Retrouvez-moi mercredi 15 octobre à 18h30 à la librairie Pages d'encre
9 rue des chaudronniers - AMIENS
Retrouvez-moi mercredi 15 octobre à 18h30 à la librairie Pages d'encre
9 rue des chaudronniers - AMIENS
La semaine qui vient de s’écouler dans
le vaste monde est toujours autant secouée par les atrocités des guerres, des violences
de toutes sortes, les vilénies et incivilités. D’une journée de funérailles outre-Atlantique
– certes triste car personne ne devrait mourir assassiné pour ses idées,
quelles qu’elles soient – à celle d’un procès très médiatisé dans l’hexagone et
au-delà, j’ai alors pensé à ces quelques mots qu’Erasme écrivait dans Eloge
de la folie[1]
et qui sonnaient avec une acuité sans fausse note dans l’air du temps. J’ai
recherché dans l’un de mes carnets de notes qui m’accompagnent au jour le jour
les mots exacts du philosophe hollandais. Ils pourraient avoir été écrits
aujourd’hui : « Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil,
de vanité, d’arrogance. Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les
applaudissent. » Quand on n’est guère du côté des fous qui applaudissent,
quand on n’est pas non plus du côté des langues qui vilipendent, tout contents
d’être sur le trottoir d’en face, quand on est juste de ceux qui s’affligent
des paroles sans raison, des actes sans moralité, on reste médusés et on va
chercher loin, au fond de sa conscience ou de ses prières, de l’optimisme et
une espérance pour l’avenir. Et l’on est aussi tenté de refermer les volets de notre
maison ou Datcha pour ne pas entendre les rumeurs du monde et savourer un thé
avec un bon bouquin.
Une portion de la route qui me permet
de me rendre au collège rural où j’enseigne est actuellement en travaux et la
déviation me fait passer par une sinueuse route de campagne laquelle descend
dans un vallon, si tant est qu’on puisse attribuer à la Picardie un relief
aussi marqué. Champs et pâturages côtoient des bosquets qui, déjà, virent au
roux par petites touches dans le vert fatigué et mat des feuillus. Ma voiture
entame une descente entre deux rangées d’arbres qui façonnent une allée
cavalière à l’orée du parc d’un majestueux château du XVIIIe siècle
en face duquel se dressent les murs de briques et pierres d’une ferme qui peut
s’enorgueillir d’un imposant pigeonnier en forme de porche, signe patent de la
richesse du domaine autrefois. Le village ne manque pas de charme non plus car
il a conservé plusieurs longères picardes nichées au fond d’une cour et qu’on
aperçoit furtivement lorsque le portail de la grange qui borde la route est
ouverte. Façade, pour l’une, en torchis passé à la chaux sur lequel se découpent
les boiseries vert vif, comme cela était encore typique dans la région il y a une
cinquantaine d’années. Façade, pour l’autre, bardée de planches. Ou encore celle,
aux nuances de beige, basse et engoncée dans sa courette, calée en angle droit
au mur coquettement restauré de ce qui fut autrefois la porcherie et l’étable.
Les week-ends du patrimoine mettent à
l’honneur monuments privés et publics, demeures d’écrivains et de personnes
célèbres. Des villages pittoresques accèdent aux happy few des Plus beaux
villages français. Comment ne pas tomber effectivement sous le charme des
bourgades alsaciennes, d’un Luberon semé de hameaux restaurés ou d’une poignée
de maisons bretonnes recroquevillées sur un petit port où la houle berce des
chalutiers ? Les villages picards, à quelques exceptions près, n’ont pas
d’unité architecturale. La fragilité du matériau – le torchis –, la saignée des
guerres, voire la pauvreté ont signé le déclin et la destruction des fermettes
locales. Le bâti y est hétéroclite,
insignifiant mais dans ce bric-à-brac de constructions au milieu duquel
l’église a su rester jolie quand elle n’est pas du XIXe ou
d’après-guerre, on peut parfois trouver une modeste demeure au charme désuet. Mes
trajets quotidiens, ces jours-ci, qui me font sillonner la rue principale de ce
village des bords de Noye, m’offrent ces plaisirs fugaces à happer ces traces
d’un passé honoré, cet habitat modeste d’hier de la paysannerie laborieuse. Et
montent en moi des images de mes maisons d’autrefois, dont celles des
arrière-grands-parents: longère aux volets vert sapin, aux tomettes brunes et
rideaux de crochet aux fenêtres, vaste maison cossue aux plafonds hauts, au
carrelage à damier noir et blanc et manteau de cheminée garni de barbotines et
chandeliers. Mes maisons d’hier ou d’aujourd’hui, amicales ou familiales,
portent souvent un, deux ou trois siècles sur leurs solives. Nobles ou modestes,
elles ont vu passer le laboureur picard, les chasses aristocratiques, le
vigneron sancerrois ou le fier Vendéen. Elles ont couvé des joies et des
peines. Elles sont pleinement ce patrimoine intime qui ne s’efface pas tout à
fait avec le temps, tant que durent les souvenirs.
