samedi 23 juillet 2022

Pause estivale

 


Pause estivale du blog


                                        


« Nous sommes ces Français, un peu nonchalants, un peu douillets, mais capables de rester assis devant ce qui nous plaît. Nous portons à la France un amour agréablement assoupi au fond de nous-mêmes, tout gorgé, à chaque pas, d’une provende délicate. Nous sommes en route, tantôt grincheux, tantôt inexplicablement optimistes. Sans en avoir l’air, nous savons mieux que personne qu’au tournant de la route, au coin de la rue, en haut de la pente, derrière les panneaux de publicité et les « hostelleries », la France tient en réserve ce que prodigieusement elle a de mûr, d’éprouvé, de touchant, d’invariable et de fastueux… »

Extrait de « La France, le plus beau pays du monde » dans Paysages et portraits COLETTE (parution en 1958 aux éditions Flammarion, soit quatre ans après le décès de l’écrivain)


vendredi 15 juillet 2022

Etés d'enfance

 

         Source: Pinterest Internet


Valses d’été d’ici et d’ailleurs. Seule dans la serre, l’enfant sourit à l’épouvantail réformé. Ses épaules tombantes n’ont guère de barrettes sinon la poussière pour unique distinction. Cœur de paille qui crève sous la chemise    solitude croisée avec l’enfant. Est-ce ainsi que les hommes meurent dans leur vie étriquée ? Au rebut, le dos au mur. L’après-midi torride est pesant. Au fond du jardin, quelques gloussements de poules se suspendent au silence   chants sans gloire et vains qui sont l’écho d’un soleil d’été sous lequel la vie est languide. En contrebas du verger, le cimetière s’enracine dans l’oubli. Un volet de l’auguste maison grise grince gonds rouillés. La grand-mère s’éveille de sa sieste.

 

L’enfance a un goût de pomme d’août

Fruits cueillis au jardin des morts

Comme dit le grand-père

L’enfance a un goût acidulé

Ce jardin, elle l’aime

Ces pommes, elle en raffole

C’est son goût de la vie

À elle

Jardin d’images paix intérieure

Pommes peu sucrées un brin piquantes

Ses préférées

Le goût de son enfance

Un goût perdu

Mais en cet après-midi de mélancolie aigrelette elle l’ignore encore

Aujourd’hui elle sait et se résigne

Cette saveur de pomme d’août ne reviendra sans doute jamais

Ou bien il faudrait que soient toujours la voix goguenarde du grand-père les beignets de la grand-mère et ce verger qui coiffe un cimetière.

 

   L’Engrangeoir, pages 32 et 33 Éditions La Chouette Imprévue (2021)

samedi 9 juillet 2022

Les vacances

 



Et voilà revenues les vacances d’été ! Les grandes vacances pour des milliers d’élèves et leurs enseignants. Les journaux télévisés déversent leurs marronniers sans surprise : embouteillages, grèves de la SNCF les jours de grand départ, budget moyen des Français. Triste médiocrité de l’information qui ferait presque passer l’envie de prendre des vacances. Car, au fond, que sont les vacances ? Et qui peut en prendre ? L’été ne se moissonne pas pour tous en plaisirs de baignades, d’ascensions des alpages ou d’excursions culturelles.

 À l’heure des moissons, le blé de l’été 2022 n’est pas l’or du pain à venir. Comment ne pas penser aux agriculteurs ukrainiens dont la terre saigne ? Comment ne pas penser à nos frères en humanité des pays méditerranéens, d’Afrique et d’Inde qui ne font jamais de valises pour les vacances et s’inquiètent de ne plus pouvoir manger à leur faim. Ce n’est pas le prix du plein d’essence conjugué au péage de l’autoroute qui les inquiètent, mais celui de la farine pour faire le pain. Comment ne pas penser à ces hommes et ces femmes qui vivent sous les bombes et pour qui le mot vacances est un lointain souvenir ? Faut-il cette tragédie en Ukraine pour que nous nous rappelions que les vacances ne sont pas pour tous ? De la fillette en Afghanistan au petit garçon du Yémen, de l’homme dont la forêt brûle à celui dont le labeur de la terre ne lui rapporte pas l’argent du superflu.

