vendredi 28 octobre 2022

Saveurs d'automne

 

                   

                                                                                               Photo de J. Mercier


    La cuisine a ses saisons. Chapon rôti, truffes au chocolat et galette à la frangipane, délicieuses parenthèses dans l’hiver morose. Frivoles radis roses comme des baisers de printemps. Fèves vert tendre d’un avril aux ramures feuillues. Gelées de groseilles vermeilles de juin. Tartes aux abricots gorgés d’un soleil de fin d’été. Figues charnues d’un septembre méridional. Et brumes revenues,  les vendanges sont faites et la sauvagine, mise à la gibecière. Cailles, perdrix, bartavelles. Le marcassin donne son civet, la biche son cuissot. Comme un bouquet final de feu d’artifice, mère Nature aura livré, avant les bourrasques de novembre, noix, noisettes, châtaignes, potirons, pâtissons, rattes, vitelottes et blettes. Le gibier est grand seigneur à la table des restaurants. Faisan au pommard ou lièvre au lussac-saint-émilion et c’est votre nez qui chasse à la billebaude des saveurs de glands écrasés sous la futaie, de mûres dans les fossés, de girolles sous la mousse et le parfum âcre des sillons labourés ou celui, acide, des éteules détrempées par la pluie. L’automne est la saison préférée d’Antoine. La saison reine de la Bourgogne. Potage à la courge, risotto de cèpes, pain perdu à la crème de cynorrhodon ou le panier d’automne aux marrons, les incontournables de sa table.

 Extrait de L'hiver avec elle Nathalie Boniface-Mercier Editions Unicité (2019), page 229


dimanche 23 octobre 2022

Le temps pour écrire

 


                Les volets de la datcha sont restés clos ces jours-ci et pourtant je n’étais pas par monts et par vaux. Un peu de nonchalance ? De fatigue cérébrale ?  Un quotidien trop prenant ? Ou l’imagination tarie pour écrire des chroniques ? Des idées s’ébauchent mais ont du mal à se concrétiser. Ecrire, c’est parfois cela : une nuée de mots qui tournoient dans l’esprit, erratiques, inconsistants et que je n’arrive pas à poser sur le papier ou l’écran. Une forme d’indolence créatrice. Un fond de manque de confiance, également. Et la difficulté à ordonner les heures d’écriture. Parce que j’écris ! Depuis quelques jours, je suis rivée à mon nouveau roman. J’écris parfois jusqu’à l’étourdissement. Presque 10 000 signes hier, soit 5 à 6 pages. Trois bonnes heures de travail. Je songe avec une pointe d’envie et d’admiration à ces auteurs d’autrefois comme Victor Hugo ou George Sand qui s‘attelaient quotidiennement à leur roman en cours (d’énormes volumes) et trempaient ensuite leur plume dans l’encrier pour entretenir une correspondance abondante. Cela laisse rêveur. Certes, Hugo n’avait point à faire bouillir la marmite et George Sand assumait sa charge de maîtresse de maison en reléguant parfois les heures d’écriture à la solitude de la nuit.

            Et quand les mots ne me retiennent pas au bureau, c’est le jardin qui m’appelle. La glycine à élaguer, les sédums fanés à couper, les dernières fleurs de la saison à mettre en bouquet.

           


dimanche 9 octobre 2022

Salons du livre: joies et dépits

 



Participer à un salon du livre est un passage obligé pour les écrivains, connus ou pas. Bien sûr, on ne sera pas logé à la même enseigne si l’on vend des best-sellers chez un grand éditeur ou si l’on est un auteur confidentiel (euphémisme qui désigne pudiquement un auteur reconnu par un éditeur honorable, d’une moyenne ou petite maison mais dont les ventes ont du mal à décoller). Dédicacer son dernier livre à Brive ou Paris, villes réputées pour leur grand salon, sous les projecteurs, entretient l’aura d’un écrivain. Quand on est un auteur inconnu on les envie parfois un peu. Tout semble si facile pour eux. Si quelques célébrités ont rapidement la crampe du poignet à enchaîner les signatures devant une queue d’admirateurs, leurs confrères un tantinet moins adulés connaissent parfois la dure réalité de la concurrence. Signer dans un grand salon, c’est se voir attribuer un créneau de deux heures, parfois à côté d’un auteur qui a le vent en poupe et rafle les lecteurs. Je me souviens, lors de salons du livre à Paris où j’allais en visiteuse, de quelques auteurs, dont je tairai le nom par discrétion, qui composaient une mine impassible et digne, devant la pile de leurs livres peu plébiscités, bien qu’estampillés Gallimard, Grasset et compagnie. Mais, dirait un auteur sans renom ou un écrivaillon du dimanche, c’est déjà accéder à la table des élus. Il leur manque si peu pour toucher le Graal. Un prix prestigieux qu’ils auront peut-être un jour et le tour sera joué ! Le statut d’écrivain demande de l’humilité et de la patience, qui qu’on soit.