Ce que deviennent les jours
Ce que deviennent les jours
Dans le pressoir du temps
Inexorable
Est-il seulement affaire de mémoire
La battue des heures
Écrase des mottes
Quand on a soufflé la fleur de pissenlit
Il est déjà trop tard
Le passé a les genoux écorchés
On ferait volontiers de petits paquets
D’ecchymoses de larmes de cœur gros
De joies bégnines
De déchirures ou d’amertumes
À caler entre les menus bonheurs
L’odeur des draps propres
Le ronron du vieux frigo
Dans nos anciens matins chocolat chaud
La poussière des craies
Nos soucis d’écoliers
Le tout bien plié
Expédié
Retour à l’envoyeur
Motif
N’habite plus à l’adresse indiquée.
Nathalie BONIFACE-MERCIER, Origami, Editions Unicité (2025)
Les
derniers jours des vacances sont déjà loin et si près à la fois. L’ultime
échappée belle s’est nourrie d’images, mais pas de celles qu’on épingle sur les
réseaux sociaux. Parce que l’intime ne s’affiche pas. Parce qu’il y a des
moments précieux, ténus ou volatiles que l’appareil photo ou le téléphone
portable ne capte pas. Mon album des derniers jours d’été loin de chez moi est
fait de musique : quelque part dans une petite église en Vendée, les voix
magnifiques d’un chœur amateur chantant le Veni Creator, quelque part en
Charente, dans le salon d’une maison de famille, une envolée majestueuse au
piano d’un morceau de Keith Jarrett. Tournons les pages de mon album. Les
couleurs déclinées au soleil levant, au cœur du jour ou au couchant : la
prairie et les moutons devant les volets tout juste ouverts, le blanc irradiant
de la robe de la mariée, le millefiori des têtes chapeautées, les
teintes d’ocre du clocher du village. Il s’échappe des parfums de mon
album : celle du foin accablé de chaleur, celle des chemins de terre au
petit matin qui innervent la campagne charentaise. Il s’échappe des saveurs :
douceurs du cocktail, tomates délicieuses et pêches du jardin, vin grenat
savoureux. Mais je garde pour moi et les personnes aimées avec qui j’ai partagé
tous ces moments l’essentiel, ce que la photographie ne capte pas, les mots
glissés, murmurés, déclamés, chahutés par les rires ou l’émotion. Les mots qui
disent de longues histoires, les mots des jeunes, les mots d’une vieille dame
née dans cette lointaine et ancienne Indochine, les mots des prières à Notre
Seigneur, les mots où l’on se confie, les mots des voix de ceux et celles avec
qui j’ai vieilli, de près ou de loin, les mots des voix nouvelles et inconnues
avec qui j’ai partagé un fragment de vie, une coupe à la main.
Un
album bien garni, bien épais dans mes souvenirs et encore tout plein de pages
vierges qui se rempliront au fil des ans.
Avec le mois d’août
revient la date anniversaire de ce blog.
Quatre ans ! Quatre ans d’écriture plus ou moins féconde, plus ou moins régulière et 145 chroniques publiées depuis que la datcha a ouvert ses portes.
Un rythme au ralenti cette année, semble-t-il. La faute à d’autres travaux d’écriture
en cours ? Ou à celle de manquer d’inspiration parfois ? Comment trouver
le sujet pertinent sans tomber dans le journal intime ni avoir la plume acerbe
quand la bêtise du monde exacerbe la souffrance ? Rédiger des articles, qu’ils
soient en phase avec l’actualité ou achroniques, légers ou sérieux, requiert
une discipline. Cela a quelque chose du rendez-vous. J’ai sans doute un peu
perdu en constance et, partant, en fidélité. Mon lectorat, pourtant, ne m’a pas
lâchée et je m’en réjouis. En quatre ans d’existence, ce blog a franchi la barre
des 10 000 visites. Un chiffre dérisoire au regard des milliers ou
millions de followers de sites sur les réseaux sociaux, c’est vrai. Mais je l’assume.
Dans un monde où tout et n’importe quoi se chiffre, quelle est encore la valeur
d’un nombre ? Seul compte à mes yeux le plaisir de mes visiteurs à pousser
le portillon de ma modeste datcha. Merci à vous. Seules comptent à mes yeux la
rigueur et la sincérité de mon écriture. Pour vous. Pour moi.