            Quoique qu’on en dise – car on a tôt fait de parer les congés de vertus salutaires (et ce n’est pas faux) – les vacances ne sont pas une nécessité vitale. Sans doute suis-je gentiment hypocrite avec une telle assertion. Je ne cache pas l’ambivalence de mes pensées, c’est vrai, car j’ai la chance d’être de ces privilégiés à qui la profession permet des vacances et les moyens d’en profiter. Faut-il en avoir du remords ? Ou se couler dans l’insouciant air du temps, se laisser porter par le discours ambiant qui invite au farniente, à la dépense et à la débauche de carburant ?  

À nous tous, qui que nous soyons, de trouver la juste mesure de ce que l’été peut nous offrir en France, chez soi ou dans une autre région, chez des amis ou à l’hôtel, au camping, ou encore dans de lointaines contrées où il n’y pas la guerre, juste plus ou moins de pauvreté mais sur laquelle on ferme les yeux parce qu’il s’agit de nos vacances.

            Je vous invite alors à mettre dans vos valises de l’amitié, de l’attention à l’autre, de la curiosité culturelle, du respect pour l’environnement. Et pour ceux qui ne partent pas, que le soleil de l’été vous honore de la beauté de ses lumières, de sa douceur qui convie les hommes à des tablées amicales et familiales.


lundi 4 juillet 2022

Le chant du coq

 



Douce France, cher pays aux mille clochers au sommet desquels un coq en zinc pirouette au gré du vent, te voilà mêlée à un piètre combat : des crétins aux oreilles trop sensibles s’en vont en guerre contre les meuglements des vaches, les bêlements des moutons, le braiement des ânes, les coassements des grenouilles, le gloussement des dindons, les stridulations des cigales, les caquètements des canards et le chant matinal du roi de la basse-cour. À quand la condamnation du croassement des corbeaux dans la plaine, du grisollement de l’alouette des champs, du chuintement de la chouette, du bourdonnement de la guêpe, du jacassement de la pie ? Laissons les grives babiller, les palombes caracouler, les hulottes hululer, les courlis turluter et le coq coqueliner. Un cochon qui grogne n’est pas un révolutionnaire. Un jars qui cacarde ne nous pincera peut-être même pas les mollets. Et faudra-t-il un jour détourner le cours des cascades parce qu’elles ont l’impudence de caracoler sur les rochers trop près des gîtes de location pour les touristes ? Faisons cesser la pluie, tant que nous y sommes ; elle cingle les toits. N’autorisons que la neige silencieuse.

                   Le coq Maurice[1] de Saint-Pierre d’Oléron peut porter haut sa crête depuis que la justice lui a donné raison contre ses détracteurs qui ne supportaient pas son clairon dès potron-minet. Il aura eu plus de chance que les grenouilles de Grignols[2]. Ces plaintes répétées, à l’encontre des vaches, des batraciens, des gallinacés et des cigales, ont quelque chose de farcesque et, pour un peu, certains de nos contemporains remettraient en vigueur des procès d’animaux tels qu’on a pu les pratiquer au Moyen-Âge. Messire cochon fut pendu à Falaise en l’an 1386 pour avoir dévoré un enfant. Une horde d’hannetons fut excommuniée à Lausanne en 1479 car tenue responsable d’une famine. Ces pratiques d’un autre âge étaient déjà en cours dans l’Antiquité puisqu’un cheval pouvait être tenu responsable de la mort d’un homme et condamné à la peine capitale. « Si un bœuf écorne un homme ou une femme et cause sa mort, le bœuf sera lapidé et l’on ne mangera pas la viande, mais le propriétaire du bœuf sera acquitté » lit-on dans la Bible[3]. De nos jours, on n’attribue plus la responsabilité pénale à l’animal mais à son propriétaire. Si les animaux ne sont plus personnifiés, anthropomorphisés comme ils avaient pu l’être au Moyen-Âge, ils sont devenus animaux de compagnie, aussi l’anonyme et sauvage grenouille est-elle mise au même rang qu’un chat ou chien domestique. À défaut de propriétaire, on attaque le maire.

