vendredi 24 juin 2022

Cerises à foison


         L’été n’en est qu’à ses balbutiements sur le calendrier mais Dame nature nous offre déjà ses fruits rouges à profusion. La cerise est pour moi le fruit de l’entrée dans l’été. Un fruit précieux et cher pour qui n’a pas la chance de posséder un cerisier dans son jardin. Un délice pour les merles. Un jeu d’enfant pour avoir de coquettes boucles d’oreilles à peu de frais. Un fruit complice d’audacieuses pensées érotiques pour Jean-Jacques Rousseau qui lorgnait la poitrine de ces demoiselles du haut de la branche : Une fois, mademoiselle Galley, avançant son tablier et reculant la tête, se présentait si bien et je visai si juste que je lui fis tomber un bouquet dans le sein ; et de rire. Je me disais en moi-même : Que mes lèvres ne sont-elles des cerises ! Comme je les leur jetterais ainsi de bon cœur ! (Les Confessions, livre 4)

         Dans mon roman L’Hiver avec elle, truffé de recettes de cuisine, je rends hommage à la dame vermeille de l’été. 

                

                                                                

Gâteau de pain aux cerises

 

         Parfois on a la chance d’avoir dans ses souvenirs d’enfance un arbre. Un saule pleureur pour se suspendre aux branches comme Tarzan ou un chêne aux ramures étagées à escalader. Mais il est aussi de vieux poiriers noueux, de majestueux cerisiers, de généreux mirabelliers alanguis au soleil de midi dans les herbes hautes d’un verger chez une antique tantine qui sentait la naphtaline ou l’encaustique. Qu’elle ait été tante Isabelle, Eugénie ou Philomène, on guettait avec elle, derrière les persiennes closes, l’heure plus douce où le panier d’osier serait rempli. L’heure d’ivresse où nous prenait la terre cuite et recuite dans un parfum de foin. Notre babil effarouchait le merle au bec jaune mais point les guêpes butinant les fruits éclatés au sol. La fin d’après-midi d’été pointait encore son dard de touffeur sur nos joues tandis que nos mains fourrageaient le feuillage en quête de trésors. Et si nos cassettes d’or n’étaient que boules vermeille ou orangées dans une jatte en faïence, elles suffisaient à acheter notre gourmandise en tartes, confitures et sorbets.

 

         A défaut d’une cueillette au fond du jardin, votre panier de ménagère sera pourvu de 300 g de cerises, d’1 litre de lait entier, de 100 g de sucre, de 3 œufs, de 2 cuillères à soupe de kirsch (ou de marsala) et de 400 g de pain rassis (essentiellement la mie).

         Faites bouillir le lait et versez-y le pain émietté. Puis ajoutez le sucre et mélangez le tout. Ajoutez les œufs préalablement battus en omelette, les cerises dénoyautées et le kirsch. Beurrez un moule à pudding et versez la préparation. Puis faites cuire dans un four préchauffé à 180° (thermostat 6 - 7) pendant 40 à 45 minutes.

          Laissez refroidir le gâteau pour le démouler. Nappez-le de crème anglaise ou de jus de cerises et décorez-le de quelques cerises.

         Pour une version plus chic, la décoration peut se faire avec quelques pétales de violette au sucre.




 

 

vendredi 17 juin 2022

Vous reprendrez bien un peu de créole

 



            Je dois à deux amies ma découverte récente de la littérature antillaise, malgré un séjour il y a presque trente ans en Martinique et qui me fit alors lire, sans émoi particulier, Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, sans doute parce que j’en fis une lecture obligée, par égard pour cette île que j’avais visitée. Je fus toutefois sensible à l’inventivité de la langue créole populaire que je découvrais, et qui à l’époque, me semblait à mille lieux de ce que la littérature patentée pouvait véhiculer. J’avais succombé au charme du décollage, lexicalement parlant, car je ne fus pas adepte dudit décollage –   entendez par-là le ti punch matinal – mais plutôt de son pendant vespéral, l’apéritif, qui n’avait pas l’honneur d’une métaphore. Par une inexplicable loi de la mémoire, capable de stocker des informations futiles, je retins le beau nom de matoutou-falaise. Serait-ce parce que j’avais tant craint d’en rencontrer une, toute velue, arachnéenne sorcière que le commun nomme la mygale ?

