. Un chemin d’ambition. Un chemin d’expectative. De hasard. De soulagement et de joie si rencontre il y a.

Dans mes journées sans écriture, le calendrier tout neuf de 2024 me guette de pied ferme, un brin narquois, assez impatient. Il faudra que je remplisse mes heures et mes jours d’une conférence à préparer (Sollicitée pour juin prochain. Après-demain, en somme !) Dans mon dépouillement, sans mots pour couvrir mon goût – inaltérable pourtant – de l’écriture, j’attends encore. J’attends de retrouver l’Italie, mes coins préférés de Rome. Pour écrire. De la poésie, peut-être.

 


mardi 2 janvier 2024

Meilleurs voeux

    



Une très belle année 2024 à vous. Je vous souhaite de trouver ou de garder le bon tempo, la bonne mesure ou même l’accord parfait.

vendredi 29 décembre 2023

Au chaud avec un bon livre

 

                                                   Source: Pinterest


En cette période de l’année, les sites d’images regorgent d’illustrations de lectrices au coin du feu, dans des maisonnées au charme désuet, tandis que la campagne, entraperçue d’une fenêtre, est enneigée. L’atmosphère est paisible, rassurante et enveloppante. La présence d’un chat, et souvent, d’une tasse de thé ou tisane fumante, contribue à la douceur des lieux. Ce sont des images sans ancrage dans notre époque, loin de la frénésie compulsive de nos quotidiens. Aucune valeur marchande en filigrane. Aucune injonction de faux mages du bien-être. Le bonheur se résume au plaisir de lire au chaud. Les rumeurs du monde sont refoulées. Le silence a couleur de neige ; dans la maison, il ricoche sur les objets simples, se pelotonne dans la fourrure du chat ou la laine de la couverture. Il est le loyal complice des univers déployés dans les pages.

Ces images de sobriété heureuse fonctionnent souvent, paradoxalement, comme une part de rêve luxueux, inabordable dans nos vies chahutées et dans nos décors urbains, aux clinquantes lumières artificielles, sans perspective de neige. Pour écrire ces lignes, je convoque à moi, en pensée, ces fauteuils à oreillettes où se nicher devant le feu de bois. J’ai, en réalité, en vis-à-vis mon ordinateur, précieux compagnon de mes écrits, car j’écris trop peu aujourd’hui à la main sur mes cahiers et carnets, et j’ai parfois le scrupule de céder à la facilité pour gagner du temps. Mais derrière la baie vitrée, un rouge-gorge perché sur un pot de terre, m’envoie un ersatz de cliché hivernal feutré. Au loin, c’est une mésange qui volette dans le weigelia dénudé.

Alors, à défaut de flocons virevoltant au dehors, j’ai le loisir de vivre un hiver de franche neige dans les Contes de ma lampe à pétrole[1], charmant petit livre de Marius Noguès, paysan et écrivain, né en terre gasconne il y a plus de cent ans et dont la langue, à la fois drue et tendre, tisse des historiettes de villages ou d’ancêtres. C’est l’époque, où « le vin glaçait dans les barriques », où l’on allait à pied à travers la campagne, où le marcheur attardé craignait de tomber dans « la grosse nuit des bois » qui fait si peur lorsque « la neige, les champs de neige imbibent la nuit d’une opacité bleue. » On avançait sans espoir et soudain « C’est une fenêtre, avec derrière une ombre bleue, et les dessins que fait le gel aux vitres, et des ombres chinoises que fait le feu en sautillant dans la cheminée. Ça sent bon déjà la bûche chaude, et la chaux tiède des murs. » Eh bien voilà, je la retrouve ma fenêtre de maisonnée chaleureuse !

    



[1] Marius Noguès (1919, 2012), Contes de ma lampe à pétrole, réédition 1984, Editions Plein Chant


samedi 23 décembre 2023

Dans l'attente de Noël

 

                                                     source: Pinterest

 

Avent de l’enfance

Quiétude dans la maison prise par la nuit dévoreuse de décembre

Boules métallisées multicolores suspendues au plafond

Crèche en bois que le père et le frère ont conçue

Avec sa veilleuse bienveillante sur le paille sur la paille de la mangeoire

Chants de Noël sur le tourne-disque et ronronnement lointain de la machine à coudre

[…]

L’enfance remonte comme un vieil hiver

Les neiges d’antan existent-elles ?

