jeudi 26 octobre 2023

Une plus belle humanité

 



            Quelques jours déjà que les vacances scolaires sont commencées. La dernière semaine fut éprouvante pour les enseignants et les élèves. J’ai hésité à en parler à la datcha. Il n’y avait pas de mots pour dire mon désarroi, ma tristesse. Et tant de témoignages ont été diffusés. Ces profs souvent méprisés ou ignorés, quand ils ne sont pas jalousés – ils ont tant de vacances !  – ont ces jours-ci suscité l’empathie. Faisons-nous le plus beau métier du monde ?  Lieu commun si passe-partout. Les pompiers, les soignants, les paysans font aussi le plus beau métier du monde. Et chacun pourrait se prétendre être en haut du podium. Parce que la vie en société est un maillage de gestes essentiels, nécessaires jusque dans leur discrétion ou leur supposée futilité. N’est-il pas beau de voir un boulanger sortir sa fournée ? Un guide touristique exposer les splendeurs d’une cathédrale ou d’un château ? Un animateur entraîner des résidents de maisons de retraite à la gymnastique ou au yoga ? Toutefois, en ce lundi 16 octobre dernier, durant la minute de silence qui fut, dans la cour de mon collège, un unanime élan de cœur, nos élèves étaient ces maillons indispensables d’une chaîne de solidarité et de respect qui contribuent à la plus belle humanité. Nous autres adultes, parents, enseignants, éducateurs, prêtres, imams, rabbins, hommes politiques, écrivains, scénaristes, chanteurs, champions sportifs, tous, nous avons notre responsabilité à mener auprès de nos jeunes.  Pour que germe un monde plus juste, plus tolérant, plus serein.

            La nature d’automne qui se met en dormance délivre ses dernières couleurs ambrées, se recroqueville dans ses brumes matinales et déploie ses parfums d’humus. Ses ciels gris sont fouettés de zébrures, ses nuages caracolent et livrent encore des trouées de bleu. Dans les jardins, les asters s’alanguissent sous la pluie. Les feuilles mortes occupent les trottoirs. La nature, mieux que d’illusoires et agressifs décors d’Halloween, nous ramène à la fragilité de la vie. Et elle nous donne une magistrale leçon d’Espérance parce que la terre qui s’endort porte en elle la promesse d’une renaissance.


vendredi 13 octobre 2023

Entendre un oiseau

 


                                                                        Source: Internet


                Ici ce sont des enfants qui jouent insouciants dans un jardin en ce week-end d’été indien. Là, des amis ou des touristes qui déjeunent à la terrasse d’un café, le visage enivré d’un soleil généreux. Trop. Ce qui plombe quelque peu notre gourmandise à le savourer. On nous rebat les oreilles, dans les médias, sur le pouvoir d’achat en berne. Certes, les fins de mois sont difficiles pour beaucoup. Mais le chant des oiseaux – qui pépient comme au printemps, déboussolés par la clémence du temps – est un cadeau pour tous. Et d’autres joies volètent dans notre douce France. Un barbecue en famille. Un match au club de foot local. Un cours de danse. L’anniversaire d’une grand-mère. Un camp de scouts.  Une randonnée. Les températures qui frisent les 25° dans le nord et les 30° dans le sud sont lénifiantes. On oublie volontiers que la terre est malade, qu’ailleurs les pluies torrentielles s’abattent et emportent des vies, qu’ici même des paysans se désespèrent de leurs terres trop sèches. On oublie aussi un peu la guerre à nos portes dans les plaines et villes d’Ukraine ou dans ces pays aux antipodes qu’on peine parfois à situer sur une mappemonde. 

            Et soudain, c’est le chaos là-bas, dans ce Moyen-Orient, si loin si mal compris, aux soubresauts perpétuels. Et les noms claquent dans nos consciences : Israël, kibboutz, Gaza, Hamas. Et les décomptes macabres percent nos cœurs. « On croit que tout est fini mais alors il y a toujours un rouge-gorge qui se met à chanter. » disait Paul Claudel. Or comment entendre le chant d’un oiseau dans le fracas des armes ?


vendredi 6 octobre 2023

Fragments (à composer)

 

                                  Niki de Saint Phalle (Mons, Belgique, automne 2018)

                                               

Fragments (à composer)

L’inspiration ne se décrète pas

On a beau garder sous le boisseau

Des images et des mots

Être entomologiste

Collecter

Épingler

Aller toujours chercher

Dans les plis du passé

L’innommé

Ces ribambelles d’images heurtées

Le vent passe

Disperse

Les grains

Et sème au hasard

Herbes folles

Et mots perdus.