            Des années plus tard, une amie m’offrit Texaco de Patrick Chamoiseau. Oui, je connaissais de nom l’auteur et le titre du roman. Non, je ne l’avais jamais lu. Ce fut un énorme coup de cœur. Goûter au style de Patrick Chamoiseau, c’est être invité à un banquet de pays de cocagne et croquer ci et là des mots les plus inattendus, les plus fondants, les plus piquants. À travers le récit d’une vieille créole, mémoire vivante du quartier populaire de Texaco, à Fort-de-France, c’est toute l’histoire d’un peuple autochtone, dans sa dignité, ses bassesses et son ingénuité, qui est raconté. La vieille câpresse brosse le quotidien en une langue pleine de fantaisie, de créativité, suggestive, ironique, désopilante qui peut coutelasser les vents, où se côtoient les nègres isalopes, les koulis, les milâtes qui fraient parfois avec les békés de l’En-ville, mammans-bijoux qui parlent par caquètements de poules froides. Chez Chamoiseau, on s’appelle Nelta-des-cyclones, Nelta-des-jours-fleurs, Nelta-la-Toussaint ou Nelta-chantant-noël, mais aussi Idoménée, Jubot-la-Gale, Sérénus-Léoza, Alcibiade. Il y a la saison des pluies et la saison Tête-Folle, quand le soleil chauffe cruellement sur le toit de tôle de la bitation. Alors les jurons fusent : La-peau-sale ! Coucoune-santi-fré ! Fourmis-cimetière ! Calamité publique ! Capital-cochonnerie !

            Heureux clin d’œil du hasard, une autre amie m’offrit deux ans plus tard Une enfance créole, Antan d’enfance, récit autobiographique de Chamoiseau. Je me replongeai avec délice et le même étourdissement dans la mosaïque lexicologique de cet auteur de génie. La langue de Chamoiseau et les idiomes créoles sont l’antidote de la neurasthénie ; ils fouettent l’esprit, entretiennent la joie. Les livres de Chamoiseau, de Rabelais et Colette sont de ceux qu’on devrait laisser en permanence sur la table de nuit ou dans le sac à main pour en croquer un quignon à toute heure.

            Alors, à défaut d’être des zizines-voleurs-poules ou des diablesses à talons, vous reprendrez bien un ti-punch : C’était un temps où la langue créole avait de la ressource dans l’affaire d’injurier. Elle nous fascinait, comme tous les enfants du pays, par son aptitude à contester (en deux trois mots, une onomatopée, un bruit de succion, douze rafales sur la manman et les organes génitaux) l’ordre français régnant dans la parole. Elle s’était comme racornie autour de l’indicible, là où les convenances du parler perdaient pied dans les mangroves du sentiment. Avec elle, on existait rageusement, agressivement, de manière iconoclaste et détournée. Il y avait un marronnage dans la langue. Les enfants en possédaient une intuition jouissive et l’arpentaient en secret, posant leur être en face des grandes personnes, dans la particulière matrice de cette langue étouffée. (Pages 68 et 69, Editions Folio)

 

vendredi 10 juin 2022

Russophilie honnie

 



Il n’aura pas échappé à mes lecteurs une russophilie patente dans mon blog et qu’il n’est guère dans l’air du temps de l’exposer. Nulle provocation de ma part. La datcha a été créée en août dernier, à l’heure où la Russie n’était pas encore honnie. Or, depuis février, j’ai parfois quelque scrupule à laisser paraître entre les lignes ou explicitement mon attrait, sinon mon affection, pour ce pays. Et je ne voudrais pas entraîner mes lecteurs dans cette vision manichéenne stérile qui pousse la vox populi, bien souvent, à condamner trop vite les uns et honorer exclusivement les autres. D’où mon agacement d’apprendre que des enseignants d’un collège Alexandre Soljenitsyne voulaient débaptiser leur établissement au prétexte que le dissident soviétique avait, à la fin de sa vie, une sympathie notoire pour Poutine. Rappelons d’ailleurs que Soljenitsyne est mort en 2008 et que l’eau a coulé sous les ponts.  Et je ne rendrai pas compte de toutes les escarmouches au quotidien : des élèves, des enseignants décriés parce qu’ils apprennent ou enseignent la langue de Pouchkine, des restaurants désertés.