[…]
Chez Thérèse, on arrive comme on viendrait embrasser une grand-mère ou une
grand-tante.
–
Entre. Je n’ai pas le temps de m’occuper de toi. Je suis avec Martin. (Dans le
hall sombre d’une vieille maison, j’écarquille les yeux pour mettre un visage
sur la voix déjà connue et sur une massive silhouette vêtue d’une longue
tunique orange.) Voilà ta chambre, la salle de bain. Va à la cuisine. Prends ce
que tu veux sur la table ou dans le frigo.
Pas le temps de dire ouf. Ma prêtresse en toge
safranée a disparu. Les étagères du couloir ploient de mille et unes choses
abandonnées par une maîtresse de maison plus soucieuse d’accueillir et choyer
des pèlerins que de confiner sa solitude de retraitée dans le rangement
d’objets inertes, sarcophages du désœuvrement. Chez Thérèse, les papiers
bruissent sur le buffet de cuisine, aux murs, les cadres, crucifix, posters,
dessins et drapeaux nous font un clin d’œil. La maison est vouée à l’accueil,
en témoignent les lits de camp alignés dans une pièce qui fut autrefois une
salle à manger. Si besoin, ils seront dépliés pour un pèlerin tardif. Nul
esprit mercantile ici. Simplement la maison du Bon Dieu. Sur la table de
cuisine, je n’ai que l’embarras du choix : cinq ou six sortes de sirops,
de l’antésite à la réglisse ou à la menthe, des fruits secs, des fruits frais,
des biscuits, des bonbons. Au matin, les auront rejoints yaourts, sachets de
thé, confitures, miel, œufs durs.
Ma chambre jaune aux tables de chevet vert
d’eau est une chambrée de nanas. Hélène, la Québécoise, Bénédicte et Claire,
les deux amies instits. Mise en ordre des sacs, échange de potins, rédaction du
carnet de route. Le bonheur s’est assis sur nos lits. On l’emmène dans la
cuisine au dîner. Thérèse lève un toast et chante :
Tous
les matins, nous prenons le chemin.
Tous
les matins, nous allons plus loin.
Jour
après jour, la route nous appelle.
C’est
la voie de Compostelle.
Ultreïa !
Et suseïa ! Deos adjuva nos !
On
reprend en chœur. Les filles de la chambre jaune et moi, Adrienne et
Christiane, deux amies et le couple de Mulhouse. Et trinquent nos verres !
Et dansent nos fourchettes tandis que tournent les plats : olives
onctueuses, gousses d’ail marinées et fondantes, rillettes, salade de crudités,
larges tranches de mozzarella, risotto … non, vraiment, sans façon, Thérèse, on
n’a plus faim pour la viande. Le plateau de fromage est riche mais la
Québécoise, rassasiée, le boude poliment. Thérèse la rabroue :
–
Ferme ton caquet, ma chérie, et goûte le bon fromage de France !
Le vin est gouleyant. Nos mines sont gorgées
de joie de vivre. Thérèse, entre deux verres, nous glisse que son médecin lui
reproche de trop participer aux agapes quotidiennes avec ses pèlerins. Agapes
qui ce soir s’achèvent sur des morceaux de melon trempés dans du floc, boisson
alcoolisée traditionnelle de l’Armagnac.
Nathalie BONIFACE-MERCIER Le Chemin des Veilleurs, Editions Unicité 2017 (pages 121 à 122; été 2009)
Au
seuil des grandes vacances, mon esprit est un méli-mélo de pensées. Se détacher
peu à peu de ces visages et personnalités d’élèves qui ont été mon quotidien
une année scolaire durant dans cette intimité de connivence et petites
tensions. Alors que des images de paysages, de tablées de restaurants ou de
maisons d’amis des étés précédents refont surface en moi et qu’un canevas
d’images des voyages et découvertes à venir se tisse dans la griserie des
envies, se glisse subrepticement un sentiment d’empathie pour quelques-uns de
mes élèves qui ne partiront pas en vacances, ne verront ni la mer ni la
montagne, n’auront peut-être même pas les joies simples d’une partie de pêche
improvisée ou d’une balade à vélo dans la campagne, parce que la toile du web
les retient dans ses filets de faux loisirs.
Au
seuil des grandes vacances, la maison est à ranger, le jardin à désherber. Le
tutu et les chaussons de danse ont rejoint le placard, la scène sous les
projecteurs est déjà loin. Le cartable est vidé, le pot de fin d’année déjà
passé, jamais le même au gré des départs et pourtant toujours semblable avec
notre fatigue lancinante, les couloirs et le réfectoire rendus au silence.