                   En cette époque où il y a bien trop de bruit pour rien, je dédie ce texte à Maurice le coq et ses congénères de basse-cour, mais également à toute victime potentielle – à plumes ou à poils – de la bêtise humaine qui s’est mise à dos la campagne.


 



[1] Verdict du procès le 4 septembre 2019.

[2] Procès en 2011.

[3] Livre de l’Exode, 21-28. 

vendredi 24 juin 2022

Cerises à foison


         L’été n’en est qu’à ses balbutiements sur le calendrier mais Dame nature nous offre déjà ses fruits rouges à profusion. La cerise est pour moi le fruit de l’entrée dans l’été. Un fruit précieux et cher pour qui n’a pas la chance de posséder un cerisier dans son jardin. Un délice pour les merles. Un jeu d’enfant pour avoir de coquettes boucles d’oreilles à peu de frais. Un fruit complice d’audacieuses pensées érotiques pour Jean-Jacques Rousseau qui lorgnait la poitrine de ces demoiselles du haut de la branche : Une fois, mademoiselle Galley, avançant son tablier et reculant la tête, se présentait si bien et je visai si juste que je lui fis tomber un bouquet dans le sein ; et de rire. Je me disais en moi-même : Que mes lèvres ne sont-elles des cerises ! Comme je les leur jetterais ainsi de bon cœur ! (Les Confessions, livre 4)

         Dans mon roman L’Hiver avec elle, truffé de recettes de cuisine, je rends hommage à la dame vermeille de l’été. 

                

                                                                

Gâteau de pain aux cerises

 

         Parfois on a la chance d’avoir dans ses souvenirs d’enfance un arbre. Un saule pleureur pour se suspendre aux branches comme Tarzan ou un chêne aux ramures étagées à escalader. Mais il est aussi de vieux poiriers noueux, de majestueux cerisiers, de généreux mirabelliers alanguis au soleil de midi dans les herbes hautes d’un verger chez une antique tantine qui sentait la naphtaline ou l’encaustique. Qu’elle ait été tante Isabelle, Eugénie ou Philomène, on guettait avec elle, derrière les persiennes closes, l’heure plus douce où le panier d’osier serait rempli. L’heure d’ivresse où nous prenait la terre cuite et recuite dans un parfum de foin. Notre babil effarouchait le merle au bec jaune mais point les guêpes butinant les fruits éclatés au sol. La fin d’après-midi d’été pointait encore son dard de touffeur sur nos joues tandis que nos mains fourrageaient le feuillage en quête de trésors. Et si nos cassettes d’or n’étaient que boules vermeille ou orangées dans une jatte en faïence, elles suffisaient à acheter notre gourmandise en tartes, confitures et sorbets.

 

         A défaut d’une cueillette au fond du jardin, votre panier de ménagère sera pourvu de 300 g de cerises, d’1 litre de lait entier, de 100 g de sucre, de 3 œufs, de 2 cuillères à soupe de kirsch (ou de marsala) et de 400 g de pain rassis (essentiellement la mie).

         Faites bouillir le lait et versez-y le pain émietté. Puis ajoutez le sucre et mélangez le tout. Ajoutez les œufs préalablement battus en omelette, les cerises dénoyautées et le kirsch. Beurrez un moule à pudding et versez la préparation. Puis faites cuire dans un four préchauffé à 180° (thermostat 6 - 7) pendant 40 à 45 minutes.

          Laissez refroidir le gâteau pour le démouler. Nappez-le de crème anglaise ou de jus de cerises et décorez-le de quelques cerises.

         Pour une version plus chic, la décoration peut se faire avec quelques pétales de violette au sucre.