   Faut-il que je me justifie d’aimer la Russie ? On peut aimer un pays tout en condamnant son nationalisme mortifère, ses agressions et ses actes barbares à l’encontre de ses voisins ainsi que la manipulation dictatoriale exercée sur les siens.  Et qu’est-ce, au fond, aimer un pays ? Autant que la Russie, j’aime le Liban, l’Italie. Et je pourrais citer d’autres contrées. Chaque terre a ses attraits. L’attirance particulière pour tel lieu ou tel peuple tient à l’intime. Sont-ce les lieux pour leurs belles images pittoresques ? Est-ce la culture ? Plutôt quelque chose d’intrinsèquement mêlé, plein de méandres qui passeraient par la musicalité de la langue, la gastronomie, la nature, le patrimoine édifié par des générations d’hommes, de civilisations qui se sont succédé, le goût pour un écrivain, un poète, un musicien, un peintre, l’empathie pour des hommes qui ont souffert dans leur histoire – guerre civile, révolution, asservissement – l’atmosphère d’un port, la rugosité d’une campagne, le charme désuet d’une vieille maison de ville ou de village, l’impression de suspens du temps d’une scène de vie loin de la modernité occidentale, la patine des couleurs sur les murs ou les toits,  les parfums de ses rues, la majesté de ses lumières, la silhouette cassée d’une vieille femme, les éclats d’un peuple à travers ses excès ou ses justes revendications, sa déréliction, son hospitalité pour l’étrangère que je suis.

En écrivant ces lignes, je suis happée par des images de toutes parts, de Rome à Tripoli en passant par Moscou ou Prague. Je suis dans la montagne du Chouf, dans un appartement moscovite, dans le Trastevere, sur la Place Rouge, dans la steppe de Tchekhov, dans la vallée de la Kadischa, sous les arcades de Bologne, dans la campagne toscane, dans un salon de thé à Vienne. Ou sur mes chemins de Compostelle à travers l’Espagne. Au cœur de la verte campagne anglaise. Je suis dans les ruelles pavées de Malá Strana, à bord d’un bateau sur le Bosphore, dans un village de Côte d’Ivoire ou près des canaux de Gand.  Je voudrais connaître un jour New York, les îles grecques, les fjords du grand nord, la maison de Karl Larsson en Suède, la plaine mongole, la vieille ville de Cracovie et d’autres cités d’Europe centrale.

Mon cœur est de tous pays. Et surtout mon cœur est pour tous les peuples, notamment quand ils souffrent. Si je suis un peu russe de cœur et d’ascendance, de littéraire et musicale sympathie, mon cœur ne choisit pas aujourd’hui : je pleure les morts, qu’ils soient d’Ukraine ou de Russie, je pense à leurs familles.  Et je n’oublie pas que d’autres pays, beaucoup moins sous les feux médiatiques, ont des peuples qui souffrent aussi.


samedi 4 juin 2022

Flâneries littéraires (suite)

 




Et si je m’inspirais de L’éloge des librairies de Maël Renouard (Chronique du 28 mai sur ce blog) pour vous proposer une flânerie littéraire autobiographique ? À n’en pas douter, c’est moi qui cherche à me faire plaisir car cette louange des librairies est l’occasion, par le pouvoir des mots, de rajeunir et de se laisser bercer par une nostalgie bienfaisante !

            J’ai commencé à fréquenter seule l’univers des librairies lorsque je suis devenue lycéenne et, partant, citadine partielle. Dépendante des horaires des bus scolaires qui me contraignaient à quitter mon village, au petit matin, et à rentrer au crépuscule, je n’aurais guère eu l’occasion d’escapades urbaines si je n’avais eu cette liberté énorme, deux soirs par semaine, de rejoindre à pied mon école de danse en plein centre-ville. Ah, cette joie incomparable de tourner le dos au cours de maths de la classe de 2nde le mardi et de m’octroyer l’achat d’un plantureux pithiviers ou croissant aux amandes avant l’échauffement à la barre puis les pirouettes et les sauts ! Ma gourmandise allait tout autant à des nourritures intellectuelles, lesquelles n’avaient pas de prise sur mon poids de danseuse mais sur celui de mon porte-monnaie.

            La librairie Duclerc, à Abbeville, était une institution, sise en face de l’hôtel de ville, au cœur de la cité. Depuis, elle a eu d’autres propriétaires et, aujourd’hui, sous l’enseigne Studio livres, j’y signe régulièrement mes livres.  Elle n’avait point vraiment de concurrente car sa consœur Cuffay était le fournisseur attitré de moult écoles de la région en papier, cahiers et manuels.  Le rez-de-chaussée, chez Duclerc, ne retenait que peu mon attention (Les nouveautés, en format broché étaient trop chères pour mon budget et je n’étais pas encore coutumière d’auteurs contemporains) mais je me souviens d’un coin du magasin où l’on pouvait acheter pour quelques francs des reproductions de tableaux de maîtres. J’ai ainsi fait l’acquisition du Retour des chasseurs dans la neige de Brueghel.  À l’étage, royaume des livres de poche, mes yeux savouraient les titres et les noms d’auteurs. Flaubert, Balzac, Colette me faisaient saliver. Etonnamment, je ne me souviens plus des quelques ouvrages que j’ai dû acheter. Mon argent de poche d’adolescente m’invitait à la retenue.

