vendredi 10 juin 2022

Russophilie honnie

 



Il n’aura pas échappé à mes lecteurs une russophilie patente dans mon blog et qu’il n’est guère dans l’air du temps de l’exposer. Nulle provocation de ma part. La datcha a été créée en août dernier, à l’heure où la Russie n’était pas encore honnie. Or, depuis février, j’ai parfois quelque scrupule à laisser paraître entre les lignes ou explicitement mon attrait, sinon mon affection, pour ce pays. Et je ne voudrais pas entraîner mes lecteurs dans cette vision manichéenne stérile qui pousse la vox populi, bien souvent, à condamner trop vite les uns et honorer exclusivement les autres. D’où mon agacement d’apprendre que des enseignants d’un collège Alexandre Soljenitsyne voulaient débaptiser leur établissement au prétexte que le dissident soviétique avait, à la fin de sa vie, une sympathie notoire pour Poutine. Rappelons d’ailleurs que Soljenitsyne est mort en 2008 et que l’eau a coulé sous les ponts.  Et je ne rendrai pas compte de toutes les escarmouches au quotidien : des élèves, des enseignants décriés parce qu’ils apprennent ou enseignent la langue de Pouchkine, des restaurants désertés.

   Faut-il que je me justifie d’aimer la Russie ? On peut aimer un pays tout en condamnant son nationalisme mortifère, ses agressions et ses actes barbares à l’encontre de ses voisins ainsi que la manipulation dictatoriale exercée sur les siens.  Et qu’est-ce, au fond, aimer un pays ? Autant que la Russie, j’aime le Liban, l’Italie. Et je pourrais citer d’autres contrées. Chaque terre a ses attraits. L’attirance particulière pour tel lieu ou tel peuple tient à l’intime. Sont-ce les lieux pour leurs belles images pittoresques ? Est-ce la culture ? Plutôt quelque chose d’intrinsèquement mêlé, plein de méandres qui passeraient par la musicalité de la langue, la gastronomie, la nature, le patrimoine édifié par des générations d’hommes, de civilisations qui se sont succédé, le goût pour un écrivain, un poète, un musicien, un peintre, l’empathie pour des hommes qui ont souffert dans leur histoire – guerre civile, révolution, asservissement – l’atmosphère d’un port, la rugosité d’une campagne, le charme désuet d’une vieille maison de ville ou de village, l’impression de suspens du temps d’une scène de vie loin de la modernité occidentale, la patine des couleurs sur les murs ou les toits,  les parfums de ses rues, la majesté de ses lumières, la silhouette cassée d’une vieille femme, les éclats d’un peuple à travers ses excès ou ses justes revendications, sa déréliction, son hospitalité pour l’étrangère que je suis.

En écrivant ces lignes, je suis happée par des images de toutes parts, de Rome à Tripoli en passant par Moscou ou Prague. Je suis dans la montagne du Chouf, dans un appartement moscovite, dans le Trastevere, sur la Place Rouge, dans la steppe de Tchekhov, dans la vallée de la Kadischa, sous les arcades de Bologne, dans la campagne toscane, dans un salon de thé à Vienne. Ou sur mes chemins de Compostelle à travers l’Espagne. Au cœur de la verte campagne anglaise. Je suis dans les ruelles pavées de Malá Strana, à bord d’un bateau sur le Bosphore, dans un village de Côte d’Ivoire ou près des canaux de Gand.  Je voudrais connaître un jour New York, les îles grecques, les fjords du grand nord, la maison de Karl Larsson en Suède, la plaine mongole, la vieille ville de Cracovie et d’autres cités d’Europe centrale.

Mon cœur est de tous pays. Et surtout mon cœur est pour tous les peuples, notamment quand ils souffrent. Si je suis un peu russe de cœur et d’ascendance, de littéraire et musicale sympathie, mon cœur ne choisit pas aujourd’hui : je pleure les morts, qu’ils soient d’Ukraine ou de Russie, je pense à leurs familles.  Et je n’oublie pas que d’autres pays, beaucoup moins sous les feux médiatiques, ont des peuples qui souffrent aussi.


samedi 4 juin 2022

Flâneries littéraires (suite)

 




Et si je m’inspirais de L’éloge des librairies de Maël Renouard (Chronique du 28 mai sur ce blog) pour vous proposer une flânerie littéraire autobiographique ? À n’en pas douter, c’est moi qui cherche à me faire plaisir car cette louange des librairies est l’occasion, par le pouvoir des mots, de rajeunir et de se laisser bercer par une nostalgie bienfaisante !

