samedi 28 janvier 2023

Souvenirs

 

 


 

                        Souvenirs


         J’ai une mémoire bas de laine

         En coq de clocher

         Qui girouette au gré des vents contraires

         J’accumule, j’entasse, je serre

         Des fleurs de pavé      ciment mandala

         Une carafe de café

         L’échanson des songes

         Me sert un sirop suranné

         À la fenêtre cénotaphe

         Une mouche renversée

         Zézaiement

         Marie Brizard

         On va trinquer

         Je ne sirote que l’étiquette

         Mots sans alcool pour la fillette

        J’accumule, j’entasse, je serre

         Des objets sans âme

         Mânes oubliés

         Une bobine de fil Au Chinois

         Chinoiserie

         Qui moissonne l’antan

         Et maisonne en moi

         Un quinquet de laiton

         Qui oscille au clou

         Feu éteint

         J’ai suivi Ariane

         Mémoire     mon labyrinthe et ma manne

  

                   Nathalie Boniface-Mercier  juin 2018

 

 

 


 


vendredi 13 janvier 2023

Légitimité

 


            Ecrire apaise. Être publié soulage. Être lu réjouit. L’écrivain vivrait-il alors sur un petit nuage ? Autre version : Écrire tourmente. Être publié inquiète. Être lu préoccupe. Qui que l’on soit, écrivain de l’ombre ou des plateaux télé, nous sommes tous confrontés à cette palette schizophrène de sentiments. Une montagne russe d’inquiétudes, de joies et de scrupules. Je lisais il y a peu une interview de Pierre Lemaître[1] dans laquelle il disait : « Cette distinction[2] calme ma crise de légitimité, sans la faire taire. Elle est encapsulée dans mon histoire, je l’emporterai dans ma tombe. » Et à propos de chaque nouveau livre : « Le livre que j’écris est-il à la hauteur de la promesse des autres ? Question permanente et récurrente. Je suis toujours envahi par le doute. Je n’arrive pas à gagner en confiance. […] » Coquetterie d’un auteur qui a rencontré le succès ? Je suis persuadée que non ; l’auteur est assurément sincère.

             Cela dit, Pierre Lemaître n’a plus l’inquiétude du nombre d’exemplaires vendus. Affres dans lesquels les écrivains de l’ombre se débattent. Votre serviteur ne peut se targuer de dizaines de milliers d’exemplaires vendus, bien sûr. Alors, ça se vend bien ? me demande-t-on parfois. Que répondre à cela ? Les chiffres sont subjectifs. Et, en moi, ce fond de discrétion, de réserve qui tient à mon éducation judéo-chrétienne. J’ai la pudeur de taire des échecs mais aussi mes réussites. Échecs relatifs, réussites relatives, du reste. Aussi, sur la toile narcissique des réseaux sociaux, fais-je un pas en avant, un pas de côté. Coquetterie de ma part ? Peut-être. C’est le bon droit des discrets et des gens ordinaires, non ? On se fabrique les remparts qu’on peut. Et je crois bien que, parfois, j’en suis encore à éprouver un relent de scrupule quand j’écris le mot écrivain à mon sujet. Ah cette légitimité du statut d’auteur ! Elle est tellement galvaudée ! Disons qu’au moins je suis une tisseuse de mots. Et que toujours il faut se remettre au métier à tisser. Pénélope défaisait la nuit ce qu’elle avait tissé le jour pour refouler les prétendants. Moi, je détisse quand ce n’est pas assez bon pour mes exigences, je retisse inlassablement. Destins tragiques de princesses, L’Engrangeoir sont maintenant sortis de l’atelier. Mes livres précédents aussi. À d’autres mains de s’en saisir, celles de mes lecteurs. Et moi, dans l’ombre, je fais courir opiniâtrement ma navette de couleurs dans la trame d’une nouvelle histoire.