Au
seuil des grandes vacances, des chemins de terre se croisent dans ma tête,
l’impatience de chausser les chaussures de randonnée. Des chemins d’écriture
s’ouvrent à mon cerveau jamais en repos. Reprendre en main la Datcha dont la
porte est toujours restée ouverte pour les nombreux de lecteurs venus picorer,
leur mettre de nouveaux plats sur la table, de nouveaux bouquets dans les
vases. Semer ci et là sur le papier des poèmes. Rouvrir le roman en cours.
Prendre note de projets à venir. Contacter les organisateurs de salons, les
bibliothèques, les libraires pour la promotion de mon recueil de poèmes Origami.
Au
seuil des grandes vacances, savourer l’idée que des recettes à tester pourront
être réalisées. Se sentir pousser des ailes de chef étoilé avant de s’accepter
modeste gâte-sauce devant la casserole.
Au
seuil des vacances, revenir de la campagne après un déjeuner familial et boire
des yeux la lumière estivale de fin d’après-midi sur les champs de blé pas
encore moissonnés et remuer en soi cette bienfaisante satisfaction d’une année
scolaire achevée qui délivre enfin du vague à l’âme du dimanche soir.
Danse,
opéra et littérature sont souvent de connivence. Carmen, bohémienne sans foi ni
loi, séductrice impitoyable, cueille les cœurs au gré de ses caprices. Gare à
qui se laisse prendre dans ses filets. Qui ne connaît Carmen ? Elle
traverse les années, fête ses 180 ans[1] sans prendre une ride. Le
3 mars 1875, elle monte pour la première fois sur scène dans l’opéra de Georges
Bizet, opéra le plus joué jusqu’à nos jours. Le 21 février 1949, le chorégraphe
Roland Petit signe une flamboyante interprétation, toujours dansée à travers le monde. Je
me souviens d’avoir vu, enfant, ce ballet donné au théâtre du Châtelet par la
compagnie du Ballet National de Marseille. Un souvenir inoubliable ! La sauvage
Carmencita n’a pas fini d’inspirer metteurs en scène et chorégraphes.
Sa
célèbre habanera retentira samedi 14 juin 2025 sur la scène de Mégacité
à Amiens (20 heures 30).
Elle
écartait sa mantille afin de montrer ses épaules et un gros bouquet de cassie
qui sortait de sa chemise. Elle avait encore une fleur de cassie dans le coin
de la bouche, et elle s’avançait en se balançant sur ses hanches comme une
pouliche du haras de Cordoue.[2]
[1] Octobre
1845 : parution de la nouvelle Carmen de Prosper Mérimée dans la
Revue des deux mondes.
[2] Carmen,
Prosper Mérimée, extrait du chapitre III, page 94 Livre de poche (1996)
Dimanche
1er juin, j’ai la chance et la joie de participer à la clôture du
Festival du Rayon Vers, festival de poésie de la région Hauts-de-France, dont
les premières pousses et boutures sont à l’initiative des Éditions La Chouette
Imprévue. Ce festival, durant tout le printemps, met à l’honneur la poésie par
des lectures et spectacles ; tisse des liens entre des poètes français et
belges (proximité géographique et linguistique) et les auditeurs, propose des
ateliers d’écriture poétique. Grande première cette année, le musée de Picardie,
à Amiens, nous ouvre ses portes pour une déambulation entre les œuvres au fil
des vers. J’y lirai, l’après-midi, des extraits de L’Engrangeoir mais également
d’autres poèmes. Pour l’occasion, j’avais taquiné la muse en musardant dans le
musée et mon coup de cœur s’était porté sur un tableau d’Albert Maignan, La
Muse verte. Muse séductrice et dévorante puisqu’il s’agit ici de l’absinthe,
boisson appréciée des artistes du 19ème siècle mais qui, chez moi, n’a
connu que le bout de mon crayon et pas trempé dans mon verre ! Or, hasard
du calendrier, le musée prépare une exposition rétrospective sur l’œuvre du
peintre Albert Maignan et ma Muse verte a donc pris la poudre d’escampette !
À défaut de pouvoir lire mon poème devant la demoiselle, le voici présenté à la
Datcha.
La Muse verte (1895) Albert Maignan, musée de Picardie
Je suis ta fuite
Ton orgueil
Ta solitude
Quand tu chavires
Vaisseau amer homme
défait
Renversé par la lame de
tes échecs
Je suis naïade
Je t’ensorcelle, je
t’aspire, je t’étreins
Vouivre verte dans ton
verre
Je te cède l’insaisissable
ivresse
Te murmure des songes
Qui cognent
Je t’efface des horloges
Je suis ton exil des
places habitées
Je suis ta douleur
d’amour perdu
Je t’embrasse et te
caresse
Je serpente en toi
Femme venin
Je me repais de ton
abandon
Tu cherches les mots
Tu bâtis des chimères
Qui n’ont point loi de
vers
Poète désarmé
Tu ris quand tu voudrais
pleurer
Dans le ressac des
illusions
Tu crois saisir ton
destin
Et me résister
Mais je te voile les yeux
Écharpe d’organdi
Légère mais point volage
Et muse fidèle toujours
je reste à tes côtés.