 

 Nathalie Boniface-mercier

 


lundi 25 septembre 2023

Panier d'automne

 



         La cuisine a ses saisons. Chapon rôti, truffes au chocolat et galette à la frangipane, délicieuses parenthèses dans l’hiver morose. Frivoles radis roses comme des baisers de printemps. Fèves vert tendre d’un avril aux ramures feuillues. Gelées de groseilles vermeilles de juin. Tartes aux abricots gorgés d’un soleil de fin d’été. Figues charnues d’un septembre méridional. Et brumes revenues, les vendanges sont faites et la sauvagine, mise à la gibecière. Cailles, perdrix, bartavelles. Le marcassin donne son civet, la biche son cuissot. Comme un bouquet final de feu d’artifice, mère Nature aura livré, avant les bourrasques de novembre, noix, noisettes, châtaignes, potirons, pâtissons, rattes, vitelottes et blettes. Le gibier est grand seigneur à la table des restaurants. Faisan au pommard ou lièvre au lussac-saint-émilion et c’est votre nez qui chasse à la billebaude des saveurs de glands écrasés sous la futaie, de mûres dans les fossés, de girolles sous la mousse et le parfum âcre des sillons labourés ou celui, acide, des éteules détrempées par la pluie. L’automne est la saison préférée d’Antoine. La saison reine de la Bourgogne. Potage à la courge, risotto de cèpes, pain perdu à la crème de cynorrhodon ou le panier d’automne aux marrons, les incontournables de sa table.

L'Hiver avec elle, Nathalie BONIFACE-MERCIER, Editions Unicité, page 229

 


jeudi 14 septembre 2023

Un pavé dans la garde-robe

 

                                               Vitrine d'une boutique parisienne. Décembre 2010


            Il m’arrive souvent de lire avec quelques jours de retard le quotidien auquel je suis abonnée. Ce faisant, la une du journal du mercredi 6 septembre m’interpelle. Par une ironie du sort – involontaire de la part des rédacteurs ou peu ou prou consciente ? –, la photo représentant cinq Afghanes emprisonnées sous leur burqa est titrée « Afghanistan, la vie volée des femmes » tandis que la colonne de l’éditorial affiche le titre « Uniforme, le retour ». Si je ne laisse pas volontiers entrer les sujets politiques ou sociétaux dans la datcha, le clash de ces sujets m’incite à jeter un pavé dans la mare, disons dans la garde-robe.

            Loin de moi l’idée de faire un raccourci entre la burqa et l’abaya, ni d’établir un parallèle sans nuances comme d’aucuns l’ont sans doute fait. La burqa est une prison, un sac grillagé qui neutralise non seulement la silhouette des femmes mais les prive de toute liberté élémentaire. Ainsi vêtue, une femme n’a plus aucune personnalité ni aucun droit aux yeux des hommes qui leur infligent pareille violence. La burqa n’est pas un vêtement ; elle est le sceau de l’infamie.

            Et l’abaya alors ? Puisque c’est dans l’air du temps d’en parler. C’est plutôt joli, une abaya. La fluidité du tissu, lorsqu’elle est bien coupée, féminise une silhouette. Elle n’est sans rappeler les longues robes de soirée des mariages des années soixante-dix qui faisaient rêver la petite fille que j’étais. Elle n’est pas sans évoquer ces tenues exotiques que savaient si bien représenter les peintres orientalistes du dix-neuvième siècle et qui firent fantasmer bon nombre d’Occidentaux ! Et nul ne songeait alors que ces beautés étaient sous le joug de leur père et mari. On a sans doute aujourd’hui un sens de l’égalité bien plus exacerbé qu’il y a cent cinquante ans et c’est tant mieux. Mais rien n’est jamais simple et sous couvert d’une morale laïque, on est, en France, prompts à condamner. Toute forme d’uniforme, du reste. L’uniforme des scouts fait grincer les dents de ceux qui ne reconnaissent pas les vertus pédagogiques du mouvement. On se gausse du kilt de Charles III, si l’on n’est pas Écossais.

            Alors tandis que sonne la rentrée, la France s’enflamme pour des histoires de garde-robe. Certains ont peur de l’uniforme scolaire ; d’autres le promeuvent. Doter les élèves de l’école primaire au lycée d’une tenue uniforme ne gommera assurément pas les inégalités sociales – nos chères têtes blondes ont une langue, se racontent leurs vacances et leur quotidien, ce que des adultes semblent avoir occulté ! – mais cela aurait indéniablement l’avantage de mettre les tee-shirts et les jupes à même longueur d’ourlet. Car le problème principal – c’est l’enseignante qui parle ici –, n’est pas de savoir qui doit porter quoi mais de considérer que telle tenue est acceptable ou indécente. Écueil auquel les professeurs et chefs d’établissement sont confrontés depuis quelques années (et qui ne met personne d’accord). La liberté vestimentaire est un symptôme d’individualisme à tout crin.  La multiplication des abayas au sein des lycées n’est peut-être pas si innocente que cela. À chaque demoiselle d’affirmer sa personnalité, qui en exhibant sa poitrine, qui en masquant ses formes.