[1] La Croix L’hebdo samedi 7, dimanche 8 janvier 2023

[2] Le prix Goncourt 2013 pour le roman Au revoir là-haut.


samedi 7 janvier 2023

L'heure des comptes

 



            Une part du processus d’écriture se joue hors temps, loin des impératifs quotidiens et dans l’oubli total d’une réalité temporelle. L’écrivain est dans sa bulle. Mais dès lors que le texte est sur le point d’être publié, il a l’œil sur le calendrier : date butoir pour la relecture des épreuves, du bon à tirer, rendez-vous divers. Quand le livre sort, l’écrivain entretient un flirt exclusif et tumultueux avec son agenda. Des dates pour des dédicaces. Des salons. Emissions de radio ou de télé pour les happy few. Selon son degré de sérénité et /ou sa notoriété, l’on joue au yo-yo avec les semaines et les mois. Vite, que s’écoulent quelques mois pour avoir une première estimation des ventes ! À quand la critique dans un grand quotidien ? Ou dans la feuille locale – pis-aller pas moins stimulant pour beaucoup d’auteurs –, ou dans un blog littéraire ? Et enfin, ciel de la marelle, l’année écoulée, la case Reddition des ventes. L’heure des comptes a sonné ; l’éditeur sort la calculette. Une chorégraphie d’équilibriste tant il est difficile, voire impossible, pour un éditeur de chiffrer au livre près, le nombre d’exemplaires vendus à l’instant T. D’aucuns somnolent encore sur l’étal du libraire, une poignée se vendront le jour même où, dans la maison, on additionne les chiffres tandis que quelques ouvrages moins chanceux seront sur le chemin du retour chez le distributeur. Les éditeurs aux reins solides ne sont sans doute pas à une dizaine près quand il s’agit de gratifier un chouchou de la maison d’un faramineux 475 000 exemplaires vendus. De petits éditeurs qui tournent bien, avec leur logique modeste, se frotteront les mains d’un 190 exemplaires vendus, presque plus de réserve sur les 250 tirés, on a évité la cata. financière. Encore faut-il que la donne soit la même pour d’autres de leurs poulains ! Ce qui est loin d’être légion car, pour les petits et moyens éditeurs, le succès d’un livre tient autant à l’engagement professionnel de la maison d’édition qu’au facteur chance du côté de la publicité dans les médias et du volontarisme de l’auteur qui doit mouiller sa chemise. Et j’oubliais un paramètre inopiné, versatile, fragile, impalpable : cet air du temps qui fera la pluie ou le beau temps des ventes de livres. Il suffira d’une pandémie, d’une élection présidentielle imminente, d'une flambée de l'inflation ou de bruits de bottes aux portes du pays pour que le marché du livre connaisse des déboires.

            Et du côté des auteurs ? Bienheureux ceux qui seront redevables à l’État d’impôts conséquents ! L’écriture vaut parfois une chasse au trésor digne d’un roman. Quoique certains ont intérêt à être de bons gestionnaires. Les lecteurs ne sont pas d’une fidélité absolue et des best-seller ne sont pas toujours les aînés d’une grande fratrie. Pas à plaindre ceux qui, bourgeoisement, engrangeront quelques milliers d’euros pour compléter les revenus de leur profession, assurée par choix ou confort. Restent les petits, les perdants du système. Que valent des droits d’auteur de 8 % sur le prix d’un livre vendu (c’est la moyenne) selon que l’on vend plus de 300 000 exemplaires ou 300 (voire beaucoup moins) sur une année civile ? Les petits sous additionnés ne grossissent pas tous en rivières. Or le goutte-à-goutte sous le robinet n’étanche pas la soif après le labeur. Misère bien réelle dans la solitude de l’écrivain. Et ce rapport de force pécuniaire ne doit pas uniquement tout au talent. C’est aussi vrai dans notre économie de marché, me direz-vous, où le plus vulgaire youtubeur s’enrichira au mépris du travail méritant et honorable du boulanger dans l’ombre de son fournil.

            Les non-initiés ont parfois bien des idées fausses sur les rémunérations des écrivains. L’habit fait rêver les foules. Tout le monde écrit (même si bien peu lisent !) Mais cela, c’est une autre histoire.


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