Nathalie
Boniface-Mercier
10 mai 2025
Au
jardin, un couple de mésanges charbonnières virevolte du rosier au nichoir
installé cet hiver, sous l’œil averti de Piccolo. Comment concilier mon amour
des chats et des oiseaux ? Espérons que l’un n’aura pas la patte trop
véloce et que les autres auront le battement d’ailes suffisamment vif.
Au
bureau, les relectures multiples des épreuves d’un livre, avant de signer le
bon à tirer, me demandent d’avoir des yeux de lynx pour chasser les coquilles plausibles.
En ces moments-là, le livre à venir n’est
pas encore concret malgré l’image de couverture proposée par l’éditeur. Maquette.
Mirage, presque. L’émotion est toujours là. Mais ce n’est plus la fièvre
impatiente des premières fois. On sait attendre. On lit, on relit. Le texte
finit par être désincarné. Des lettres, des mots comme des dessins, qui n’admettent
pas le moindre écart. Je ne me suis jamais remise d’un de mes livres publiés
quelques années plus tôt, truffé de fautes faites par un correcteur automatique
d’orthographe - le comble ! - alors
que mon tapuscrit en était indemne. Malgré mon œil sagace et agacé à traquer
ces irrévérencieuses bévues, j’en ai laissé filer deux ou trois, fatigue oblige,
et de celles que j’avais signalées toutes n’avaient, hélas, pas été corrigées.
Quel gâchis ! Un si bel ouvrage (je parle du livre en tant qu’objet), un travail
d’écriture si long (plusieurs années de recherches et de rédaction). Mes chères
princesses, vous m’avez vue bien désolée. Depuis, j’ai toujours ce pincement au cœur
quand un livre est en cours de fabrication, quand bien même, heureusement, il y
a des éditeurs très scrupuleux et en qui je peux avoir confiance. Un écrivain
doit tant à ses éditeurs ; ils font la pluie et le beau temps sur le champ
que l’auteur a longuement labouré et ensemencé.
La surprise et la joie de
découvrir la vitrine d’une librairie consacrée à la poésie où figure mon
recueil L’Engrangeoir. Un grand merci à la Théière de la libraire
d’Amiens qui assure si gentiment la promotion des ouvrages des éditions de La
Chouette Imprévue. Mon Engrangeoir a encore de beaux jours devant lui ! Il
a même été réédité en janvier dernier !
C’en est fini des frimas ! Dans le
jardin, les muscaris goûtent un soleil bien trop ardent pour la saison. Le
climat brouille décidément ses cartes tandis que les remous du vaste monde,
au-delà des mers, des frontières continuent de nous laisser pantois ou dépités
quand ils ne nous révoltent pas. Sans compter, dans notre pays, le vacillement d’une
piteuse dame en blazer bon genre du style arsenic sans vieille dentelle. Sans
compter la dernière tirade d’un roi désormais nu sur scène et qui n’attendrit
plus depuis qu’il a troqué son nez de Cyrano pour celui de Pinocchio. Pour ne
pas sombrer dans l’accablement, accrochons-nous à la nature renaissante, à
l’amitié, aux mots, qu’ils soient ceux de la prière, ceux des poèmes ou ceux
des messages d’affection. J’ai fait le
choix, cette semaine, de fermer les yeux sur les vilénies de tout poil, j’ai
ouvert les oreilles sur les mots bien semés dans nos mémoires. Une magnifique
soirée de lectures croisées, offerte par le Festival du Rayon Vers, celle des
poèmes de Béatrice Libert, admirablement mis en voix par la poétesse elle-même, celle d’extraits
de romans de Jules Verne dont le génie visionnaire avait su rendre avec une
exactitude incroyable les éruptions volcaniques sans le secours d’images en
live comme peuvent nous en offrir aujourd’hui photographies et caméras.
Cette volcanique édition 2025 du Printemps des poètes est bien incandescente,
pour notre plus grand plaisir.
