Participer à un salon du
livre est un passage obligé pour les écrivains, connus ou pas. Bien sûr, on ne
sera pas logé à la même enseigne si l’on vend des best-sellers chez un grand
éditeur ou si l’on est un auteur confidentiel (euphémisme qui désigne
pudiquement un auteur reconnu par un éditeur honorable, d’une moyenne ou petite
maison mais dont les ventes ont du mal à décoller). Dédicacer son dernier livre
à Brive ou Paris, villes réputées pour leur grand salon, sous les projecteurs,
entretient l’aura d’un écrivain. Quand on est un auteur inconnu on les envie
parfois un peu. Tout semble si facile pour eux. Si quelques célébrités ont
rapidement la crampe du poignet à enchaîner les signatures devant une queue
d’admirateurs, leurs confrères un tantinet moins adulés connaissent parfois la
dure réalité de la concurrence. Signer dans un grand salon, c’est se voir
attribuer un créneau de deux heures, parfois à côté d’un auteur qui a le vent
en poupe et rafle les lecteurs. Je me souviens, lors de salons du livre à Paris
où j’allais en visiteuse, de quelques auteurs, dont je tairai le nom par
discrétion, qui composaient une mine impassible et digne, devant la pile de
leurs livres peu plébiscités, bien qu’estampillés Gallimard, Grasset et
compagnie. Mais, dirait un auteur sans renom ou un écrivaillon du dimanche,
c’est déjà accéder à la table des élus. Il leur manque si peu pour toucher le
Graal. Un prix prestigieux qu’ils auront peut-être un jour et le tour sera
joué ! Le statut d’écrivain demande de l’humilité et de la patience, qui
qu’on soit.
Que dire, alors, des
joies et déconvenues des écrivains sans gloire, des besogneux, des auto-édités,
des poètes rimailleurs ou talentueux, des auteurs débutants ou confirmés mais
restés confidentiels ? On les invite dans les petits salons de province
(et c’est un honneur) ou bien ils postulent et louent leur étal. Les premiers
arrivent les mains dans les poches ; le libraire local a pourvu leur table
de leurs derniers ouvrages. Point de souci de trésorerie pour eux ; l’acheteur
passe à la caisse du libraire. Les seconds débarquent avec une valise à
roulettes dûment remplie. Ils usent d’astuces pour qu’on s’arrête à leur stand
et assurent les comptes. Les uns vendront mieux que les autres ? Pas
certain. Affaire de bagout, de renommée locale, de proximité du stand avec un
point névralgique et méandres inexplicables du hasard. Cette part d’inconnu et
de loterie du sort nourrit des amertumes, des dépits, des jalousies rentrées ou
d’égoïstes joies.
Qu’est-ce qui contribue à
la réussite d’un salon ? Beaucoup de visiteurs, certes, à condition qu’ils
achètent. Beaucoup viennent en badauds. Une facilité à entrer en contact avec
le lecteur potentiel, voire à le harponner. Une causerie bien argumentée servie
à un interlocuteur intéressé n’est pas toujours couronnée de succès. Et les
autres ingrédients d’un bon salon ? Indubitablement la météo. Si les
premiers rayons printaniers dardent sur la campagne ou le littoral, le public
attendu boudera la salle des fêtes pour le bon air du dehors. S’il pleut trop,
s’il vente, pourquoi sortir ? Et si la pluie s’est abattue sans
discontinuer sur un salon à ciel ouvert, c’est la catastrophe pour les
organisateurs et les auteurs. Les livres prennent l’humidité sous les tentes et
les barnums, leurs couvertures se gondolent, les courageux visiteurs qui ont
bravé les intempéries rechignent à fermer leur parapluie et à s’approcher. Ils
ont les mains mouillées, alors comment toucher les livres ? Ils filent,
indifférents ou gentiment compatissants du bout des lèvres, devant les
écrivains médusés ou découragés. Lesquels remballent avant l’heure de fermeture
et s’en retournent, la valise tristement pleine, avec, au compteur très peu de
livres vendus… ou pas un seul !
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