On cherche des hivers de cartes de vœux

Une chimère

L’enfant a habité en songe ces villages enneigés

Pour la lumière aux fenêtres des chaumières

Pour la promesse d’Espérance de ces églises qui invitent à Noël

Pour le chant du rouge-gorge au coin de la carte

 

Nathalie BONIFACE-MERCIER L’Engrangeoir Éditions La Chouette Imprévue, pages 22 et 23

 


dimanche 10 décembre 2023

Une maison à soi et pour les autres



            Reproduction d'un carrelage en ciment d'une maison palestinienne au début du XXème siècle avec des épices pour l'exposition "Parfums d'Orient" à l'Institut du monde arabe (Paris)

     Le mot beiti signifie «ma maison» aussi bien en arabe qu'en hébreu. C'est d'autant plus troublant quand on songe aux Israéliens et aux Palestiniens en perpétuel conflit depuis plusieurs décennies. La maison est emblématique de l'intimité, de la construction de soi, de la famille, du partage. Elle est, et devrait rester, un espace inaliénable. Or, dans les guerres, l'habitation est la cible des bombardements. Les maisons et immeubles détruits sont l'une des images les plus spectaculaires des dégâts occasionnés par la violence. Une ville réduite en miettes, c'est un peuple dont on se débarrasse. Des hommes, des femmes et des enfants attaqués dans leur propre maison, c'est une atteinte à l'être humain dans sa vulnérabilité, au sein de son foyer. Les exactions perpétrées par le Hamas le 7 octobre dernier puis les tirs des Israéliens sur les villes de Gaza entretiennent une haine dans laquelle la beiti n'édifie ni le respect de l'autre ni le partage. C'est bien triste.

    Je songeais à cela en sortant de la remarquable exposition sur les parfums à l'Institut du monde arabe vendredi dernier. J'avais quelques heures plus tôt longé l'université de Jussieu et remarqué les tentes distribuées aux SDF qui trouvent un abri contre la pluie sous la galerie qui longe le bâtiment universitaire. L'une d'elle avait particulièrement attiré mon regard. Près de la tente et d'un fauteuil de bureau à roulettes, un homme s'était reconstitué une cuisine avec une kitchenette en plastique Fischer Price des dînettes d'enfants. Sur le minuscule plateau, il avait empilé quelques fruits et des conserves. Dérisoire et touchante scène d'intimité. L'homme s'était créé un chez-soi.Une cuisine. Une pièce ô combien emblématique du confort quotidien. N'est-ce pas la cuisine qui nous nourrit?

    Au sortir de l'IMA, je repris le même itinéraire. Cette maisonnée avait pris vie. Deux hommes assis, l'un dans le fauteuil, l'autre sur un tabouret, se chauffaient au feu d'un brasero qu'un carton séparait de la cuisinette. C'était dangereux et pourtant cette scène dégageait de la quiétude. Ces quelques mètres carrés de trottoir, maison indigente, devenaient un foyer au sens du partage, de la dignité des cœurs et du besoin de repos. Un foyer, c'est fait pour le feu de la vie. Je détournai les yeux par pudeur. On ne regarde pas ce qui se passe chez les gens.

samedi 18 novembre 2023

Des moments de grâce dans un monde difficile

 


    Porte de la datcha longtemps fermée. Parce que mon ordinateur m'a joué des tours cette semaine. Parce que la cruauté des hommes m'ébranle. Parce que l'eau sournoise, inexorablement, attaque des hommes dans leur intimité ou au cœur de leur travail. J'ai des pleurs dans la tête. C'est une empathie sans frontières, sans idéologie, sans clivage. Je pleure sur ceux qui sont ennemis; si la haine est dans chaque camp, l'innocence l'est aussi. Je tremble de voir renaître dans l'espace public des outrages qu'on croyait d'un autre temps. Et, dans ma morosité spontanée, je joins à cette ribambelle tragique le souvenir des Marocains sans maison depuis le tremblement de terre, contraints de survivre dans le froid qui grignote peu à peu leurs montagnes, je joins une pensée pour les Ukrainiens mais aussi pour les Russes qui hurlent en silence НЕТ ВОЙНЕ1 faute de pouvoir le clamer librement. Et j'oublie d'autres misères du monde. Celle de la pauvreté, celle d'autres conflits. Si l'empathie n'a pas d'égoïsme, elle a ses faiblesses. Le besoin de composer avec un nécessaire oubli, protection vertueuse ou salutaire. Une façon de s'épargner. Mais aussi un élan vers la joie malgré tout.