            J’ai commencé à fréquenter seule l’univers des librairies lorsque je suis devenue lycéenne et, partant, citadine partielle. Dépendante des horaires des bus scolaires qui me contraignaient à quitter mon village, au petit matin, et à rentrer au crépuscule, je n’aurais guère eu l’occasion d’escapades urbaines si je n’avais eu cette liberté énorme, deux soirs par semaine, de rejoindre à pied mon école de danse en plein centre-ville. Ah, cette joie incomparable de tourner le dos au cours de maths de la classe de 2nde le mardi et de m’octroyer l’achat d’un plantureux pithiviers ou croissant aux amandes avant l’échauffement à la barre puis les pirouettes et les sauts ! Ma gourmandise allait tout autant à des nourritures intellectuelles, lesquelles n’avaient pas de prise sur mon poids de danseuse mais sur celui de mon porte-monnaie.

            La librairie Duclerc, à Abbeville, était une institution, sise en face de l’hôtel de ville, au cœur de la cité. Depuis, elle a eu d’autres propriétaires et, aujourd’hui, sous l’enseigne Studio livres, j’y signe régulièrement mes livres.  Elle n’avait point vraiment de concurrente car sa consœur Cuffay était le fournisseur attitré de moult écoles de la région en papier, cahiers et manuels.  Le rez-de-chaussée, chez Duclerc, ne retenait que peu mon attention (Les nouveautés, en format broché étaient trop chères pour mon budget et je n’étais pas encore coutumière d’auteurs contemporains) mais je me souviens d’un coin du magasin où l’on pouvait acheter pour quelques francs des reproductions de tableaux de maîtres. J’ai ainsi fait l’acquisition du Retour des chasseurs dans la neige de Brueghel.  À l’étage, royaume des livres de poche, mes yeux savouraient les titres et les noms d’auteurs. Flaubert, Balzac, Colette me faisaient saliver. Etonnamment, je ne me souviens plus des quelques ouvrages que j’ai dû acheter. Mon argent de poche d’adolescente m’invitait à la retenue.

            Ma mémoire, cette fois, est bien nette lorsque, étudiante de lettres, je devins une acheteuse plus assidue. L’immense salle de livres de poche de la grande librairie Martelle, à Amiens, me fascinait et devint mon repaire. Elle fut le passage obligé des lectures prescrites par nos enseignants de faculté. Je me revois avec Si par une nuit d’hiver un voyageur, dans les mains. Italo Calvino. Un inconnu pour moi jusque-là. À la même époque, j’ai acheté mes premiers Milan Kundera, auteur évoqué en cours. Folio le mettait à l’honneur en ce début des années 90. Capes en poche, j’ai commencé ma carrière d’enseignante, en lycée. Et ma boulimie de lecture s’est alors déployée. Mes premiers salaires font la part belle à l’étoffement de ma bibliothèque. C’était avec un lot de cinq ou six poches que je sortais régulièrement de la librairie Martelle. Véritable razzia sur les Garnier-Flammarion et les Folio. Kundera, toujours, Pennac, alors en pleine gloire. Des contemporains, déjà classiques, comme Le Parfum de Suskind. Je découvris de nouvelles collections. Les Librio à 10 francs. Mais, surtout, sur l’étal d’une autre librairie amiénoise aujourd’hui disparue – Poiré-Choquet – des livres aussi séduisants par leur couverture que par leur collection : La Cosmopolite (d’un beau rose tendre, qui a hélas fané avec le temps) chez Stock. Par elle, ce sont Henry James, Raymond Carver et Yasushi Inoué qui entrent chez moi. Il y avait aussi ces beaux Livres de Poche Biblio à la couverture beige satinée. Henry James et Calvino, encore, mais aussi Arthur Schnitzler, Kawabata et Virginia Woolf. Je dévorais la littérature étrangère, trop laissée de côté durant ma préparation au Capes.

            En cette première année d’enseignement, je découvris, par l’intermédiaire d’une collègue, les chiffonniers d’Emmaüs, sur la route de mon lycée. Un cabanon de bois accueillait alors le secteur des livres. Un antre hors du temps, chauffé par un rustique poêle à bois. Je me souviens que le compagnon dévolu aux livres écoutait du jazz. Je garde un souvenir enchanteur de ces flâneries devant ces rayons disparates. Tous mes Violette Leduc viennent de là, vieux Folio jaunis mais aussi Orgueil et Préjugés de Jane Austen.

