Lors
des rencontres dédicaces, on me demande parfois si j’ai un nouveau livre en
cours. Réponse affirmative. Une énergie et une imagination intarissables ?
Une part de graphomanie ? Ni l’un ni l’autre. Entre l’envoi d’un manuscrit
à un éditeur et la publication effective, il s’écoule du temps. Dix-huit mois.
Parfois davantage. Ce qui fait qu’un nouveau livre est souvent déjà en cours
lorsque le précédent paraît. Il avance à petits pas, parfois bousculé par les
heures dévolues à la promotion de son aîné. Il se tapit dans un coin du
cerveau, se déploie en images à toute heure de la journée. Une idée pour un
chapitre peut s’ébaucher au volant de la voiture, sur l’oreiller avant le
sommeil, sur un chemin de balade à la campagne.
On
écrit comme on jardine. Parfois des semis sur un carnet : on laisse lever,
on aère, on replante. Ou des graines jetées en pleine page sur l’écran. Le livre s’étoffe avec les saisons. On le
néglige, faute de temps. Puis on le bichonne. On s’agace d’un paragraphe ou
d’une note portée au carnet, avec le temps les mots ont ranci ou fané. Alors on
jette. Les déchets d’écriture sont sans danger pour la planète. Parfois, ils
font même du bon compost. Nos plantations se nourrissent aussi de l’air du
temps. On pioche ci et là, sciemment ou pas, dans l’engrais du quotidien. Une
image, un mot entendu ou lu, un écho entre les choses, une émotion qui nous
étreint. Notre lopin, feuille de papier ou écran d’ordinateur, nous assigne à
l’effort répété. Mal au dos, crampe de l’épaule, cerveau en compote. L’écriture
est un labeur. Notre livre et nous formons un ménage à deux particulier. Le
bouquin en cours est un compagnon de route des bons et des mauvais jours. Il
nous hante, nous émeut, nous afflige, nous enorgueillit, nous exalte, nous
agace. Il raisonne en nombre de signes, en pages écrites. Comptes d’apothicaire
à peu de frais mais si nécessaires à l’équilibre de l’intrigue.
Écrire est exclusif, égoïste parce que c'est une activité solitaire et
chronophage. Écrire est une folie : on s’enferme dans un monde
parallèle, on se fait le parent ou l’amant de nos personnages. On les
garde pour soi puisqu’ils avancent avec nous, souvent à l’insu de notre
entourage. On se coupe du réel pour constituer une fiction avec sa réalité
interne. Schizophrène, on vit une autre époque au cœur même de l’année en
cours. C’est la guerre 39-45 ou la grande peste noire en plein 21ème
siècle. On saute d’un paragraphe à peaufiner à un déjeuner à cuisiner. Aux yeux
de nos proches, on est illuminé, halluciné, retranché, inquiet, impénétrable. Écrire, ça remplit une heure, un jour, une vie.
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