dimanche 25 février 2024

Petits salons et livres auto-édités

 


                                             Salon du livre de Chauny (Aisne), juin 2023


Cette semaine, sur un compte Facebook qui rendait compte d’un salon du livre auquel j’ai participé le week-end dernier, un internaute avait ce commentaire condescendant : « Encore un salon où il n’y a que des auteurs auto-édités. », ce qui n’a pas manqué de soulever maintes récriminations, la mienne y compris.  Habituellement, je reste toujours en dehors des vains débats d’internautes. Quelle mouche m’a alors piquée ? Mon ego blessé ? Pas faux, avouons-le. Une honorable envie de défendre mes condisciples de plumes en tout genre ? La question est suffisamment complexe pour que je m’autorise une troisième chronique dans la Datcha sur les salons du livre. (Voir chroniques du 29 août 2021 et 4 septembre 2021).

Les manifestations locales autour du livre, sous forme de salons et festivals, sont aujourd’hui pléthoriques et le formidable outil de communication qu’est Internet permet d’assurer une promotion tentaculaire. Beaucoup de petites communes, rurales ou en périphérie de grandes villes, se targuent désormais d’avoir créé leur salon, avec plus ou moins de succès. Du côté des organisateurs, c’est bien sûr, un vaste chantier en amont et un investissement financier non négligeable, souvent alimenté par des subventions et/ ou du mécénat. Comme ces festivités sont gratuites pour le visiteur, le gain économique est souvent nul ; l’enjeu est donc surtout politique et culturel. À échelon local, certes, mais en corrélation avec le discours national de la défense et la promotion du livre, impulsé par Emmanuel Macron. Les municipalités qui mettent en place un salon du livre ont à cœur d’amener le monde du livre aux citoyens qui ne le fréquentent pas ou peu. Intention tout à fait louable. Et c’est ce sens que des conseils municipaux proposent un chèque livres aux enfants des écoles, à dépenser lors du salon.  Beau cadeau et subtile façon de cibler les adultes. Mais de quels livres parle-t-on ?

Dans ces petits salons, indéniablement, les auteurs auto-édités sont nombreux mais, me semble-t-il, pas majoritaires, même si je constate d’année en année leur présence accrue. Ils seraient donc les moutons noirs du monde de l’édition ? Honnêtement, si j’envisage tous les maillons de l’édition, c’est vrai. Un livre auto-édité est un produit « d’artefact » au même titre qu’un savon au lait de chèvre ou un pot de miel. N’importe qui peut s’improviser, avec un minimum de savoir-faire et de sens des affaires, dans ce type d’auto-entreprenariat. Des sites sur Internet, moyennant finances, permettent en effet de s’offrir de beaux livres-objets avec des couvertures et jaquettes dignes de grandes maisons d’éditions. Un mirage séduisant pour qui veut être publié sans passer par les arcanes du monde éditorial ou parce qu’on n’a pas été retenu – mot magique – par un éditeur. J’ai bien dit un mirage car ces auteurs auto-proclamés ne seront jamais, ou quasiment jamais, conviés dans des librairies pour des séances de dédicaces, de même qu’ils n’ont aucune chance de voir figurer leur opus à côté des auteurs autorisés. Aussi n’ont-ils que les salons pour avoir une vraie visibilité. À discuter avec ces auto-édités, je m’aperçois que la pratique ne semble nullement les gêner parce que leur motivation première, outre d’être lus, est de ne pas y perdre financièrement. On m’a déjà rétorqué avec un soupçon de condescendance que je ne touchais que 8 à 12 % de droits d’auteur pour chaque exemplaire vendu alors qu’eux…. Inutile alors de leur vanter les mérites du métier de libraire et de ces lieux merveilleux que sont les librairies. Et bien sûr inenvisageable d’aborder avec eux la délicate question de la qualité du texte. Un auteur auto-publié n’est pas passé par une forme de censure ou de reconnaissance. Je ne souhaite pour autant pas trop entrer dans le sujet. À chacun de trouver derrière ma réserve une forme d’hypocrisie ou de lucidité.

Là où le bât blesse un peu, c’est de voir de se multiplier ces pratiques de publication dans les salons. Certes, il y a tout de même de bons ouvrages chez ce type d’auteurs, je pense surtout aux albums pour enfants, quand le graphisme est le fruit d’un vrai travail créatif. (Mais l’Intelligence Artificielle tant décriée est vraiment ici à redouter.) Alors faut-il en vouloir aux organisateurs de salons de convier ces auteurs ? Sont-ils dupes ou bienveillants ? Il ne me revient pas de trancher et il y aurait autant de réponses que de salons organisés. Je conçois la difficulté pour une petite commune d’inviter des écrivains notoires. L’argent est le nerf de la guerre, pas moins que le nombre de visiteurs escompté. Et la présence d’un auteur renommé, invité locomotive, comme cela se fait dans certaines manifestations, éclipse par son aura médiatique – pas forcément par son talent – les vertueux travailleurs de la plume, restés dans l’ombre. Dans quel vivier puiser alors sa galerie d’auteurs invités ? La proximité géographique est le premier critère. Dans le panier tomberont forcément des auto-publiés mais aussi de méritants écrivains – au talent plus ou plus avéré (question de goût certes, mais aussi de discernement de lettré – vaste sujet ! –) publiés chez de modestes éditeurs, lesquels ne sont pas toujours partenaires avec la librairie en place dans ledit salon. Tout le monde y laisse un peu des plumes. Mais chacun est toutefois heureux de ces échanges qui parlent souvent davantage au cœur qu’à la culture. Et c’est pour cela que les petits salons se doivent d’exister. Bien sûr, il y aurait néanmoins une vraie question de fond à mettre à plat : comment brasser davantage les talents pour que ces salons ne deviennent pas de l’entre-soi de clocher ? Nombre d’auteurs publiés dans de grandes ou moyennes maisons d’éditions, mais pas célèbres, auraient leur chance à saisir d’être davantage représentés, dussent-ils laisser de côté leur désappointement de ne vendre en ces occasions peut-être qu’une dizaine de livres et de côtoyer des « fabriqueurs » de livres.  Ces salons gagneraient en fréquentation parce que celui qui a le dernier mot reste le lecteur. Dans ces petits salons, on ne voit guère beaucoup de lecteurs confirmés et exigeants. Eux ne sont pas dupes.


samedi 3 février 2024

Fatigue

 



Le ferrailleur ramasse mes jours sombres

Vieux rebuts qui traînent au fond de ma fatigue

Je n’ai pas la force de sortir de la toile

Bras cassés

Angles désossés

Cubisme buté

Mon corps n’a plus d’histoires

J’écorne une page dans un coin de ma tête

Me rappeler là où s’arrête le cours de la vitalité obligée

Faut-il toujours vivre avec voracité

Remplir des pages

Déplacer des pierres

Chalouper dans le courant des autres

Épingler des minutes

Sur le trophée de notre ego

Qu’on me laisse des dictons de paysan

Pour ferrer mes heures

Dans mes rêveries

Qu’on me laisse monter au coin bleu avec un chat ou un âne

Qu’on me laisse dans ma maison d’hiver

Ou mon jardin d’impressionniste

Qu’on me laisse prendre des mots sous la pluie

Tandis que d’une porte entrebâillée glisse un Nocturne.


3 février 2024

 

 

 


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