            Les années qui suivirent, mutation oblige, me font découvrir des villes de l’Aisne. Au Furet du Nord, à Saint-Quentin, j’ai craqué pour la collection L’Imaginaire Gallimard (Beaux volumes souples, belles couleurs sur fond blanc) : la meilleure de mes trouvailles est l’émouvant Le livre des jours de Taha Hussein. J’y ai acquis aussi des Giono qui n’étaient pas dans la bibliothèque familiale.

            Mon petit tour des librairies de ma jeunesse ne serait pas complet si je n’évoquais pas aussi mes vacances parisiennes chez une amie de la famille et ma découverte de la Fnac, même si je n’aime pas dans cette enseigne l’absence de lumière naturelle. Étonnamment, je fréquentai bien tardivement Gibert.  Et je devrai lutter contre une indicible timidité avant d’oser franchir le seuil de chez José Corti. Vénérable maison aux livres pas bon marché. Faut-il chercher là la raison de mes hésitations ? Près du Palais-Royal, je savourais des yeux la vitrine de la librairie Delamain sans oser entrer, avant de continuer à baguenauder dans le quartier. Mes escapades parisiennes m’appelaient en priorité, il est vrai, dans les musées et les expos. Je me souviens néanmoins d’avoir délesté mon porte-monnaie à la bouquinerie Mona Lisait, dans le quartier du Marais, rue des Blancs-Manteaux, je crois, de m’être sali les doigts à fureter sur les quais des bouquinistes – un peu pour le folklore aussi ! – et d’avoir fréquenté un temps, dans le quartier de Bastille une librairie russe – Le Globe –, même si mes capacités de lectrice n’ont jamais dépassé Krasnaïa chapotchka[1] !

            À Moscou, j’ai le souvenir d’une très grande librairie où j’étais entrée à la recherche d’un livre sur les échecs que j’avais promis de rapporter à un joueur passionné. Le rayon en question était prodigieusement fourni, à raison de plusieurs étagères sur quelque cinq mètres linéaires chacune. Un univers inconnu pour moi et dont l’offre pléthorique me laissait pantoise. L’URSS était tombée depuis une dizaine d’années mais la pratique des échecs restait un sport national.

           



[1] Le Petit Chaperon rouge


samedi 28 mai 2022

Flâneries littéraires

 




            Je viens d’achever la lecture d’un charmant opuscule : Éloge des librairies de Maël RENOUARD (Editions Rivages poche) La photo de couverture et le titre m’avaient d’emblée séduite. L’auteur évoque ses années de lycéen et d’étudiant au rythme de ses découvertes littéraires dans les librairies ou chez les bouquinistes.  Il nous invite à une flânerie géographique – Rennes, Nantes, quartier latin à Paris, Trouville, Marseille, Lisbonne, Londres – au cours de laquelle les lieux d’autrefois éveillent sa nostalgie, ravivent ses coups de cœur, sa curiosité et sa soif de lectures. D’anecdotes en portraits de libraires esquissés, de décors plantés, Maël Renouard nous fait complice de ses achats et de ses années qui ont forgé en lui le goût des lettres et une culture littéraire dense et substantielle. Il se penche sur sa silhouette d’adolescent campé devant les livres avec tendresse. Il évoque avec humour le dilemme du lecteur vorace submergé par les livres sur son lieu de vacances : « Je ne dois pas être seul familier de cette expérience : au moment de partir en vacances, l’été, on bourre ses valises de livres qu’on se promet de lire au soleil, dont on sait déjà, sans trop se l’avouer, que le nombre excède ce qu’on sera concrètement capable d’achever (mais, se dit-on, c’est aussi pour se ménager la possibilité de choisir), et puis, arrivé sur son lieu de villégiature, on visite un libraire ou bouquiniste du pays, et voici que l’on découvre un nouveau livre, gros ou très gros, que l’on n’avait jamais vraiment songé à se procurer avant de tomber dessus ainsi au hasard d’une flânerie, mais que l’on va prendre, et que l’on va passer toutes les vacances à dévorer, au détriment de la lourde cargaison que l’on avait emportée et qui se trouve frappée d’inutilité avec une soudaineté presque comique. » (page 95)