Que dire, alors, des joies et déconvenues des écrivains sans gloire, des besogneux, des auto-édités, des poètes rimailleurs ou talentueux, des auteurs débutants ou confirmés mais restés confidentiels ? On les invite dans les petits salons de province (et c’est un honneur) ou bien ils postulent et louent leur étal. Les premiers arrivent les mains dans les poches ; le libraire local a pourvu leur table de leurs derniers ouvrages. Point de souci de trésorerie pour eux ; l’acheteur passe à la caisse du libraire. Les seconds débarquent avec une valise à roulettes dûment remplie. Ils usent d’astuces pour qu’on s’arrête à leur stand et assurent les comptes. Les uns vendront mieux que les autres ? Pas certain. Affaire de bagout, de renommée locale, de proximité du stand avec un point névralgique et méandres inexplicables du hasard. Cette part d’inconnu et de loterie du sort nourrit des amertumes, des dépits, des jalousies rentrées ou d’égoïstes joies.

Qu’est-ce qui contribue à la réussite d’un salon ? Beaucoup de visiteurs, certes, à condition qu’ils achètent. Beaucoup viennent en badauds. Une facilité à entrer en contact avec le lecteur potentiel, voire à le harponner. Une causerie bien argumentée servie à un interlocuteur intéressé n’est pas toujours couronnée de succès. Et les autres ingrédients d’un bon salon ? Indubitablement la météo. Si les premiers rayons printaniers dardent sur la campagne ou le littoral, le public attendu boudera la salle des fêtes pour le bon air du dehors. S’il pleut trop, s’il vente, pourquoi sortir ? Et si la pluie s’est abattue sans discontinuer sur un salon à ciel ouvert, c’est la catastrophe pour les organisateurs et les auteurs. Les livres prennent l’humidité sous les tentes et les barnums, leurs couvertures se gondolent, les courageux visiteurs qui ont bravé les intempéries rechignent à fermer leur parapluie et à s’approcher. Ils ont les mains mouillées, alors comment toucher les livres ? Ils filent, indifférents ou gentiment compatissants du bout des lèvres, devant les écrivains médusés ou découragés. Lesquels remballent avant l’heure de fermeture et s’en retournent, la valise tristement pleine, avec, au compteur très peu de livres vendus… ou pas un seul !


samedi 24 septembre 2022

Ce qu'elles se sont dit

 

 Source: Internet


Dans notre société où la mort s’est faite bien discrète, parce que jugée impudique, l’actualité de ces derniers jours, avec les funérailles de la reine Elizabeth II, l’a mise sur le devant de la scène. Et a révélé d’étonnants paradoxes. Des milliers de gens, britanniques ou pas, pleuraient une vieille dame dont la disparation n’avait en soi rien de tragique ni de révoltant au regard des décès d’enfants à cause des conflits et des famines. Néanmoins, par un surprenant transfert, de nombreux anonymes ont avoué avoir perdu leur « granny ». Et les médias n’ont eu de cesse de présenter la reine d’Angleterre comme l’universelle grand-mère. Distorsion d’un arbre généalogique royal qui pourrait prêter à sourire mais qui a volontiers remporté une bienveillante adhésion, derrière laquelle, je le reconnais, je me retrouve. Inconsciemment, cela en dit long sur le pouvoir de soumission délibérée qui unit le peuple à son souverain. Un cordon ombilical insécable, en quelque sorte.