 

 

vendredi 17 juin 2022

Vous reprendrez bien un peu de créole

 



            Je dois à deux amies ma découverte récente de la littérature antillaise, malgré un séjour il y a presque trente ans en Martinique et qui me fit alors lire, sans émoi particulier, Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, sans doute parce que j’en fis une lecture obligée, par égard pour cette île que j’avais visitée. Je fus toutefois sensible à l’inventivité de la langue créole populaire que je découvrais, et qui à l’époque, me semblait à mille lieux de ce que la littérature patentée pouvait véhiculer. J’avais succombé au charme du décollage, lexicalement parlant, car je ne fus pas adepte dudit décollage –   entendez par-là le ti punch matinal – mais plutôt de son pendant vespéral, l’apéritif, qui n’avait pas l’honneur d’une métaphore. Par une inexplicable loi de la mémoire, capable de stocker des informations futiles, je retins le beau nom de matoutou-falaise. Serait-ce parce que j’avais tant craint d’en rencontrer une, toute velue, arachnéenne sorcière que le commun nomme la mygale ?

            Des années plus tard, une amie m’offrit Texaco de Patrick Chamoiseau. Oui, je connaissais de nom l’auteur et le titre du roman. Non, je ne l’avais jamais lu. Ce fut un énorme coup de cœur. Goûter au style de Patrick Chamoiseau, c’est être invité à un banquet de pays de cocagne et croquer ci et là des mots les plus inattendus, les plus fondants, les plus piquants. À travers le récit d’une vieille créole, mémoire vivante du quartier populaire de Texaco, à Fort-de-France, c’est toute l’histoire d’un peuple autochtone, dans sa dignité, ses bassesses et son ingénuité, qui est raconté. La vieille câpresse brosse le quotidien en une langue pleine de fantaisie, de créativité, suggestive, ironique, désopilante qui peut coutelasser les vents, où se côtoient les nègres isalopes, les koulis, les milâtes qui fraient parfois avec les békés de l’En-ville, mammans-bijoux qui parlent par caquètements de poules froides. Chez Chamoiseau, on s’appelle Nelta-des-cyclones, Nelta-des-jours-fleurs, Nelta-la-Toussaint ou Nelta-chantant-noël, mais aussi Idoménée, Jubot-la-Gale, Sérénus-Léoza, Alcibiade. Il y a la saison des pluies et la saison Tête-Folle, quand le soleil chauffe cruellement sur le toit de tôle de la bitation. Alors les jurons fusent : La-peau-sale ! Coucoune-santi-fré ! Fourmis-cimetière ! Calamité publique ! Capital-cochonnerie !

            Heureux clin d’œil du hasard, une autre amie m’offrit deux ans plus tard Une enfance créole, Antan d’enfance, récit autobiographique de Chamoiseau. Je me replongeai avec délice et le même étourdissement dans la mosaïque lexicologique de cet auteur de génie. La langue de Chamoiseau et les idiomes créoles sont l’antidote de la neurasthénie ; ils fouettent l’esprit, entretiennent la joie. Les livres de Chamoiseau, de Rabelais et Colette sont de ceux qu’on devrait laisser en permanence sur la table de nuit ou dans le sac à main pour en croquer un quignon à toute heure.

            Alors, à défaut d’être des zizines-voleurs-poules ou des diablesses à talons, vous reprendrez bien un ti-punch : C’était un temps où la langue créole avait de la ressource dans l’affaire d’injurier. Elle nous fascinait, comme tous les enfants du pays, par son aptitude à contester (en deux trois mots, une onomatopée, un bruit de succion, douze rafales sur la manman et les organes génitaux) l’ordre français régnant dans la parole. Elle s’était comme racornie autour de l’indicible, là où les convenances du parler perdaient pied dans les mangroves du sentiment. Avec elle, on existait rageusement, agressivement, de manière iconoclaste et détournée. Il y avait un marronnage dans la langue. Les enfants en possédaient une intuition jouissive et l’arpentaient en secret, posant leur être en face des grandes personnes, dans la particulière matrice de cette langue étouffée. (Pages 68 et 69, Editions Folio)

 

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