Alors vivons dans la confiance,
armons-nous contre les maux d’ici-bas comme Béatrice Libert nous le dit si bien
dans son poème[1] :
Le
poème
Fait
ses griffes
Sur
l’écorce
De
la vie
Puis
il recoud
Nos
phrases déchirées
Avec
le coton muet
Des
mots non dits
Dans
un article de la revue de poésie Tohu-Bohu consacré à la poétesse Colette
Nys-Mazure, celle-ci déclare : « Je persiste à vivrelireécrire
en un seul mot. » Je ferais bien mien cet adage – en ajoutant toutefois le
verbe danser – mais le quotidien est souvent dévoré par le vivre, dans ce qu’il
a de plus prosaïque. Verdict bien sévère, j’en conviens. Faut-il caser mon
travail d’enseignante ou les heures de préparation des repas dans la part du
prosaïque ? Parfois la routine gâte les nécessités heureuses ou
confortables. Un emploi du temps chargé tous azimuts. Retenons
toutefois ces trois heures sympathiques passées avec des étudiants du CROUS
d’Amiens au cours d’un atelier d’écriture, fin février. « Écrire de la
poésie, leur avais-je dit, ce n’est pas faire un Rubik’s cube, c’est plutôt
jouer avec un kaléidoscope. La poésie est une infiltration dans le monde, une absorption
du monde. Un réel transfiguré. » Ce
fut une très belle rencontre. Assidus déjà à la pratique de l’écriture, d’horizons
divers, mes jeunes poètes ont tissé slam et poésie, confidences et anecdotes
sur le métier à tisser de leur vie et ont partagé leurs écrits dans leur
connivence et bienveillance de groupe soudé, passionné.
Et
comme l’art et la poésie font bonne alliance, retenons aussi cette visite du
musée d’Amiens sur le thème des femmes, 8 mars oblige, menée par une collègue
de lettres classiques familière de ces lieux où elle travaille à temps partiel.
Une parenthèse pleine de délicatesse et de beauté.
À l’agenda, salon du livre demain : Bondues. Où je suis heureuse de retourner tant cette manifestation est dynamique. Le salon du livre de Bondues fut l’un des premiers auxquels je participai il y a quinze quand venait de sortir mon recueil de nouvelles, Les souvenirs n’encombrent pas les placards. Les salons sont le verso du travail de l’écrivain. Au recto, les heures d’écriture dans la solitude.
[…]
mais ce qu’achevait de déclarer cet homme était terriblement vrai, fort comme
une gifle : les livres ne parlent jamais assez du bonheur.
– Et l’ouvrage que vous lisez est-il
heureux ? lança-t-elle sans réfléchir.
Frank
ANDRIAT Jolie libraire dans la lumière, Editions Desclée de Brouwer
poche (2015) Page 23.
Cela fait un moment que j’ai en tête de
donner, dans la Datcha, une liste de livres qui font du bien au moral. Et voilà
que le roman commencé hier soir me fait un clin d’œil. Des livres heureux. Quelle
belle épithète ! Ne me viennent pas forcément à l’esprit des livres qui
traitent tous du bonheur ; d’ailleurs bonheur et littérature ne font pas
toujours bon ménage. On nous vend tant de romans médiocres sous le qualificatif
de feel good. Certes, la notion de bonheur est subjective. Quelle que
soit l’amplitude de votre bonheuromètre ou votre seuil d’acceptation de
votre bonheurophagie, quel que soit l’ingrédient qui vous pousse à
sourire ou carrément rire, je vous ai concocté une liste (non exhaustive bien
sûr !) des livres qui me font du bien au moral, me font rire ou
m’apaisent. Des livres doudous ou enclins à activer les zygomatiques. On en a
d’autant plus besoin que le climat ambiant international ou hexagonal est bien
morose.
Pour
rire tout court (ou rire aux larmes, selon propension personnelle)
Smoke
Donald WESLAKE
Le
vicomte pourfendu Italo CALVINO
Un
curé d’enfer et autres racontars Jørn RIEL
Ces
dames aux chapeaux verts Germaine ACREMANT
La
reine des lectrices Alan BENNETT
Un
clafoutis aux tomates cerises Véronique de BURE
Pour
s’abreuver de beauté et de mots apaisants, d’atmosphère nostalgique
L’enfant
et la rivière Henri BOSCO
Trésors
d’enfance Christian SIGNOL
Les
petits bonheurs Bernard CLAVEL
La
petite dame en son jardin de Bruges Charles BERTIN
Parfums
Philippe CLAUDEL
Mister
Mouse ou la métaphysique du terrier Philippe DELERM
Pour
combattre la morosité, pour vivre d’énergie et d’espérance
Aujourd’hui
je choisis la joie Christie VANBREMEERSCH
Une
vie pour les autres, l’aventure du Père Ceyrac
Jérôme CORDELIER
Pour
gourmands voyageurs
Saveurs
vagabondes, une année dans le monde France MAYES
Les
vacances de février ont pour moi ceci de bon : qu’importe la grisaille puisque
la lumière du jour repousse la nuit. Les oiseaux pépient modestement, faisant
fi du crépuscule. C’est le temps des crêpes, des feux de bois et des lectures
derrière une fenêtre baignée de soleil ou sous la lampe, alliée d’un après-midi
gris. Une parenthèse tranquille, débarrassée de la fébrilité obligée des fêtes
de fin d’année. Février nous offre la lumière de la Chandeleur et tous les
quatre ans, au dénouement, un « rappel » avant que le rideau ne
tombe. Février est un mois jeune, fougueux, ambitieux mais aussi plein d’humilité
et de patience quand il ploie sous les bourrasques, les averses et les gelées. Et
qui, au gré du calendrier liturgique, invite à l’entrée en Carême. Mes congés scolaires
sont rythmés par les lectures et l’écriture. Les derniers livres des cadeaux de
noël, ceux d’un anniversaire immuable dans le prologue de l’année nouvelle et les
oubliés qu’on redécouvre au gré d’un rangement du bureau.
