Vitrine d'une boutique parisienne. Décembre 2010
Il
m’arrive souvent de lire avec quelques jours de retard le quotidien auquel je
suis abonnée. Ce faisant, la une du journal du mercredi 6 septembre
m’interpelle. Par une ironie du sort – involontaire de la part des rédacteurs
ou peu ou prou consciente ? –, la photo représentant cinq Afghanes
emprisonnées sous leur burqa est titrée « Afghanistan, la vie volée des
femmes » tandis que la colonne de l’éditorial affiche le titre « Uniforme,
le retour ». Si je ne laisse pas volontiers entrer les sujets
politiques ou sociétaux dans la datcha, le clash de ces sujets m’incite à jeter
un pavé dans la mare, disons dans la garde-robe.
Loin
de moi l’idée de faire un raccourci entre la burqa et l’abaya, ni d’établir un
parallèle sans nuances comme d’aucuns l’ont sans doute fait. La burqa est une
prison, un sac grillagé qui neutralise non seulement la silhouette des femmes
mais les prive de toute liberté élémentaire. Ainsi vêtue, une femme n’a plus
aucune personnalité ni aucun droit aux yeux des hommes qui leur infligent
pareille violence. La burqa n’est pas un vêtement ; elle est le sceau de
l’infamie.
Et
l’abaya alors ? Puisque c’est dans l’air du temps d’en parler. C’est
plutôt joli, une abaya. La fluidité du tissu, lorsqu’elle est bien coupée,
féminise une silhouette. Elle n’est sans rappeler les longues robes de soirée
des mariages des années soixante-dix qui faisaient rêver la petite fille que
j’étais. Elle n’est pas sans évoquer ces tenues exotiques que savaient si bien représenter
les peintres orientalistes du dix-neuvième siècle et qui firent fantasmer bon
nombre d’Occidentaux ! Et nul ne songeait alors que ces beautés
étaient sous le joug de leur père et mari. On a sans doute aujourd’hui un sens
de l’égalité bien plus exacerbé qu’il y a cent cinquante ans et c’est tant
mieux. Mais rien n’est jamais simple et sous couvert d’une morale laïque, on
est, en France, prompts à condamner. Toute forme d’uniforme, du reste.
L’uniforme des scouts fait grincer les dents de ceux qui ne reconnaissent pas
les vertus pédagogiques du mouvement. On se gausse du kilt de Charles III, si
l’on n’est pas Écossais.
Alors
tandis que sonne la rentrée, la France s’enflamme pour des histoires de
garde-robe. Certains ont peur de l’uniforme scolaire ; d’autres le
promeuvent. Doter les élèves de l’école primaire au lycée d’une tenue uniforme ne
gommera assurément pas les inégalités sociales – nos chères têtes blondes ont
une langue, se racontent leurs vacances et leur quotidien, ce que des adultes
semblent avoir occulté ! – mais cela aurait indéniablement l’avantage de
mettre les tee-shirts et les jupes à même longueur d’ourlet. Car le problème
principal – c’est l’enseignante qui parle ici –, n’est pas de savoir qui doit
porter quoi mais de considérer que telle tenue est acceptable ou indécente. Écueil auquel les professeurs et chefs d’établissement sont
confrontés depuis quelques années (et qui ne met personne d’accord). La liberté
vestimentaire est un symptôme d’individualisme à tout crin. La multiplication des abayas au sein des
lycées n’est peut-être pas si innocente que cela. À chaque demoiselle d’affirmer sa personnalité, qui en
exhibant sa poitrine, qui en masquant ses formes.
Est-ce
à dire que je me range du côté des défenseurs tous azimuts de l’abaya ? Un
vêtement, quel qu’il soit, est un langage. Et derrière se profile parfois une
idéologie. En soi, certes, l’abaya n’est pas un vêtement religieux. Mais nombre
de jeunes filles qui le portent ne le font pas seulement pour répondre à des us
et coutumes familiaux. Plus ou moins consciemment, l’adolescente peut être
manipulée et se voir confier le rôle missionnaire d’un Islam radical. Toutes
les abayas ne sont sans doute pas vertueuses. C’est à ce titre qu’il était
certainement plus prudent de ne pas les tolérer au sein de l’école, laquelle
doit rester en dehors des débats politico-religieux, surtout parmi nos enfants,
trop jeunes, trop malléables. Ce n’est pas une condamnation d’une religion,
c’est un rappel de la laïcité intrinsèque de l’école républicaine.
Toutefois,
j’éprouve toujours une perplexité pas dénuée d’ambiguïté de ma part quand je
vois les crispations, dans mon pays, autour des religions quelles qu'elles
soient. Le Royaume-Uni, a, me semble-t-il moins de complexes et les turbans des
Sikhs comme les saris colorés des Indiennes et Pakistanaises égayent la
grisaille de Londres. (Pas d’angélisme chez moi ; le racisme existe aussi
outre-Manche). Mais il est indéniable que notre France républicaine a des
problèmes avec le sacré ; elle mâchonne encore et ne digère toujours pas
ce que sa Révolution a mené, avec ce que cela avait de bon, mais aussi de
discutable.
Pour
conclure, je ne peux m’empêcher de penser au caractère quelque peu dérisoire de
l’utilité de l’uniforme dans les écoles françaises quand, en Afghanistan, les
petites filles sont privées d’instruction et les jeunes filles renvoyées des
universités. Celles-ci savent tout le poids d’un vêtement imposé, quand il
bafoue leur dignité.
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