En me promenant dimanche
dernier dans les champs, j’ai réalisé qu’aucune alouette n’occupait le ciel,
au-dessus des blés moissonnés, de son vol si particulier, à la fois statique et
frénétique. Le chant des alouettes a toujours été pour moi synonyme de l’été à
la campagne. Sa mélodie se déploie dans la douceur de l’air, elle habite le
bleu du ciel, l’ocre des chaumes. On entend la trille joyeuse de l’oiseau avant
même de le voir.
Ce dimanche, ciel et
terre sont silencieux. Mais où sont les oiseaux ? L’agriculture intensive,
avec l’usage récurrent de ses pesticides, a, on le sait, des effets nocifs sur le
monde aviaire. Le fauchage des cultures, plus précoce du fait du réchauffement
climatique, contribue aussi à l’extinction de l’espèce car cela détruit la
nidification des alouettes, laquelle se fait jusqu’au début du mois de juillet.
La sècheresse de ces derniers mois leur a peut-être aussi été fatale. Sans
compter les incendies. L’espèce est en déclin, moins 4% ces dix dernières
années.
Comme sont loin ces
années d’insouciance où l’homme n’avait cure du devenir d’espèces animales. Nos
oiseaux des champs et des bois pullulaient et des générations d’hommes les
faisaient passer à la marmite ou à la broche ! Pratiques qui ont de quoi
surprendre nos estomacs d’aujourd’hui. En me promenant, il m’est revenu à l’esprit un texte de Jean
Giono. Egalement un souvenir d’enfance de Marie Rouanet qui racontait, dans Nous
les filles, les repas des dimanches soirs, quand sa mère faisait mijoter
les alouettes tuées par le père. Dîners de besogneux qui trouvaient leur
provende dans la nature nourricière.
Premières années du 20ème
siècle. Jean Giono, enfant, accompagne ses parents, cordonnier et
blanchisseuse, chez des amis paysans qui leur offre le traditionnel déjeuner au
lendemain du nouvel an. C’était chaque fois pareil, mais c’était chaque
fois magnifique. Notre repas de midi était une immense galimafrée de
« petites bêtes » : petits oiseaux, moineaux, pinsons,
rouges-gorges, rossignols, courlis, pluviers, alouettes, grives, merles, râles
d’eau, bergeronnettes, roitelets, hoche-queues, culs-blancs, bouvreuils,
cailles, mésanges charbonnières, chardonnerets, coucous, loriots, verdioles,
mélangés avec quelques grosses pièces : bécasses, bécassines, poules
d’eau, et même cet oiseau excellent en toutes sortes que je n’ai jamais plus
trouvé qu’ici : des coquecigrues. La coquecigrue (c’était peut-être
un simple geai) était le triomphe de Romuald. [1]
Quand on sait la propension naturelle de Jean Giono à
fabuler, on ne peut s’empêcher de songer qu’il s’est laissé emporter par la
plume au regard d’une telle liste ! D’autant plus que certaines espèces,
migratoires, n’occupaient certainement pas le ciel provençal quand ledit
Romuald chassait en plein hiver. Et la coquecigrue est une invention
rabelaisienne ! Quant à moi, je goûte ce florilège d’espèces aviaires par
le plaisir des mots. Aucunement par celui de la bonne chère. Notre sensibilité
d’aujourd’hui va à l’amour pour rouges-gorges, chardonnerets et mésanges – je ne peux citer tous ces amis du
jardin – et non à l’idée de les
consommer.
[1]
Jean GIONO, « La partie de campagne », La chasse au bonheur (Gallimard
1988, recueil de chroniques rédigées pour des journaux entre 1966 et 1970)
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