Un
bouquiniste de ma ville (évoqué à la Datcha dans la chronique du 22 juillet
2024) proposait il y a quelque temps une vente en ligne alléchante : des
livres brochés à un euro et des poches à soixante-dix centimes. Ma souris a
trottiné de couverture en couverture, prête à mordre au grain puis s’est
ravisée. Provisions à peu de frais, certes mais qui ferait vite basculer dans
la razzia goulue. On n’achète pas des livres comme on commanderait un lot de chaussettes
à la Redoute ! Flâner en librairie ou chez le bouquiniste a autrement plus
de charme. Modération, sœur de la sagesse, m’a pris la main et j’ai lâché la
souris.
Premier
week-end des vacances. Je sors du cours de danse et j’attends l’heure d’aller
écouter une conférence. Mes pas me mènent dans une librairie. Coup de cœur pour
un titre et une quatrième de couverture, une bouchée grignotée dans une page au
hasard. Me voilà riche de deux histoires et auteurs dont j’ignorais tout peu de
temps avant. Gourmandise de mots pleins de promesses : La main sur le cœur[1] et La Maison aux
sortilèges[2].
Et comme les mots sont volontiers joueurs, je remarque à l’instant même où je copie
le nom des auteurs qu’HART et HARTÉ sont paronymes à souhait. Hasard d’un
glanage en librairie ! Acheter des livres sur l’écran n’a point cette
magie-là.
Cette
semaine, il a neigé en Picardie. Juste de quoi voir virevolter les flocons et
blanchir les toits. Une douceur pour les yeux, happée à la dérobée, entre une
dictée et un exercice de conjugaison, dans une classe studieuse malgré l’envie
d’honorer l’éphémère reine de l’hiver. J’aurais pu vous écrire sur celle que
j’appelle volontiers la silencieuse. Mais j’ai choisi, à contre-courant des
saisons, de vous parler de l’alouette. Je l’avais déjà invitée à la Datcha, en
septembre 2022. Je l’aime tant !
Ces
jours-ci, je lisais Eloge de l’alouette[1],
un joli petit livre acheté l’été dernier dans une librairie, en Auvergne. L’auteur,
Francis Gremberg, vit à Bailleul, dans le Nord. C’est un homme de ma génération
dont l’enfance s’est déroulée à la campagne. Il a grandi avec le chant de
l’alouette, loin de savoir, à l’époque, qu’il perdrait un jour le privilège de
l’entendre grisoller dans le ciel du nord : « Je vous écoutais et
j’étais sous votre emprise. Votre chant de plein ciel était pour moi une
révélation. Un oiseau chantait et le monde devenait plus beau. Je ne savais pas
à l’époque que vous possédiez une des gammes les plus riches de la faune
aviaire, avec plus de six cents notes et articulations en phrases[2].
[…] Je me souviens de vous aux marches de l’hiver, quand novembre s’étalait
brumeux et froid sur les champs nus. Vous étiez alors une consolation
inattendue. À la seconde, vous inversiez les saisons et effaciez ma mélancolie.[3] » Comme lui,
l’alouette fut l’enchantement de mes promenades à travers champs, du mois
d’avril quand les prunelliers fleurissaient à l’été - en dehors des moissons
bruyantes et poussiéreuses - en passant par le mois de mai fleurant bon l’aubépine
et celui de juin éclatant dans les cytises.
Mes yeux éblouis par la lumière couraient dans le ciel à la recherche de
l’oiseau qui lançait ses trilles très haut. On l’entendait mais on ne la voyait
point. Elle estampillait les beaux jours dans cette région au climat peu
clément, elle était insouciance, légèreté et compagne d’un temps étale, sans
contrainte, celui du long week-end sans école ou des grandes vacances infinies.
