samedi 10 septembre 2022

Alouette, gentille alouette

 

                                        Source: Internet

                                         

En me promenant dimanche dernier dans les champs, j’ai réalisé qu’aucune alouette n’occupait le ciel, au-dessus des blés moissonnés, de son vol si particulier, à la fois statique et frénétique. Le chant des alouettes a toujours été pour moi synonyme de l’été à la campagne. Sa mélodie se déploie dans la douceur de l’air, elle habite le bleu du ciel, l’ocre des chaumes. On entend la trille joyeuse de l’oiseau avant même de le voir.

Ce dimanche, ciel et terre sont silencieux. Mais où sont les oiseaux ? L’agriculture intensive, avec l’usage récurrent de ses pesticides, a, on le sait, des effets nocifs sur le monde aviaire. Le fauchage des cultures, plus précoce du fait du réchauffement climatique, contribue aussi à l’extinction de l’espèce car cela détruit la nidification des alouettes, laquelle se fait jusqu’au début du mois de juillet. La sècheresse de ces derniers mois leur a peut-être aussi été fatale. Sans compter les incendies. L’espèce est en déclin, moins 4% ces dix dernières années.

Comme sont loin ces années d’insouciance où l’homme n’avait cure du devenir d’espèces animales. Nos oiseaux des champs et des bois pullulaient et des générations d’hommes les faisaient passer à la marmite ou à la broche ! Pratiques qui ont de quoi surprendre nos estomacs d’aujourd’hui. En me promenant, il m’est revenu à l’esprit un texte de Jean Giono. Egalement un souvenir d’enfance de Marie Rouanet qui racontait, dans Nous les filles, les repas des dimanches soirs, quand sa mère faisait mijoter les alouettes tuées par le père. Dîners de besogneux qui trouvaient leur provende dans la nature nourricière.

Premières années du 20ème siècle. Jean Giono, enfant, accompagne ses parents, cordonnier et blanchisseuse, chez des amis paysans qui leur offre le traditionnel déjeuner au lendemain du nouvel an.  C’était chaque fois pareil, mais c’était chaque fois magnifique. Notre repas de midi était une immense galimafrée de « petites bêtes » : petits oiseaux, moineaux, pinsons, rouges-gorges, rossignols, courlis, pluviers, alouettes, grives, merles, râles d’eau, bergeronnettes, roitelets, hoche-queues, culs-blancs, bouvreuils, cailles, mésanges charbonnières, chardonnerets, coucous, loriots, verdioles, mélangés avec quelques grosses pièces : bécasses, bécassines, poules d’eau, et même cet oiseau excellent en toutes sortes que je n’ai jamais plus trouvé qu’ici : des coquecigrues. La coquecigrue (c’était peut-être un simple geai) était le triomphe de Romuald. [1]

            Quand on sait la propension naturelle de Jean Giono à fabuler, on ne peut s’empêcher de songer qu’il s’est laissé emporter par la plume au regard d’une telle liste ! D’autant plus que certaines espèces, migratoires, n’occupaient certainement pas le ciel provençal quand ledit Romuald chassait en plein hiver. Et la coquecigrue est une invention rabelaisienne ! Quant à moi, je goûte ce florilège d’espèces aviaires par le plaisir des mots. Aucunement par celui de la bonne chère. Notre sensibilité d’aujourd’hui va à l’amour pour rouges-gorges, chardonnerets et mésanges  – je ne peux citer tous ces amis du jardin  – et non à l’idée de les consommer.

           



[1] Jean GIONO, « La partie de campagne », La chasse au bonheur (Gallimard 1988, recueil de chroniques rédigées pour des journaux entre 1966 et 1970)


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