Une
part du processus d’écriture se joue hors temps, loin des impératifs quotidiens
et dans l’oubli total d’une réalité temporelle. L’écrivain est dans sa bulle. Mais
dès lors que le texte est sur le point d’être publié, il a l’œil sur le
calendrier : date butoir pour la relecture des épreuves, du bon à tirer,
rendez-vous divers. Quand le livre sort, l’écrivain entretient un flirt
exclusif et tumultueux avec son agenda. Des dates pour des dédicaces. Des
salons. Emissions de radio ou de télé pour les happy few. Selon son degré
de sérénité et /ou sa notoriété, l’on joue au yo-yo avec les semaines et les mois.
Vite, que s’écoulent quelques mois pour avoir une première estimation des
ventes ! À quand la critique dans un grand quotidien ? Ou dans la
feuille locale – pis-aller pas moins stimulant pour beaucoup d’auteurs –, ou dans
un blog littéraire ? Et enfin, ciel de la marelle, l’année écoulée, la
case Reddition des ventes. L’heure des comptes a sonné ; l’éditeur
sort la calculette. Une chorégraphie d’équilibriste tant il est difficile,
voire impossible, pour un éditeur de chiffrer au livre près, le nombre d’exemplaires
vendus à l’instant T. D’aucuns somnolent encore sur l’étal du libraire, une
poignée se vendront le jour même où, dans la maison, on additionne les chiffres
tandis que quelques ouvrages moins chanceux seront sur le chemin du retour chez
le distributeur. Les éditeurs aux reins solides ne sont sans doute pas à une dizaine
près quand il s’agit de gratifier un chouchou de la maison d’un faramineux 475 000
exemplaires vendus. De petits éditeurs qui tournent bien, avec leur logique
modeste, se frotteront les mains d’un 190 exemplaires vendus, presque plus de
réserve sur les 250 tirés, on a évité la cata. financière. Encore faut-il que
la donne soit la même pour d’autres de leurs poulains ! Ce qui est loin d’être
légion car, pour les petits et moyens éditeurs, le succès d’un livre tient
autant à l’engagement professionnel de la maison d’édition qu’au facteur chance
du côté de la publicité dans les médias et du volontarisme de l’auteur qui doit
mouiller sa chemise. Et j’oubliais un paramètre inopiné, versatile, fragile,
impalpable : cet air du temps qui fera la pluie ou le beau temps des
ventes de livres. Il suffira d’une pandémie, d’une élection présidentielle
imminente, d'une flambée de l'inflation ou de bruits de bottes aux portes du pays pour que le marché du livre
connaisse des déboires.
Et
du côté des auteurs ? Bienheureux ceux qui seront redevables à l’État d’impôts conséquents ! L’écriture vaut parfois une
chasse au trésor digne d’un roman. Quoique certains ont intérêt à être de bons
gestionnaires. Les lecteurs ne sont pas d’une fidélité absolue et des best-seller
ne sont pas toujours les aînés d’une grande fratrie. Pas à plaindre ceux qui,
bourgeoisement, engrangeront quelques milliers d’euros pour compléter les
revenus de leur profession, assurée par choix ou confort. Restent les petits,
les perdants du système. Que valent des droits d’auteur de 8 % sur le prix d’un
livre vendu (c’est la moyenne) selon que l’on vend plus de 300 000 exemplaires
ou 300 (voire beaucoup moins) sur une année civile ? Les petits sous additionnés
ne grossissent pas tous en rivières. Or le goutte-à-goutte sous le robinet n’étanche
pas la soif après le labeur. Misère bien réelle dans la solitude de l’écrivain.
Et ce rapport de force pécuniaire ne doit pas uniquement tout au talent. C’est
aussi vrai dans notre économie de marché, me direz-vous, où le plus vulgaire
youtubeur s’enrichira au mépris du travail méritant et honorable du boulanger
dans l’ombre de son fournil.
Les
non-initiés ont parfois bien des idées fausses sur les rémunérations des
écrivains. L’habit fait rêver les foules. Tout le monde écrit (même si bien peu
lisent !) Mais cela, c’est une autre histoire.
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