samedi 7 janvier 2023

L'heure des comptes

 



            Une part du processus d’écriture se joue hors temps, loin des impératifs quotidiens et dans l’oubli total d’une réalité temporelle. L’écrivain est dans sa bulle. Mais dès lors que le texte est sur le point d’être publié, il a l’œil sur le calendrier : date butoir pour la relecture des épreuves, du bon à tirer, rendez-vous divers. Quand le livre sort, l’écrivain entretient un flirt exclusif et tumultueux avec son agenda. Des dates pour des dédicaces. Des salons. Emissions de radio ou de télé pour les happy few. Selon son degré de sérénité et /ou sa notoriété, l’on joue au yo-yo avec les semaines et les mois. Vite, que s’écoulent quelques mois pour avoir une première estimation des ventes ! À quand la critique dans un grand quotidien ? Ou dans la feuille locale – pis-aller pas moins stimulant pour beaucoup d’auteurs –, ou dans un blog littéraire ? Et enfin, ciel de la marelle, l’année écoulée, la case Reddition des ventes. L’heure des comptes a sonné ; l’éditeur sort la calculette. Une chorégraphie d’équilibriste tant il est difficile, voire impossible, pour un éditeur de chiffrer au livre près, le nombre d’exemplaires vendus à l’instant T. D’aucuns somnolent encore sur l’étal du libraire, une poignée se vendront le jour même où, dans la maison, on additionne les chiffres tandis que quelques ouvrages moins chanceux seront sur le chemin du retour chez le distributeur. Les éditeurs aux reins solides ne sont sans doute pas à une dizaine près quand il s’agit de gratifier un chouchou de la maison d’un faramineux 475 000 exemplaires vendus. De petits éditeurs qui tournent bien, avec leur logique modeste, se frotteront les mains d’un 190 exemplaires vendus, presque plus de réserve sur les 250 tirés, on a évité la cata. financière. Encore faut-il que la donne soit la même pour d’autres de leurs poulains ! Ce qui est loin d’être légion car, pour les petits et moyens éditeurs, le succès d’un livre tient autant à l’engagement professionnel de la maison d’édition qu’au facteur chance du côté de la publicité dans les médias et du volontarisme de l’auteur qui doit mouiller sa chemise. Et j’oubliais un paramètre inopiné, versatile, fragile, impalpable : cet air du temps qui fera la pluie ou le beau temps des ventes de livres. Il suffira d’une pandémie, d’une élection présidentielle imminente, d'une flambée de l'inflation ou de bruits de bottes aux portes du pays pour que le marché du livre connaisse des déboires.

            Et du côté des auteurs ? Bienheureux ceux qui seront redevables à l’État d’impôts conséquents ! L’écriture vaut parfois une chasse au trésor digne d’un roman. Quoique certains ont intérêt à être de bons gestionnaires. Les lecteurs ne sont pas d’une fidélité absolue et des best-seller ne sont pas toujours les aînés d’une grande fratrie. Pas à plaindre ceux qui, bourgeoisement, engrangeront quelques milliers d’euros pour compléter les revenus de leur profession, assurée par choix ou confort. Restent les petits, les perdants du système. Que valent des droits d’auteur de 8 % sur le prix d’un livre vendu (c’est la moyenne) selon que l’on vend plus de 300 000 exemplaires ou 300 (voire beaucoup moins) sur une année civile ? Les petits sous additionnés ne grossissent pas tous en rivières. Or le goutte-à-goutte sous le robinet n’étanche pas la soif après le labeur. Misère bien réelle dans la solitude de l’écrivain. Et ce rapport de force pécuniaire ne doit pas uniquement tout au talent. C’est aussi vrai dans notre économie de marché, me direz-vous, où le plus vulgaire youtubeur s’enrichira au mépris du travail méritant et honorable du boulanger dans l’ombre de son fournil.

            Les non-initiés ont parfois bien des idées fausses sur les rémunérations des écrivains. L’habit fait rêver les foules. Tout le monde écrit (même si bien peu lisent !) Mais cela, c’est une autre histoire.


vendredi 30 décembre 2022

Vœux 2023

 



    Je vous souhaite une année 2023 conviviale, amicale, enrichissante, pleine de douceur et de partage.


vendredi 23 décembre 2022

Joyeux noël

 



                                               Francesco Francia (1447 ou 1449-1517)
                                               Vierge à l'Enfant (détail) Bologne


                                         Angelo musicante

                                         Douces notes de sérénité

                                         Un Enfant nous est né

                                         Pour que vienne la Paix


                                              Joyeux Noël


samedi 17 décembre 2022

Hivers de mon enfance

 

                                            Photo J. Mercier

                                                       

L’enfance remonte comme un vieil hiver

Les neiges d’antan existent-elles ?