            Son histoire personnelle de jeune lecteur, circonscrite dans le temps et l’espace, met l’accent sur la pérennité du commerce des livres, les bouquinistes des quais de Seine, par exemple. Ou sur leur impermanence ; des pas de porte ferment définitivement ou changent d’adresse et c’est tout un pan d’une vie de lecteur-acheteur qui disparaît. Ne restent alors que les livres, dans la bibliothèque, et le souvenir des circonstances de l’achat. « D’un grand nombre de mes livres, je peux dire, bien des années après, dans quelle librairie, je me les suis procurés […] » (page 7)


samedi 21 mai 2022

Ecrire un nouveau livre

 

 



            Lors des rencontres dédicaces, on me demande parfois si j’ai un nouveau livre en cours. Réponse affirmative. Une énergie et une imagination intarissables ? Une part de graphomanie ? Ni l’un ni l’autre. Entre l’envoi d’un manuscrit à un éditeur et la publication effective, il s’écoule du temps. Dix-huit mois. Parfois davantage. Ce qui fait qu’un nouveau livre est souvent déjà en cours lorsque le précédent paraît. Il avance à petits pas, parfois bousculé par les heures dévolues à la promotion de son aîné. Il se tapit dans un coin du cerveau, se déploie en images à toute heure de la journée. Une idée pour un chapitre peut s’ébaucher au volant de la voiture, sur l’oreiller avant le sommeil, sur un chemin de balade à la campagne.

            On écrit comme on jardine. Parfois des semis sur un carnet : on laisse lever, on aère, on replante. Ou des graines jetées en pleine page sur l’écran.   Le livre s’étoffe avec les saisons. On le néglige, faute de temps. Puis on le bichonne. On s’agace d’un paragraphe ou d’une note portée au carnet, avec le temps les mots ont ranci ou fané. Alors on jette. Les déchets d’écriture sont sans danger pour la planète. Parfois, ils font même du bon compost. Nos plantations se nourrissent aussi de l’air du temps. On pioche ci et là, sciemment ou pas, dans l’engrais du quotidien. Une image, un mot entendu ou lu, un écho entre les choses, une émotion qui nous étreint. Notre lopin, feuille de papier ou écran d’ordinateur, nous assigne à l’effort répété. Mal au dos, crampe de l’épaule, cerveau en compote. L’écriture est un labeur. Notre livre et nous formons un ménage à deux particulier. Le bouquin en cours est un compagnon de route des bons et des mauvais jours. Il nous hante, nous émeut, nous afflige, nous enorgueillit, nous exalte, nous agace. Il raisonne en nombre de signes, en pages écrites. Comptes d’apothicaire à peu de frais mais si nécessaires à l’équilibre de l’intrigue.

            Écrire est exclusif, égoïste parce que c'est une activité solitaire et chronophage. Écrire est une folie : on s’enferme dans un monde parallèle, on se fait le parent ou l’amant de nos personnages. On les garde pour soi puisqu’ils avancent avec nous, souvent à l’insu de notre entourage. On se coupe du réel pour constituer une fiction avec sa réalité interne. Schizophrène, on vit une autre époque au cœur même de l’année en cours. C’est la guerre 39-45 ou la grande peste noire en plein 21ème siècle. On saute d’un paragraphe à peaufiner à un déjeuner à cuisiner. Aux yeux de nos proches, on est illuminé, halluciné, retranché, inquiet, impénétrable. Écrire, ça remplit une heure, un jour, une vie.


mercredi 11 mai 2022

Vieilles demoiselles

 




    

                                    Parfois les murs sont de vieilles demoiselles

                            Qui sentent un peu la naphtaline

                            Et ont une bonhomie rugueuse.

                                                                                             8 mai 2022

                                       

            

                               

vendredi 6 mai 2022

A tire d'aile

 

 

                                                                 Source Internet


Origami

 

                               Plier sa tristesse en origami

                               Cacher sa mélancolie

                               Dans le vert tendre du papier

                               Avec les doigts de la volonté

                              Composer une silhouette d’oiseau

                              Et la laisser s’envoler à l’écho

                              De notre vague à l’âme

                              Vague à l’air

                              Vague à l’eau

                              Vogue vole        oiseau

                              La tristesse se fait la belle

                              Dans les plis et replis

                              À tire d’aile

                              Origami

 

Décembre 2019








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