dimanche 12 mai 2024

Fugacité

 



Samedi soir, ce long week-end s’achève déjà presque et je n’ai rien écrit dans mon blog. Indolence et scrupules se livrent un combat inégal. Nulle nécessité, c’est vrai. J’ouvre la porte de la datcha selon mon bon plaisir. Avec cette arrière-pensée de ne pas être une hôtesse soucieuse de ses visiteurs. Des lecteurs en attente, sans doute. Quoi dire ? Que vais-je m’autoriser à écrire cette fois encore ? Je n’ai pas toujours d’idées. Écrire juste. Écrire sans futilité. Écrire sans sombrer dans la graphomanie. Écrire sans être la greffière de sa propre vie comme certains s’en sont donné la tâche (et s’en acquittent fort bien ou avec prétention et complaisance). Les mots, les thèmes infusent en moi. Se perdent dans le tourbillon des jours. Je reviens, ce soir, à ma sempiternelle tisane, ressassée, refroidie, sur la difficulté, souvent, d’écrire malgré ce bouillonnement en moi, un adage auquel je suis fidèle, un élan vital sans lequel je m’étiolerais. Écrire, un de mes verbes préférés.

Vingt et une heures au jardin. Première douceur de la saison. Le seringa me lance par intermittences ses effluves. Un merle chante au sommet d’une cheminée. C’est sans doute celui qui m’a élue au point de courir vers moi en sautillant dans la pelouse lorsque je viens au jardin et qui ne me fuit pas quand ma silhouette se découpe dans la fenêtre. Il quête les morceaux de pomme que je lui donne.  Sa sérénade, ce soir, ne couvre pas le bourdonnement d’une foire, non loin dans mon quartier, et les exhortations du forain qui troublent mon jardin tranquille de cette fièvre populaire dont je n’ai jamais partagé l’engouement.

Dans le ciel surgissent les premiers martinets de la saison, prévisibles hérauts d’une chaude soirée. Leurs ailes déployées, leurs virevoltes sont des oriflammes. Et soudain le ciel se quadrille de traînées de fumées d’avion, nacrées par le soleil couchant. Cinq vols. Cinq destinations. Lignes parallèles ou croisées en un carroyage inattendu. Je cours chercher l’appareil photo. Trop tard. Il aura suffi de quelques instants à peine pour que s’estompent les tracés, pour que les avions ne soient plus qu’un point ténu là-haut. Fugacité insaisissable dans l’appareil photo.

Il en va des lignes d’horizon de ces avions comme des mots fuyants, dans un esprit pas assez arrimé au papier. Ciel bleu et feuille blanche forment un même mirage.


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