mercredi 24 avril 2024

L'appel des chemins verts

 



Vacances. Sans vacance. Des copies à corriger. Une conférence[1] que je suis invitée à donner et qu’il me faut boucler. L’incendie du Bazar de la Charité, un sujet grave et particulièrement émouvant, que j’avais eu l’occasion d’évoquer dans Destins tragiques de princesses[2], au chapitre consacré à Sophie-Charlotte d’Alençon. De gazettes en témoignages, je tire des fils, j’assemble des idées. Ce terrible fait divers eut un retentissement politique et sociétal sans pareil et une étonnante résonance dans cette fin de siècle où l’art donnait volontiers dans le décadentisme avec des artistes comme Félicien Rops et Gustave Moreau, avec des récits de sadisme chez Barbey d’Aurevilly, auteur que j’avais découvert adolescente et lu avec circonspection, toute parée de ma fraîcheur innocente d’alors. J’étais aux antipodes des pamoisons de Madame de Mortsauf et je découvrais que la littérature pouvait être venimeuse.

Mes doigts courent sur le clavier et je fais un détour car, en fait, je voulais consacrer ma chronique aux chemins verts de la campagne. Je suis en manque de nature et ma pensée, pas toujours corsetée dans le travail, se jette parfois dans les sentiers de balade qui m’attendent. Chemins de halage de bord de Loire, sentes entre les vignes de la colline sancerroise. J’ai faim de dévorer le vert tendre d’avril, de boire la lumière du val des rois dont la région de Jacques Cœur est la queue de comète. C’est un coin de terre qui m’est cher. Terre de ma jeunesse bien qu’elle ne soit pas mon petit Liré. Sancerre, l’austère et grise protestante, âpre et tenace, dont seules quelques pierres savent encore murmurer la complainte. Sancerre, la pimpante, touristique et avenante, gouleyante comme son vin blanc. Je te connais en toutes saisons. Parfumée des vendanges à l’automne, abrutie de soleil en été, embrumée et frisquette l’hiver. J’ai parcouru toutes tes ruelles abruptes. Je peux les égrener de mémoire, en un poème à la mode d’antan. Rue du Puits de Dieu, Rue des Pressoirs, rue du Serre Cœur, rue de la Chèvre blanche, rue du Mouton noir, rue Porte serrure, rue du Carroir de velours, rue du Vieux prêche, rue des Petits remparts. Ce sont des mots qui chantent à mon oreille et bercent mes souvenirs. Des repas de famille, d’amis. Des pas d’enfants qui trottinent dans l’ombre des vieilles demeures. Un abricotier dans un jardin. Une terrasse, avec au loin, le ruban alangui de la Loire. J’ai hâte de croquer la galette berrichonne aux pommes de terre, un quartier de crottin de Chavignol et de plonger mes yeux dans le reflet jaune citrine d’un verre de sauvignon. Patience…




[1] Conférence à l’Espace Dewailly, place Dewailly, amphithéâtre Jean Cavaillés, AMIENS, samedi 1er juin 2024 à 14h30, proposée par l’association Les Amis de la cathédrale.

[2] Nathalie BONIFACE-MERCIER, Destins tragiques de princesses, Editions Jourdan (2021)


samedi 13 avril 2024

Dilemme


 


S’il me fallait choisir

Entre ma garde-robe et ma bibliothèque

Je garderais mes livres

Et un vieux pull qui a mémoire de mes anciens chagrins

S’il me fallait choisir

Entre le placard de la cuisine et ma bibliothèque

Je me nourrirais de livres

Et d’un œuf à la coque avec une pointe de sel

S’il me fallait choisir entre mes flacons de parfum et ma bibliothèque

Je puiserais dans les poèmes les enivrantes senteurs

Et les effluves volatils du vent saisonnier

S’il me fallait choisir

Entre mon jardin et ma bibliothèque

J’emporterais les livres au jardin

Parce qu’il y a des dilemmes pour lesquels on ne tranche pas

Recto verso valent un même bonheur.

 

Nathalie Boniface-Mercier 


lundi 1 avril 2024

Collier des jours

 



La datcha semble assoupie ces derniers temps. Les semaines chargées m’accaparent. Il me vient parfois des idées de chroniques, une jolie phrase qui effleure la poésie, une image que je voudrais confier aux mots, des bribes de sujets, le tout ne s’assemble pas, même si, épars, ces morceaux viennent du collier des jours. À vivre trop vite ou sans se retourner, on casse des fils et les perles se défont. On les ramasse, on les abandonne dans une coupelle ou un tiroir. Petites boules vulnérables, esseulées. Elles ne sont pourtant pas moins belles que dans l’ordonnancement des jours et des saisons, que jointes les unes aux autres sur le cordon du bijou. Laissons mes doigts fouiller ce vide-poche de mots glanés, d’images conservées. J’ai bien de quoi composer une rivière de diamants pour honorer le quotidien. La tête d’un faisan émergeant à la lisière d’un champ de colza, un écureuil traversant la route, panache en radar, la lumière des cierges de la veillée pascale sous les voûtes en ogive, les mots luminaires et firmament dans le Livre de la Création, l’éclosion des premières jacinthes dans le jardin, le parfum d’un baeckeofe qui mijote au four, des bribes de poèmes lus à la sauvette dans un vent coulis de poésie qui glisse dans les heures laborieuses, le chant des oiseaux – prémices de l’aube – , la présence discrète de la mésange à tête bleue sur une branche d’arbuste à quelques mètres de mon bureau, le sautillement du merle qui accourt, tel un animal de compagnie, à ma vue, dans l’espoir de trouver au pied du rosier le quignon quotidien de ma pomme partagée. Au fond, quoi d’autre qu’une poésie sans nom qui ne s’est pas posée sur le papier mais dans nos yeux. Dans le nid de nos cinq sens, dirais-je même.         

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