Il est vrai que la famille royale d’Angleterre cultive avec maestria cette allégeance – ou du moins cet attachement – à leur royaume et à leurs personnes. Elizabeth II a donc offert au monde entier un spectacle unique, magnifique, grandiose, orchestré avec talent. Si habituellement les obsèques, quoique publiques, restent cantonnées à la sphère du privé de par la présence de la famille, d’amis ou de relations, celles de la souveraine ont été déployées dans le monde entier via la télévision. Et les caméras intrusives ont restitué en temps réel les moments de recueillement et les cortèges funèbres – de Balmoral à Londres en passant par Edimbourg – donnant l’impression d’une démultiplication du rite des obsèques, généralement célébré dans le temps resserré d’une journée. L’intime a été rendu visible, partagé. Comment oublier le visage triste des enfants de la reine derrière ou autour de son cercueil ?

Pourtant l’iconique monarque est décédée dans la plus stricte intimité, chez elle à Balmoral. Quelles ont été ses dernières heures, ses dernières minutes ? Nous ne le saurons jamais et n’avons pas à le savoir. Sa fille Anne était à ses côtés, nous ont dit les journalistes. Là s’arrête l’information. Dans le silence feutré d’une chambre à coucher, une mère et une fille ont échangé ce qui touche à l’humaine condition dans ce qu’elle a de plus noble et d’universel, qui met sur un pied d'égalité le pauvre et le riche. Ce qui fait l’insondable diversité de l’âme, autour de la peur, l’inquiétude, la dignité, la souffrance physique, l’amour, l’émotion, la pudeur.

À l’époque où des gouvernements légifèrent sur le droit des hommes à disposer d’eux-mêmes sur l’heure de leur mort, sur l’injonction des hommes à remplacer les Parques et couper d’autorité les fils, ne fermons pas les yeux sur l’humilité nécessaire de tout être humain vers ce grand saut dans l’inconnu qui fait si peur. Sur son lit de mort, Elizabeth n’avait pas de couronne mais la même âme que chacun d’entre nous. Certes, elle est partie sans grandes souffrances physiques, sans une pitoyable déchéance du corps et à un âge vénérable. Certes. Mais l’infime point de bascule qu’elle a connu est le même pour tous, quand la mort frappe de plein fouet notre lucidité. Et je conclurai sur cette très belle image que la reine nous a offerte dans ces derniers jours. L’image de ses mains bleutées, gagnées par les hématomes, signe patent de sa faiblesse et de sa vieillesse. Des mains dignes, dans leur plus humble condition, sans joyaux. Les mains de nous tous qui sommes frères et sœurs.

 

dimanche 18 septembre 2022

Trouver du temps pour écrire

 


Photo de J. Mercier

Trouver le temps pour écrire. Cela semble couler de source puisque j’ai la chance de travailler à temps partiel. Et pourtant les heures libérées ne sont pas toujours propices à l’écrivant. Cette période de rentrée est bouillonnante même si les dernières chaleurs incitent encore à la nonchalance. Les premiers fruits de l’automne sont à ramasser, au sens propre – les pommes abîmées attendent le couteau pour la compote – et au sens figuré : projets professionnels à bâtir, inscriptions, réservations, invitations, rendez-vous divers, jardinage. Trouver le temps pour écrire. Je prends quelques notes, idées pour la Datcha, mûrissement du roman en cours, mais rien de déployé, d’abouti. Le concret m’habite, occupe mes jours, l’insignifiant requiert mon attention – observer le chat des voisins sur le mur du jardin, chercher une recette – et je songe à mes années de jeunesse où je me levais les samedis et dimanches à sept heures en plein hiver pour écrire et savourer la montée de l’aube. Les élans se perdent-ils ou se laissent-ils plus facilement grignoter par l’indolence de l’âge ? À moins que le glissement d’une saison à l’autre ne distille en nous le désir de retenir le temps ? L’automne a toujours été pour moi une dualité entre l’abondance et le déclin. Un vecteur d’énergie car les lumières ambrées, les matins frais et humides, les derniers verts de la nature, les parfums de terre stimulent. Mais aussi une invitation à l’abandon. Les brumes matinales enveloppantes et le crépuscule poussent au lâcher prise et au repli à la maison.

