« L’unique
joie au monde est de commencer. Il est beau de vivre car vivre c’est commencer,
toujours à chaque instant. » Je n’irai pas jusqu’à penser, comme le
poète Cesare Pavese, que commencer est l’unique joie. Mais à l’heure de la
rentrée, commencer et recommencer sont les injonctions du présent. Avec leur
lot d’appréhension et d’incertitudes, mais aussi avec l’emballement de l’enthousiasme.
Il y a les engagements inévitables, dont on accommode peu ou prou. Et cette
myriade de projets qui gravitent autour. Un champ de possibles. De quoi ai-je envie ?
Quelles opportunités vais-je saisir ? Qui s’assiera sur la chaise vide ?
Saurais-je mettre de la poésie sur le quotidien ? Aurais-je toujours du
souffle pour écrire ? De l’énergie pour les pirouettes et les arabesques ?
Quels films, quelles expositions, quels
livres me seront proposés ? Quelles nouvelles rencontres enrichissantes
ferai-je ? Qui retrouverai-je autour d’un bon dîner ?
La
vie des enseignants est rythmée par la rentrée des classes. C’est un éternel
recommencement, mais jamais pareil aux années précédentes. La reprise du
cartable cultive toujours en nous une part d’enfance. Je n’ai plus d’étiquettes
sur mes cahiers et mes crayons, ni de blouse à enfiler. Et la petite fille aux
couettes bouclées n’est plus. Mais le cœur chavire un peu le premier jour, à l’unisson
avec les élèves, les intimidés comme les blasés.
En
contrepoint de cette première semaine rythmée par les listes d’appel et les
cours, mon jardin secret se fraye un passage. Ma part rêveuse se recroqueville
dans ma datcha. Mon corps se gorge de fleurs, d’herbe fraîche à l’aube. La
voici déjà moins encline à paraître. La lève-tôt que je suis l’attend. J’ai des
velléités de désertion. D’école buissonnière. Sillonner les chemins, ramasser des mûres,
aller écouter l’alouette. Alors je convoque des rentrées d’autrefois, commémorées
dans les livres, elles ont bruit de galoches, odeur de laine mouillée dans les
frileux matins d’octobre quand les hirondelles étaient encore nombreuses sur
les fils. La cloche sonne à Epineuil-Le Fleuriel. Le costaud là-bas qui, d’une
tête, dépasse ses camarades a des épaules trapues de charron qui ondulent dans
la vague noire des sarraus. Il court l’enfance perdue, louvoie vers une
adolescence gauche aux entournures.
La
cloche a sonné.
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