On cherche des hivers de cartes de vœux

Une chimère

L’enfant a habité en songe ces villages enneigés

Pour la lumière aux fenêtres des chaumières

Pour la promesse d’Espérance de ces églises qui invitent à Noël

Pour le chant du rouge-gorge au coin de la carte

 

[…]

 

Parfois l’hiver brode des fleurs de givre

Rideaux de dentelle éphémères

Qu’on n’ouvre pas

L’enfant l’a appris à ses dépens du bout des doigts

 

L’Engrangeoir Nathalie Boniface-Mercier, Éditions La Chouette imprévue (2021), pages 22, 23 et 56

 


vendredi 9 décembre 2022

Magie de la lumière

 

         


   Avec le temps de l’Avent, les illuminations de noël sont revenues dans nos villes et villages, plus ou moins fastueuses, faisant fi des injonctions à la sobriété énergétique. J’aime à les revoir chaque année mais cette débauche de lumières, de cette surenchère d’éclairages m’agace aussi quelque peu. Loin, in fine, du véritable message de noël. Il y a quelques jours, alors que j’arpentais une rue illuminée, une image totalement décalée s’est glissée dans mon esprit. J’ai revu la couverture d’un livre sur l’Himalaya[1] que m’avait offert autrefois une amie pour mon anniversaire. Une photographie unique, prodigieuse. Une ode à la lumière, somptueuse et poétique, avec laquelle aucune guirlande de nos riches pays occidentaux ne pourrait rivaliser. Les yeux de nos enfants gâtés n’auront jamais l’émerveillement de Pangdjé, une Népalaise de dix ans, qui s’enthousiasmait, un jour d’hiver 1978, des reflets du soleil sur un morceau de glace qu’elle avait brisé dans une flaque d’eau gelée. Le photographe, Éric Valli, a su saisir l’instantanéité de cette joie enfantine, humble et grandiose à la fois. Et la qualité du cliché nous donne à voir la lumière réfractée sur le petit bout de glace tandis qu’une auréole nimbe la tête échevelée de l’enfant. Sans entrer dans un raisonnement binaire et inévitablement réducteur, je ne peux m’empêcher de songer au foisonnement assez vain de nos richesses occidentales au regard du modeste jeu de cette fillette au Népal. À contre-courant de nos noëls mercantiles, de nos jeux sophistiqués, ne perdons pas la magie de la lumière dans son plus simple habit et sachons l’honorer comme il se doit. Fiat lux.



[1] Himalaya Photographies d’Éric Valli, texte de Anne de Sales, Éditions de La Martinière, 2001 et réédité en 2010

samedi 3 décembre 2022

Le grelot à la porte

 

                                                    Pâtisserie Meert Lille  Source: Internet

            Il y a peu, la boucherie – charcuterie de mon quartier fermait définitivement. Départ en retraite. Le magasin ne sera pas repris. J’ai franchi pour la dernière fois le seuil de ce magasin de quartier avec un pincement au cœur. Les petits commerces disparaissent. Et avec eux toute une tradition de familière bonhomie dans les relations humaines. Des savoir-faire aussi. Mais ce n'est pas tout. Un patrimoine citadin ou rural s’efface. Des objets, des couleurs, des décors, parfois kitch ou retro mais qui traduisaient un je ne sais quoi de french touch dont certains Américains sont si friands chez nous. Ces belles façades en marbre noir ornementées de têtes de vaches. Ces guirlandes de roses en céramique sur les murs ou en plastique entre les raviers en porcelaine à liseré fleuri. Chez mon boucher, c’était une frise de roses stylisées, art déco, qui courait sur le carrelage de la muraille. La lumière jaune cru des néons me rappelait des ambiances de cuisines, l’hiver, dans les maisons des années soixante-dix. Je n’ose penser au saccage à venir de ces carreaux de faïence sous les coups de burin quand le local sera transformé en immeuble de rapport. Et je revois encore le décor Belle Epoque de la boulangerie-pâtisserie à deux pas de chez moi, avalé par les réfections des propriétaires successifs. Les boiseries beiges aux volutes de fleurs rose tyrien, bleu ciel et vert amande ont été placardées d’un mauvais lambris gris et blanc pour donner à la boutique une allure d’ersatz de starbuck coffee incongru et triste. Puis, l’artisan ayant fait faillite, la boutique fut l’objet d’un nouveau massacre. Mur de fausses briques couleur sienne en vis-à-vis de murs bleu outremer. La façade seule garderait un soupçon de son antique noblesse avec ses panneaux et sa devanture de bois, n’était la lasure teintée cire d’abeille qui a eu raison du vieux rose délavé d’antan et qui s’est trouvée un jour affublée d’un B incongru, peint à la main pour escamoter le P de pétrine parce qu’un concurrent quelque quatre cent mètres plus bas a planté sa boutique, énième clone d’une chaîne de magasins bien connue et qu’il n’est point nécessaire de nommer ici. 


            La semaine dernière, l’association Ecrivains des Hauts-de-France se réunissait dans un des salons de la célèbre pâtisserie Meert, à Lille. Si la maison doit sa renommée à sa gaufre fourrée d’une ganache à la vanille de Madagascar, elle la doit tout autant à la magnificence des lieux. La boutique, née en 1607, fut d’abord celle d’une dynastie d’apothicaires-épiciers, qui, en 1677, put développer son activité en boulangerie-pâtisserie. L’endroit est un délice pour les yeux. Le seul magasin, j’aime à dire en plaisantant, où l’on se réjouit de faire la queue avant d’être servi ! Une plongée en plein XVIIIème siècle dans un étonnant décor pompéien et orientaliste, à une époque où l’on s’extasiait de découvrir le thé, le café et le chocolat. Ces breuvages et délicatesses du palais arrivaient d’Orient ou du Nouveau Monde sur des caravelles. Le magasin se dota alors d’un salon de thé, dans le style Louis XVI, puis d’un deuxième salon, dans les années 1930. Aujourd’hui, plus que jamais, on pousse la porte de la maison Meert autant pour la joie de voyager dans le temps que celle de déguster leurs pâtisseries. Et la beauté des lieux n’a rien à envier à celle des célèbres cafés viennois. L’atmosphère, toute en nuances, y est toutefois différente. À chacun son Histoire et ses illustres fantômes.


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