Si le véritable automne n’a pas encore apposé son sceau sur le calendrier, ses signes annonciateurs sont déjà là dans ma terre picarde. La bignone du jardin s’est parée d’ocres et la pluie, tant espérée l’été, se fait coutumière, insolente. Mais au creux des jours, le temps semble s’être comme suspendu à l’heure anglaise. La reine Elizabeth II s’en est allée et, toutes frontières abolies, c’est le balancier des horloges qu’on a arrêté, alors que grondent encore la frénésie et la folie du monde.


samedi 10 septembre 2022

Alouette, gentille alouette

 

                                        Source: Internet

                                         

En me promenant dimanche dernier dans les champs, j’ai réalisé qu’aucune alouette n’occupait le ciel, au-dessus des blés moissonnés, de son vol si particulier, à la fois statique et frénétique. Le chant des alouettes a toujours été pour moi synonyme de l’été à la campagne. Sa mélodie se déploie dans la douceur de l’air, elle habite le bleu du ciel, l’ocre des chaumes. On entend la trille joyeuse de l’oiseau avant même de le voir.

Ce dimanche, ciel et terre sont silencieux. Mais où sont les oiseaux ? L’agriculture intensive, avec l’usage récurrent de ses pesticides, a, on le sait, des effets nocifs sur le monde aviaire. Le fauchage des cultures, plus précoce du fait du réchauffement climatique, contribue aussi à l’extinction de l’espèce car cela détruit la nidification des alouettes, laquelle se fait jusqu’au début du mois de juillet. La sècheresse de ces derniers mois leur a peut-être aussi été fatale. Sans compter les incendies. L’espèce est en déclin, moins 4% ces dix dernières années.

Comme sont loin ces années d’insouciance où l’homme n’avait cure du devenir d’espèces animales. Nos oiseaux des champs et des bois pullulaient et des générations d’hommes les faisaient passer à la marmite ou à la broche ! Pratiques qui ont de quoi surprendre nos estomacs d’aujourd’hui. En me promenant, il m’est revenu à l’esprit un texte de Jean Giono. Egalement un souvenir d’enfance de Marie Rouanet qui racontait, dans Nous les filles, les repas des dimanches soirs, quand sa mère faisait mijoter les alouettes tuées par le père. Dîners de besogneux qui trouvaient leur provende dans la nature nourricière.

Premières années du 20ème siècle. Jean Giono, enfant, accompagne ses parents, cordonnier et blanchisseuse, chez des amis paysans qui leur offre le traditionnel déjeuner au lendemain du nouvel an.  C’était chaque fois pareil, mais c’était chaque fois magnifique. Notre repas de midi était une immense galimafrée de « petites bêtes » : petits oiseaux, moineaux, pinsons, rouges-gorges, rossignols, courlis, pluviers, alouettes, grives, merles, râles d’eau, bergeronnettes, roitelets, hoche-queues, culs-blancs, bouvreuils, cailles, mésanges charbonnières, chardonnerets, coucous, loriots, verdioles, mélangés avec quelques grosses pièces : bécasses, bécassines, poules d’eau, et même cet oiseau excellent en toutes sortes que je n’ai jamais plus trouvé qu’ici : des coquecigrues. La coquecigrue (c’était peut-être un simple geai) était le triomphe de Romuald. [1]

            Quand on sait la propension naturelle de Jean Giono à fabuler, on ne peut s’empêcher de songer qu’il s’est laissé emporter par la plume au regard d’une telle liste ! D’autant plus que certaines espèces, migratoires, n’occupaient certainement pas le ciel provençal quand ledit Romuald chassait en plein hiver. Et la coquecigrue est une invention rabelaisienne ! Quant à moi, je goûte ce florilège d’espèces aviaires par le plaisir des mots. Aucunement par celui de la bonne chère. Notre sensibilité d’aujourd’hui va à l’amour pour rouges-gorges, chardonnerets et mésanges  – je ne peux citer tous ces amis du jardin  – et non à l’idée de les consommer.

           



[1] Jean GIONO, « La partie de campagne », La chasse au bonheur (Gallimard 1988, recueil de chroniques rédigées pour des journaux entre 1966 et 1970)


Archives

Conférence

Mes consultations