Parfois, on l’apercevait voletant sur place avec une ténacité dans son
battement d’ailes qui n’avait d’égal que son chant incessant. Lire le bel
ouvrage de Francis Gremberg, c’est conjuguer ses souvenirs de p’tit gars des
champs à mon enfance rurale. C’est partager sa peine et son inquiétude
actuelles. Si l’alouette a disparu de la terre de Bailleul, elle n’est plus
beaucoup là dans mon coin de Picardie. Zones de culture agricole intensive, on
l’aura compris. Glyphosate et compagnie plument l’alouette. Je suis parfois
prise d’angoisse de songer que ce frêle oiseau peut disparaître à tout jamais
et que nous n’ayons plus que des vidéos sur Internet pour l’écouter. Moment
volé que je me suis accordé avant de rédiger cette chronique et qui n’a, hélas,
pas les vertus d’une vraie balade dans la nature. Mais le chat Piccolo qui
dormait sur mes genoux a sauté devant l’écran, son oreille de chasseur en
alerte, sa patte véloce prête à bondir sur l’image. Le leurre est-il plus grand
pour lui ou pour moi ? C’est discutable.
L’opus
de Francis Gremberg ne s’attache pas seulement à consigner sa nostalgie en une
langue poétique et douce, il nous convie à retrouver l’alouette chez les poètes
ou sous la plume des soldats de 14-18 qui l’entendirent chanter, imperturbable
une fois la canonnade arrêtée, inébranlable image de l’espérance devant la
folie des hommes. Il la traque dans les champs cultivés de toutes régions, se
défiant des chiffres et pourcentages aléatoires mais guère rassurants mais
aussi dans le champ sémantique de la langue française. L’alouette est
partout : une rue de lotissement, un type d’hélicoptère, le nom d’une
revue, le surnom que Jean Valjean donna à Cosette et, bien sûr, la comptine que
nous avons tous chantée : « Alouette, gentille, alouette, je te
plumerai… ». Enfant, bien que j’ignorasse que l’on pouvait manger l’oiseau,
je n’aimais ni la musique ni la rengaine. Je pressentais au-delà de ces paroles
a priori innocentes une indéfinissable perversité qui troublait la petite fille
que j’étais.
[1] Francis
GREMBERG, Eloge de l’alouette, collection La rencontre, Editions Arléa
(2023)
[2] Page 10.
[3] Page 28.
Plus
que quelques heures et nous aurons changé d’année. Le crépuscule vient de
tomber. La ville bruisse. Dans les foyers, on s’active aux fourneaux ou l’on
occupe les heures sans se soucier de leur accorder de l’importance. Fêter une
nouvelle année n’est pas du goût ou de la disponibilité d’esprit de tous.
Ce n’est heureusement pas une obligation, un Sésame, ouvre-toi dont il
faudrait impérativement maîtriser le code pour franchir le seuil. Il y a
toujours en moi une ambivalence à entonner le refrain d’un Happy New Year.
Comme à Noël, on pense à ceux que la tristesse submerge, à ceux qui n’ont d’autre
compagne que la solitude, la pauvreté ou la maladie. On pense à ces contrées
écrasées par les guerres. Comme à Noël, on pèse ses mots pour ne pas heurter.
Mais Noël vit d’Espérance et de Paix. La Saint-Sylvestre et le 1er
de l’an ont un je ne sais quoi de léger, d’insouciant, d’insolent. D’utopique
aussi. Ne souhaite-t-on pas, en effet, vraiment le meilleur pour sa famille, ses amis,
ses voisins, son prochain ? Indéniablement oui. Alors que ces quelques vœux
semés dans ma datcha aient la belle utopie du cœur.
Je
vous souhaite une belle année dans la douceur des jours que des flocons de
neige, une brise d’avril, la lumière d’été, l’orangé ambré de l’automne nous
donneront au cours de 2025.
Je
vous souhaite une belle année dans la simplicité d’un sourire, d’un compliment,
d’un rire complice, d’une main encourageante sur une épaule.
Je
vous souhaite une belle année dans l’attention portée aux autres et reçue des
autres.
Je
vous souhaite une belle année dans la magie des arts et du spectacle de la
nature.
Nous
avons tous besoin
D’une
espérance en nous,
D’une
petite flamme au milieu de la nuit
Qui
passe de main en main,
Ou
de sourire en sourire.
Cette
espérance
Fragile
comme un enfant à Noël
Nous
donne une force immense.
Extrait de la Prière de la Lumière de la Paix de Bethléem 2024