            Ma mémoire, cette fois, est bien nette lorsque, étudiante de lettres, je devins une acheteuse plus assidue. L’immense salle de livres de poche de la grande librairie Martelle, à Amiens, me fascinait et devint mon repaire. Elle fut le passage obligé des lectures prescrites par nos enseignants de faculté. Je me revois avec Si par une nuit d’hiver un voyageur, dans les mains. Italo Calvino. Un inconnu pour moi jusque-là. À la même époque, j’ai acheté mes premiers Milan Kundera, auteur évoqué en cours. Folio le mettait à l’honneur en ce début des années 90. Capes en poche, j’ai commencé ma carrière d’enseignante, en lycée. Et ma boulimie de lecture s’est alors déployée. Mes premiers salaires font la part belle à l’étoffement de ma bibliothèque. C’était avec un lot de cinq ou six poches que je sortais régulièrement de la librairie Martelle. Véritable razzia sur les Garnier-Flammarion et les Folio. Kundera, toujours, Pennac, alors en pleine gloire. Des contemporains, déjà classiques, comme Le Parfum de Suskind. Je découvris de nouvelles collections. Les Librio à 10 francs. Mais, surtout, sur l’étal d’une autre librairie amiénoise aujourd’hui disparue – Poiré-Choquet – des livres aussi séduisants par leur couverture que par leur collection : La Cosmopolite (d’un beau rose tendre, qui a hélas fané avec le temps) chez Stock. Par elle, ce sont Henry James, Raymond Carver et Yasushi Inoué qui entrent chez moi. Il y avait aussi ces beaux Livres de Poche Biblio à la couverture beige satinée. Henry James et Calvino, encore, mais aussi Arthur Schnitzler, Kawabata et Virginia Woolf. Je dévorais la littérature étrangère, trop laissée de côté durant ma préparation au Capes.

            En cette première année d’enseignement, je découvris, par l’intermédiaire d’une collègue, les chiffonniers d’Emmaüs, sur la route de mon lycée. Un cabanon de bois accueillait alors le secteur des livres. Un antre hors du temps, chauffé par un rustique poêle à bois. Je me souviens que le compagnon dévolu aux livres écoutait du jazz. Je garde un souvenir enchanteur de ces flâneries devant ces rayons disparates. Tous mes Violette Leduc viennent de là, vieux Folio jaunis mais aussi Orgueil et Préjugés de Jane Austen.

            Les années qui suivirent, mutation oblige, me font découvrir des villes de l’Aisne. Au Furet du Nord, à Saint-Quentin, j’ai craqué pour la collection L’Imaginaire Gallimard (Beaux volumes souples, belles couleurs sur fond blanc) : la meilleure de mes trouvailles est l’émouvant Le livre des jours de Taha Hussein. J’y ai acquis aussi des Giono qui n’étaient pas dans la bibliothèque familiale.

            Mon petit tour des librairies de ma jeunesse ne serait pas complet si je n’évoquais pas aussi mes vacances parisiennes chez une amie de la famille et ma découverte de la Fnac, même si je n’aime pas dans cette enseigne l’absence de lumière naturelle. Étonnamment, je fréquentai bien tardivement Gibert.  Et je devrai lutter contre une indicible timidité avant d’oser franchir le seuil de chez José Corti. Vénérable maison aux livres pas bon marché. Faut-il chercher là la raison de mes hésitations ? Près du Palais-Royal, je savourais des yeux la vitrine de la librairie Delamain sans oser entrer, avant de continuer à baguenauder dans le quartier. Mes escapades parisiennes m’appelaient en priorité, il est vrai, dans les musées et les expos. Je me souviens néanmoins d’avoir délesté mon porte-monnaie à la bouquinerie Mona Lisait, dans le quartier du Marais, rue des Blancs-Manteaux, je crois, de m’être sali les doigts à fureter sur les quais des bouquinistes – un peu pour le folklore aussi ! – et d’avoir fréquenté un temps, dans le quartier de Bastille une librairie russe – Le Globe –, même si mes capacités de lectrice n’ont jamais dépassé Krasnaïa chapotchka[1] !

            À Moscou, j’ai le souvenir d’une très grande librairie où j’étais entrée à la recherche d’un livre sur les échecs que j’avais promis de rapporter à un joueur passionné. Le rayon en question était prodigieusement fourni, à raison de plusieurs étagères sur quelque cinq mètres linéaires chacune. Un univers inconnu pour moi et dont l’offre pléthorique me laissait pantoise. L’URSS était tombée depuis une dizaine d’années mais la pratique des échecs restait un sport national.

           



[1] Le Petit Chaperon rouge


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