    Alors je savoure les grâces éphémères du quotidien. Un dîner entre amis où la littérature, le bon vin, la cuisine italienne nous ont régalés. Des jeux de lumière dans les arbres fauves sur un ciel anthracite à l'horizon. Un thé chaud après les trottoirs de la ville arpentés sous la pluie. Un cours de lecture sur La Perle2 avec mes troisièmes, durant lequel mes élèves furent formidables. Leur surprise lorsque je les ai remerciés et félicités. Un échange de SMS avec une amie pour préparer une escapade parisienne. Les dernières fleurs de fuchsia cueillis au jardin. Un superbe  Nisi Dominus  de Vivaldi posté sur le Facebook d'une amie de plume. Et la perspective d'une belle soirée amicale autour d'un apéro.

1Non à la guerre.

2Roman de John Steinbeck

   

mardi 31 octobre 2023

Automne

 



Automne à pas lents sous mon crayon de bois

Automne sceau frappé sur la feuille

Page blanche jonchée de faînes.

Sous les fougères,

Une odeur de vieille maison.

Des girolles en bonnet de nuit

Soufflent la chandelle

Et le chagrin sans amant

Du gel se languit

Tandis que la pluie ruisselle.

 

Octobre 2023


jeudi 26 octobre 2023

Une plus belle humanité

 



            Quelques jours déjà que les vacances scolaires sont commencées. La dernière semaine fut éprouvante pour les enseignants et les élèves. J’ai hésité à en parler à la datcha. Il n’y avait pas de mots pour dire mon désarroi, ma tristesse. Et tant de témoignages ont été diffusés. Ces profs souvent méprisés ou ignorés, quand ils ne sont pas jalousés – ils ont tant de vacances !  – ont ces jours-ci suscité l’empathie. Faisons-nous le plus beau métier du monde ?  Lieu commun si passe-partout. Les pompiers, les soignants, les paysans font aussi le plus beau métier du monde. Et chacun pourrait se prétendre être en haut du podium. Parce que la vie en société est un maillage de gestes essentiels, nécessaires jusque dans leur discrétion ou leur supposée futilité. N’est-il pas beau de voir un boulanger sortir sa fournée ? Un guide touristique exposer les splendeurs d’une cathédrale ou d’un château ? Un animateur entraîner des résidents de maisons de retraite à la gymnastique ou au yoga ? Toutefois, en ce lundi 16 octobre dernier, durant la minute de silence qui fut, dans la cour de mon collège, un unanime élan de cœur, nos élèves étaient ces maillons indispensables d’une chaîne de solidarité et de respect qui contribuent à la plus belle humanité. Nous autres adultes, parents, enseignants, éducateurs, prêtres, imams, rabbins, hommes politiques, écrivains, scénaristes, chanteurs, champions sportifs, tous, nous avons notre responsabilité à mener auprès de nos jeunes.  Pour que germe un monde plus juste, plus tolérant, plus serein.

            La nature d’automne qui se met en dormance délivre ses dernières couleurs ambrées, se recroqueville dans ses brumes matinales et déploie ses parfums d’humus. Ses ciels gris sont fouettés de zébrures, ses nuages caracolent et livrent encore des trouées de bleu. Dans les jardins, les asters s’alanguissent sous la pluie. Les feuilles mortes occupent les trottoirs. La nature, mieux que d’illusoires et agressifs décors d’Halloween, nous ramène à la fragilité de la vie. Et elle nous donne une magistrale leçon d’Espérance parce que la terre qui s’endort porte en elle la promesse d’une renaissance.


vendredi 13 octobre 2023

Entendre un oiseau

 


