samedi 3 décembre 2022

Le grelot à la porte

 

                                                    Pâtisserie Meert Lille  Source: Internet

            Il y a peu, la boucherie – charcuterie de mon quartier fermait définitivement. Départ en retraite. Le magasin ne sera pas repris. J’ai franchi pour la dernière fois le seuil de ce magasin de quartier avec un pincement au cœur. Les petits commerces disparaissent. Et avec eux toute une tradition de familière bonhomie dans les relations humaines. Des savoir-faire aussi. Mais ce n'est pas tout. Un patrimoine citadin ou rural s’efface. Des objets, des couleurs, des décors, parfois kitch ou retro mais qui traduisaient un je ne sais quoi de french touch dont certains Américains sont si friands chez nous. Ces belles façades en marbre noir ornementées de têtes de vaches. Ces guirlandes de roses en céramique sur les murs ou en plastique entre les raviers en porcelaine à liseré fleuri. Chez mon boucher, c’était une frise de roses stylisées, art déco, qui courait sur le carrelage de la muraille. La lumière jaune cru des néons me rappelait des ambiances de cuisines, l’hiver, dans les maisons des années soixante-dix. Je n’ose penser au saccage à venir de ces carreaux de faïence sous les coups de burin quand le local sera transformé en immeuble de rapport. Et je revois encore le décor Belle Epoque de la boulangerie-pâtisserie à deux pas de chez moi, avalé par les réfections des propriétaires successifs. Les boiseries beiges aux volutes de fleurs rose tyrien, bleu ciel et vert amande ont été placardées d’un mauvais lambris gris et blanc pour donner à la boutique une allure d’ersatz de starbuck coffee incongru et triste. Puis, l’artisan ayant fait faillite, la boutique fut l’objet d’un nouveau massacre. Mur de fausses briques couleur sienne en vis-à-vis de murs bleu outremer. La façade seule garderait un soupçon de son antique noblesse avec ses panneaux et sa devanture de bois, n’était la lasure teintée cire d’abeille qui a eu raison du vieux rose délavé d’antan et qui s’est trouvée un jour affublée d’un B incongru, peint à la main pour escamoter le P de pétrine parce qu’un concurrent quelque quatre cent mètres plus bas a planté sa boutique, énième clone d’une chaîne de magasins bien connue et qu’il n’est point nécessaire de nommer ici. 


            La semaine dernière, l’association Ecrivains des Hauts-de-France se réunissait dans un des salons de la célèbre pâtisserie Meert, à Lille. Si la maison doit sa renommée à sa gaufre fourrée d’une ganache à la vanille de Madagascar, elle la doit tout autant à la magnificence des lieux. La boutique, née en 1607, fut d’abord celle d’une dynastie d’apothicaires-épiciers, qui, en 1677, put développer son activité en boulangerie-pâtisserie. L’endroit est un délice pour les yeux. Le seul magasin, j’aime à dire en plaisantant, où l’on se réjouit de faire la queue avant d’être servi ! Une plongée en plein XVIIIème siècle dans un étonnant décor pompéien et orientaliste, à une époque où l’on s’extasiait de découvrir le thé, le café et le chocolat. Ces breuvages et délicatesses du palais arrivaient d’Orient ou du Nouveau Monde sur des caravelles. Le magasin se dota alors d’un salon de thé, dans le style Louis XVI, puis d’un deuxième salon, dans les années 1930. Aujourd’hui, plus que jamais, on pousse la porte de la maison Meert autant pour la joie de voyager dans le temps que celle de déguster leurs pâtisseries. Et la beauté des lieux n’a rien à envier à celle des célèbres cafés viennois. L’atmosphère, toute en nuances, y est toutefois différente. À chacun son Histoire et ses illustres fantômes.


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