Chaque hiver, j’attends
la neige. Je l’espère. Elle ne vient pas toujours. J’aime l’hiver. Le
véritable. Avec ses conditions climatiques de froidure et de gel. Avec ses
ciels limpides où les branches des arbres nus posent leurs calligraphies. Avec
ses couchers de soleil roses, ses crépuscules d’heure bleue. Avec ses maisons
aux cheminées fumantes. Et, apothéose, les hivers de neige généreuse.
Je quête les hivers dans les livres. « Un hiver de
haute neige, un hiver du temps des loups […] » : ces quelques mots
tout simples dans une nouvelle de René-Guy Cadou[1]
sont la perfection même de la langue tant leur pouvoir a d’effet sur
moi. L’hiver entre en moi par les mots, et par eux je me compose des hivers sur
mesure, chargés d’une nature à l’austère beauté. J’aime les hauts plateaux
pelés de givre et venteux chez Giono et Bosco, les steppes enneigées et les
isbas noyées de blanc des auteurs russes. Je traque la neige chez les auteurs
contemporains. Neige mystique et poétique chez Sylvie Germain. Neige
impressionniste chez Michel Bernard.[2]
Dans ma bibliothèque rangée – bien grand mot – par collections ou par thèmes,
peut-être devrais-je consacrer une étagère à mes livres d’hiver ? On y
retrouverait bien sûr Pays de neige[3].
De ce roman lu il y a presque trente ans, je ne me souviens de rien, sinon
d’une page que ma mémoire évanescente a conservée : la description d’une
rue sous la neige aux abords d’une auberge qui attirait le narrateur ou le
personnage principal. Quelque chose de flou, d’inconsistant mais d’apaisant et
de rassurant. L’hiver en mots a sur moi un pouvoir rassérénant. Sans doute
est-ce pour cela que l’hiver est une saison souvent glissée dans mes romans et
ma poésie, comme mon emblématique L’hiver avec elle[4]
où la neige tombe dans les premiers chapitres.
La neige par son
caractère immaculé, volatil et silencieux, vient du ciel au sens biblique.
« De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent
pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer
[…] » A chaque veillée pascale, j’ai plaisir d’entendre les premiers mots
de ce verset du prophète Isaïe[5].
Décrire la neige est un
travail d’écriture exigeant, qui doit refouler les clichés – écueil que je ne
réussis pas toujours à éviter – , qui doit toucher à la beauté et à la grandeur
dans l’essentiel. Qui doit pouvoir dire sa chute vaporeuse, insouciante,
primesautière, déterminée ou hésitante. Sa voracité à tout ensevelir. Sa
pesanteur en filigrane du dénuement ou, au contraire, son enveloppante
couverture. Sa fonte déloyale.
La neige n’est pas qu’au
dehors ou dans les livres. Neiges d’artistes accompagnent notre jardin hivernal
intime. Mon premier choc esthétique, enfant, me fut donné par Les chasseurs
dans la neige[6],
tableau reproduit sur une boîte de chocolats que je gardai longtemps dans ma
chambre d’enfant. Mes premiers hivers de peintres doivent beaucoup aux cartes
de vœux illustrées par des peintures flamandes, avant de connaître, dans les
musées, les hivers des impressionnistes (Jardins enneigés de Camille Pissarro,
coins de campagne de Claude Monet, rues d’Alfred Sisley, toits parisiens d’Albert
Marquet) et les estampes japonaises.
Mes neiges sont venues
aussi d’Auvergne par les photographies de
Marie-Agnès Kopp[7]
ou par les livres sur le Ladakh et le Zanskar.
Mes amours de neiges, mes
coups de cœur, mes miscellanées « nivologiques » me conduiraient
facilement à l’accumulation de références, au vertige des listes. Il faut
savoir arrêter la danse des flocons. Ah oui, justement, j’oubliais la musique. Casse-Noisette,
bien sûr !
[1] René-Guy
CADOU, « La Prairie » dans Monts et merveilles, Editions du
Rocher (1997)
[2] Michel
BERNARD, Deux remords de Claude Monet, Editions La Table Ronde (2016)
[3] Yasunari
KAWABATA, Pays de neige (édition japonaise 1947), Editions Livre de
poche (1982)
[4] Nathalie
BONIFACE-MERCIER, L’hiver avec elle, Editions Unicité (2019)
[5] Isaïe,
55, 10 à 15. Bible de Jérusalem.
[6] Brueghel
le Vieux, Les Chasseurs dans la neige (1565) Kunsthistorisches Museum,
Vienne
[7] La
route, Editions Unicité (2019) Poèmes d’Henry BAUCHAU, photographies de
Marie-Agnès KOPP
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