                                                                        Source: Internet


                Ici ce sont des enfants qui jouent insouciants dans un jardin en ce week-end d’été indien. Là, des amis ou des touristes qui déjeunent à la terrasse d’un café, le visage enivré d’un soleil généreux. Trop. Ce qui plombe quelque peu notre gourmandise à le savourer. On nous rebat les oreilles, dans les médias, sur le pouvoir d’achat en berne. Certes, les fins de mois sont difficiles pour beaucoup. Mais le chant des oiseaux – qui pépient comme au printemps, déboussolés par la clémence du temps – est un cadeau pour tous. Et d’autres joies volètent dans notre douce France. Un barbecue en famille. Un match au club de foot local. Un cours de danse. L’anniversaire d’une grand-mère. Un camp de scouts.  Une randonnée. Les températures qui frisent les 25° dans le nord et les 30° dans le sud sont lénifiantes. On oublie volontiers que la terre est malade, qu’ailleurs les pluies torrentielles s’abattent et emportent des vies, qu’ici même des paysans se désespèrent de leurs terres trop sèches. On oublie aussi un peu la guerre à nos portes dans les plaines et villes d’Ukraine ou dans ces pays aux antipodes qu’on peine parfois à situer sur une mappemonde. 

            Et soudain, c’est le chaos là-bas, dans ce Moyen-Orient, si loin si mal compris, aux soubresauts perpétuels. Et les noms claquent dans nos consciences : Israël, kibboutz, Gaza, Hamas. Et les décomptes macabres percent nos cœurs. « On croit que tout est fini mais alors il y a toujours un rouge-gorge qui se met à chanter. » disait Paul Claudel. Or comment entendre le chant d’un oiseau dans le fracas des armes ?


vendredi 6 octobre 2023

Fragments (à composer)

 

                                  Niki de Saint Phalle (Mons, Belgique, automne 2018)

                                               

Fragments (à composer)

L’inspiration ne se décrète pas

On a beau garder sous le boisseau

Des images et des mots

Être entomologiste

Collecter

Épingler

Aller toujours chercher

Dans les plis du passé

L’innommé

Ces ribambelles d’images heurtées

Le vent passe

Disperse

Les grains

Et sème au hasard

Herbes folles

Et mots perdus.

 

 Nathalie Boniface-mercier

 


lundi 25 septembre 2023

Panier d'automne

 



         La cuisine a ses saisons. Chapon rôti, truffes au chocolat et galette à la frangipane, délicieuses parenthèses dans l’hiver morose. Frivoles radis roses comme des baisers de printemps. Fèves vert tendre d’un avril aux ramures feuillues. Gelées de groseilles vermeilles de juin. Tartes aux abricots gorgés d’un soleil de fin d’été. Figues charnues d’un septembre méridional. Et brumes revenues, les vendanges sont faites et la sauvagine, mise à la gibecière. Cailles, perdrix, bartavelles. Le marcassin donne son civet, la biche son cuissot. Comme un bouquet final de feu d’artifice, mère Nature aura livré, avant les bourrasques de novembre, noix, noisettes, châtaignes, potirons, pâtissons, rattes, vitelottes et blettes. Le gibier est grand seigneur à la table des restaurants. Faisan au pommard ou lièvre au lussac-saint-émilion et c’est votre nez qui chasse à la billebaude des saveurs de glands écrasés sous la futaie, de mûres dans les fossés, de girolles sous la mousse et le parfum âcre des sillons labourés ou celui, acide, des éteules détrempées par la pluie. L’automne est la saison préférée d’Antoine. La saison reine de la Bourgogne. Potage à la courge, risotto de cèpes, pain perdu à la crème de cynorrhodon ou le panier d’automne aux marrons, les incontournables de sa table.

L'Hiver avec elle, Nathalie BONIFACE-MERCIER, Editions Unicité, page 229

 


jeudi 14 septembre 2023

Un pavé dans la garde-robe

 

                                               Vitrine d'une boutique parisienne. Décembre 2010


            Il m’arrive souvent de lire avec quelques jours de retard le quotidien auquel je suis abonnée. Ce faisant, la une du journal du mercredi 6 septembre m’interpelle. Par une ironie du sort – involontaire de la part des rédacteurs ou peu ou prou consciente ? –, la photo représentant cinq Afghanes emprisonnées sous leur burqa est titrée « Afghanistan, la vie volée des femmes » tandis que la colonne de l’éditorial affiche le titre « Uniforme, le retour ». Si je ne laisse pas volontiers entrer les sujets politiques ou sociétaux dans la datcha, le clash de ces sujets m’incite à jeter un pavé dans la mare, disons dans la garde-robe.

            Loin de moi l’idée de faire un raccourci entre la burqa et l’abaya, ni d’établir un parallèle sans nuances comme d’aucuns l’ont sans doute fait. La burqa est une prison, un sac grillagé qui neutralise non seulement la silhouette des femmes mais les prive de toute liberté élémentaire. Ainsi vêtue, une femme n’a plus aucune personnalité ni aucun droit aux yeux des hommes qui leur infligent pareille violence. La burqa n’est pas un vêtement ; elle est le sceau de l’infamie.