            Est-ce à dire que je me range du côté des défenseurs tous azimuts de l’abaya ? Un vêtement, quel qu’il soit, est un langage. Et derrière se profile parfois une idéologie. En soi, certes, l’abaya n’est pas un vêtement religieux. Mais nombre de jeunes filles qui le portent ne le font pas seulement pour répondre à des us et coutumes familiaux. Plus ou moins consciemment, l’adolescente peut être manipulée et se voir confier le rôle missionnaire d’un Islam radical. Toutes les abayas ne sont sans doute pas vertueuses. C’est à ce titre qu’il était certainement plus prudent de ne pas les tolérer au sein de l’école, laquelle doit rester en dehors des débats politico-religieux, surtout parmi nos enfants, trop jeunes, trop malléables. Ce n’est pas une condamnation d’une religion, c’est un rappel de la laïcité intrinsèque de l’école républicaine.

            Toutefois, j’éprouve toujours une perplexité pas dénuée d’ambiguïté de ma part quand je vois les crispations, dans mon pays, autour des religions quelles qu'elles soient. Le Royaume-Uni, a, me semble-t-il moins de complexes et les turbans des Sikhs comme les saris colorés des Indiennes et Pakistanaises égayent la grisaille de Londres. (Pas d’angélisme chez moi ; le racisme existe aussi outre-Manche). Mais il est indéniable que notre France républicaine a des problèmes avec le sacré ; elle mâchonne encore et ne digère toujours pas ce que sa Révolution a mené, avec ce que cela avait de bon, mais aussi de discutable. 

            Pour conclure, je ne peux m’empêcher de penser au caractère quelque peu dérisoire de l’utilité de l’uniforme dans les écoles françaises quand, en Afghanistan, les petites filles sont privées d’instruction et les jeunes filles renvoyées des universités. Celles-ci savent tout le poids d’un vêtement imposé, quand il bafoue leur dignité.


samedi 9 septembre 2023

Commencer

 



            « L’unique joie au monde est de commencer. Il est beau de vivre car vivre c’est commencer, toujours à chaque instant. » Je n’irai pas jusqu’à penser, comme le poète Cesare Pavese, que commencer est l’unique joie. Mais à l’heure de la rentrée, commencer et recommencer sont les injonctions du présent. Avec leur lot d’appréhension et d’incertitudes, mais aussi avec l’emballement de l’enthousiasme. Il y a les engagements inévitables, dont on accommode peu ou prou. Et cette myriade de projets qui gravitent autour. Un champ de possibles. De quoi ai-je envie ? Quelles opportunités vais-je saisir ? Qui s’assiera sur la chaise vide ? Saurais-je mettre de la poésie sur le quotidien ? Aurais-je toujours du souffle pour écrire ? De l’énergie pour les pirouettes et les arabesques ?  Quels films, quelles expositions, quels livres me seront proposés ? Quelles nouvelles rencontres enrichissantes ferai-je ? Qui retrouverai-je autour d’un bon dîner ?

            La vie des enseignants est rythmée par la rentrée des classes. C’est un éternel recommencement, mais jamais pareil aux années précédentes. La reprise du cartable cultive toujours en nous une part d’enfance. Je n’ai plus d’étiquettes sur mes cahiers et mes crayons, ni de blouse à enfiler. Et la petite fille aux couettes bouclées n’est plus. Mais le cœur chavire un peu le premier jour, à l’unisson avec les élèves, les intimidés comme les blasés.

            En contrepoint de cette première semaine rythmée par les listes d’appel et les cours, mon jardin secret se fraye un passage. Ma part rêveuse se recroqueville dans ma datcha. Mon corps se gorge de fleurs, d’herbe fraîche à l’aube. La voici déjà moins encline à paraître. La lève-tôt que je suis l’attend. J’ai des velléités de désertion. D’école buissonnière.  Sillonner les chemins, ramasser des mûres, aller écouter l’alouette. Alors je convoque des rentrées d’autrefois, commémorées dans les livres, elles ont bruit de galoches, odeur de laine mouillée dans les frileux matins d’octobre quand les hirondelles étaient encore nombreuses sur les fils. La cloche sonne à Epineuil-Le Fleuriel. Le costaud là-bas qui, d’une tête, dépasse ses camarades a des épaules trapues de charron qui ondulent dans la vague noire des sarraus. Il court l’enfance perdue, louvoie vers une adolescence gauche aux entournures.

            La cloche a sonné.


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