jeudi 14 septembre 2023

Un pavé dans la garde-robe

 

                                               Vitrine d'une boutique parisienne. Décembre 2010


            Il m’arrive souvent de lire avec quelques jours de retard le quotidien auquel je suis abonnée. Ce faisant, la une du journal du mercredi 6 septembre m’interpelle. Par une ironie du sort – involontaire de la part des rédacteurs ou peu ou prou consciente ? –, la photo représentant cinq Afghanes emprisonnées sous leur burqa est titrée « Afghanistan, la vie volée des femmes » tandis que la colonne de l’éditorial affiche le titre « Uniforme, le retour ». Si je ne laisse pas volontiers entrer les sujets politiques ou sociétaux dans la datcha, le clash de ces sujets m’incite à jeter un pavé dans la mare, disons dans la garde-robe.

            Loin de moi l’idée de faire un raccourci entre la burqa et l’abaya, ni d’établir un parallèle sans nuances comme d’aucuns l’ont sans doute fait. La burqa est une prison, un sac grillagé qui neutralise non seulement la silhouette des femmes mais les prive de toute liberté élémentaire. Ainsi vêtue, une femme n’a plus aucune personnalité ni aucun droit aux yeux des hommes qui leur infligent pareille violence. La burqa n’est pas un vêtement ; elle est le sceau de l’infamie.

            Et l’abaya alors ? Puisque c’est dans l’air du temps d’en parler. C’est plutôt joli, une abaya. La fluidité du tissu, lorsqu’elle est bien coupée, féminise une silhouette. Elle n’est sans rappeler les longues robes de soirée des mariages des années soixante-dix qui faisaient rêver la petite fille que j’étais. Elle n’est pas sans évoquer ces tenues exotiques que savaient si bien représenter les peintres orientalistes du dix-neuvième siècle et qui firent fantasmer bon nombre d’Occidentaux ! Et nul ne songeait alors que ces beautés étaient sous le joug de leur père et mari. On a sans doute aujourd’hui un sens de l’égalité bien plus exacerbé qu’il y a cent cinquante ans et c’est tant mieux. Mais rien n’est jamais simple et sous couvert d’une morale laïque, on est, en France, prompts à condamner. Toute forme d’uniforme, du reste. L’uniforme des scouts fait grincer les dents de ceux qui ne reconnaissent pas les vertus pédagogiques du mouvement. On se gausse du kilt de Charles III, si l’on n’est pas Écossais.

            Alors tandis que sonne la rentrée, la France s’enflamme pour des histoires de garde-robe. Certains ont peur de l’uniforme scolaire ; d’autres le promeuvent. Doter les élèves de l’école primaire au lycée d’une tenue uniforme ne gommera assurément pas les inégalités sociales – nos chères têtes blondes ont une langue, se racontent leurs vacances et leur quotidien, ce que des adultes semblent avoir occulté ! – mais cela aurait indéniablement l’avantage de mettre les tee-shirts et les jupes à même longueur d’ourlet. Car le problème principal – c’est l’enseignante qui parle ici –, n’est pas de savoir qui doit porter quoi mais de considérer que telle tenue est acceptable ou indécente. Écueil auquel les professeurs et chefs d’établissement sont confrontés depuis quelques années (et qui ne met personne d’accord). La liberté vestimentaire est un symptôme d’individualisme à tout crin.  La multiplication des abayas au sein des lycées n’est peut-être pas si innocente que cela. À chaque demoiselle d’affirmer sa personnalité, qui en exhibant sa poitrine, qui en masquant ses formes.

            Est-ce à dire que je me range du côté des défenseurs tous azimuts de l’abaya ? Un vêtement, quel qu’il soit, est un langage. Et derrière se profile parfois une idéologie. En soi, certes, l’abaya n’est pas un vêtement religieux. Mais nombre de jeunes filles qui le portent ne le font pas seulement pour répondre à des us et coutumes familiaux. Plus ou moins consciemment, l’adolescente peut être manipulée et se voir confier le rôle missionnaire d’un Islam radical. Toutes les abayas ne sont sans doute pas vertueuses. C’est à ce titre qu’il était certainement plus prudent de ne pas les tolérer au sein de l’école, laquelle doit rester en dehors des débats politico-religieux, surtout parmi nos enfants, trop jeunes, trop malléables. Ce n’est pas une condamnation d’une religion, c’est un rappel de la laïcité intrinsèque de l’école républicaine.

            Toutefois, j’éprouve toujours une perplexité pas dénuée d’ambiguïté de ma part quand je vois les crispations, dans mon pays, autour des religions quelles qu'elles soient. Le Royaume-Uni, a, me semble-t-il moins de complexes et les turbans des Sikhs comme les saris colorés des Indiennes et Pakistanaises égayent la grisaille de Londres. (Pas d’angélisme chez moi ; le racisme existe aussi outre-Manche). Mais il est indéniable que notre France républicaine a des problèmes avec le sacré ; elle mâchonne encore et ne digère toujours pas ce que sa Révolution a mené, avec ce que cela avait de bon, mais aussi de discutable. 

            Pour conclure, je ne peux m’empêcher de penser au caractère quelque peu dérisoire de l’utilité de l’uniforme dans les écoles françaises quand, en Afghanistan, les petites filles sont privées d’instruction et les jeunes filles renvoyées des universités. Celles-ci savent tout le poids d’un vêtement imposé, quand il bafoue leur dignité.


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