            Et l’abaya alors ? Puisque c’est dans l’air du temps d’en parler. C’est plutôt joli, une abaya. La fluidité du tissu, lorsqu’elle est bien coupée, féminise une silhouette. Elle n’est sans rappeler les longues robes de soirée des mariages des années soixante-dix qui faisaient rêver la petite fille que j’étais. Elle n’est pas sans évoquer ces tenues exotiques que savaient si bien représenter les peintres orientalistes du dix-neuvième siècle et qui firent fantasmer bon nombre d’Occidentaux ! Et nul ne songeait alors que ces beautés étaient sous le joug de leur père et mari. On a sans doute aujourd’hui un sens de l’égalité bien plus exacerbé qu’il y a cent cinquante ans et c’est tant mieux. Mais rien n’est jamais simple et sous couvert d’une morale laïque, on est, en France, prompts à condamner. Toute forme d’uniforme, du reste. L’uniforme des scouts fait grincer les dents de ceux qui ne reconnaissent pas les vertus pédagogiques du mouvement. On se gausse du kilt de Charles III, si l’on n’est pas Écossais.

            Alors tandis que sonne la rentrée, la France s’enflamme pour des histoires de garde-robe. Certains ont peur de l’uniforme scolaire ; d’autres le promeuvent. Doter les élèves de l’école primaire au lycée d’une tenue uniforme ne gommera assurément pas les inégalités sociales – nos chères têtes blondes ont une langue, se racontent leurs vacances et leur quotidien, ce que des adultes semblent avoir occulté ! – mais cela aurait indéniablement l’avantage de mettre les tee-shirts et les jupes à même longueur d’ourlet. Car le problème principal – c’est l’enseignante qui parle ici –, n’est pas de savoir qui doit porter quoi mais de considérer que telle tenue est acceptable ou indécente. Écueil auquel les professeurs et chefs d’établissement sont confrontés depuis quelques années (et qui ne met personne d’accord). La liberté vestimentaire est un symptôme d’individualisme à tout crin.  La multiplication des abayas au sein des lycées n’est peut-être pas si innocente que cela. À chaque demoiselle d’affirmer sa personnalité, qui en exhibant sa poitrine, qui en masquant ses formes.

            Est-ce à dire que je me range du côté des défenseurs tous azimuts de l’abaya ? Un vêtement, quel qu’il soit, est un langage. Et derrière se profile parfois une idéologie. En soi, certes, l’abaya n’est pas un vêtement religieux. Mais nombre de jeunes filles qui le portent ne le font pas seulement pour répondre à des us et coutumes familiaux. Plus ou moins consciemment, l’adolescente peut être manipulée et se voir confier le rôle missionnaire d’un Islam radical. Toutes les abayas ne sont sans doute pas vertueuses. C’est à ce titre qu’il était certainement plus prudent de ne pas les tolérer au sein de l’école, laquelle doit rester en dehors des débats politico-religieux, surtout parmi nos enfants, trop jeunes, trop malléables. Ce n’est pas une condamnation d’une religion, c’est un rappel de la laïcité intrinsèque de l’école républicaine.

            Toutefois, j’éprouve toujours une perplexité pas dénuée d’ambiguïté de ma part quand je vois les crispations, dans mon pays, autour des religions quelles qu'elles soient. Le Royaume-Uni, a, me semble-t-il moins de complexes et les turbans des Sikhs comme les saris colorés des Indiennes et Pakistanaises égayent la grisaille de Londres. (Pas d’angélisme chez moi ; le racisme existe aussi outre-Manche). Mais il est indéniable que notre France républicaine a des problèmes avec le sacré ; elle mâchonne encore et ne digère toujours pas ce que sa Révolution a mené, avec ce que cela avait de bon, mais aussi de discutable. 

            Pour conclure, je ne peux m’empêcher de penser au caractère quelque peu dérisoire de l’utilité de l’uniforme dans les écoles françaises quand, en Afghanistan, les petites filles sont privées d’instruction et les jeunes filles renvoyées des universités. Celles-ci savent tout le poids d’un vêtement imposé, quand il bafoue leur dignité.


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