vendredi 19 janvier 2024

La neige tant attendue

 



Chaque hiver, j’attends la neige. Je l’espère. Elle ne vient pas toujours. J’aime l’hiver. Le véritable. Avec ses conditions climatiques de froidure et de gel. Avec ses ciels limpides où les branches des arbres nus posent leurs calligraphies. Avec ses couchers de soleil roses, ses crépuscules d’heure bleue. Avec ses maisons aux cheminées fumantes. Et, apothéose, les hivers de neige généreuse.

            Je quête les hivers dans les livres. « Un hiver de haute neige, un hiver du temps des loups […] » : ces quelques mots tout simples dans une nouvelle de René-Guy Cadou[1] sont la perfection même de la langue tant leur pouvoir a d’effet sur moi. L’hiver entre en moi par les mots, et par eux je me compose des hivers sur mesure, chargés d’une nature à l’austère beauté. J’aime les hauts plateaux pelés de givre et venteux chez Giono et Bosco, les steppes enneigées et les isbas noyées de blanc des auteurs russes. Je traque la neige chez les auteurs contemporains. Neige mystique et poétique chez Sylvie Germain. Neige impressionniste chez Michel Bernard.[2] Dans ma bibliothèque rangée – bien grand mot – par collections ou par thèmes, peut-être devrais-je consacrer une étagère à mes livres d’hiver ? On y retrouverait bien sûr Pays de neige[3]. De ce roman lu il y a presque trente ans, je ne me souviens de rien, sinon d’une page que ma mémoire évanescente a conservée : la description d’une rue sous la neige aux abords d’une auberge qui attirait le narrateur ou le personnage principal. Quelque chose de flou, d’inconsistant mais d’apaisant et de rassurant. L’hiver en mots a sur moi un pouvoir rassérénant. Sans doute est-ce pour cela que l’hiver est une saison souvent glissée dans mes romans et ma poésie, comme mon emblématique L’hiver avec elle[4] où la neige tombe dans les premiers chapitres.

La neige par son caractère immaculé, volatil et silencieux, vient du ciel au sens biblique. « De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer […] » A chaque veillée pascale, j’ai plaisir d’entendre les premiers mots de ce verset du prophète Isaïe[5].

Décrire la neige est un travail d’écriture exigeant, qui doit refouler les clichés – écueil que je ne réussis pas toujours à éviter – , qui doit toucher à la beauté et à la grandeur dans l’essentiel. Qui doit pouvoir dire sa chute vaporeuse, insouciante, primesautière, déterminée ou hésitante. Sa voracité à tout ensevelir. Sa pesanteur en filigrane du dénuement ou, au contraire, son enveloppante couverture. Sa fonte déloyale.

La neige n’est pas qu’au dehors ou dans les livres. Neiges d’artistes accompagnent notre jardin hivernal intime. Mon premier choc esthétique, enfant, me fut donné par Les chasseurs dans la neige[6], tableau reproduit sur une boîte de chocolats que je gardai longtemps dans ma chambre d’enfant. Mes premiers hivers de peintres doivent beaucoup aux cartes de vœux illustrées par des peintures flamandes, avant de connaître, dans les musées, les hivers des impressionnistes (Jardins enneigés de Camille Pissarro, coins de campagne de Claude Monet, rues d’Alfred Sisley, toits parisiens d’Albert Marquet) et les estampes japonaises.

Mes neiges sont venues aussi d’Auvergne par les photographies de  Marie-Agnès Kopp[7] ou par les livres sur le Ladakh et le Zanskar.

Mes amours de neiges, mes coups de cœur, mes miscellanées « nivologiques » me conduiraient facilement à l’accumulation de références, au vertige des listes. Il faut savoir arrêter la danse des flocons. Ah oui, justement, j’oubliais la musique. Casse-Noisette, bien sûr !



[1] René-Guy CADOU, « La Prairie » dans Monts et merveilles, Editions du Rocher (1997)

[2] Michel BERNARD, Deux remords de Claude Monet, Editions La Table Ronde (2016)

[3] Yasunari KAWABATA, Pays de neige (édition japonaise 1947), Editions Livre de poche (1982)

[4] Nathalie BONIFACE-MERCIER, L’hiver avec elle, Editions Unicité (2019)

[5] Isaïe, 55, 10 à 15. Bible de Jérusalem.

[6] Brueghel le Vieux, Les Chasseurs dans la neige (1565) Kunsthistorisches Museum, Vienne

[7] La route, Editions Unicité (2019) Poèmes d’Henry BAUCHAU, photographies de Marie-Agnès KOPP


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Archives

Conférence

Mes consultations