lundi 4 juillet 2022

Le chant du coq

 



Douce France, cher pays aux mille clochers au sommet desquels un coq en zinc pirouette au gré du vent, te voilà mêlée à un piètre combat : des crétins aux oreilles trop sensibles s’en vont en guerre contre les meuglements des vaches, les bêlements des moutons, le braiement des ânes, les coassements des grenouilles, le gloussement des dindons, les stridulations des cigales, les caquètements des canards et le chant matinal du roi de la basse-cour. À quand la condamnation du croassement des corbeaux dans la plaine, du grisollement de l’alouette des champs, du chuintement de la chouette, du bourdonnement de la guêpe, du jacassement de la pie ? Laissons les grives babiller, les palombes caracouler, les hulottes hululer, les courlis turluter et le coq coqueliner. Un cochon qui grogne n’est pas un révolutionnaire. Un jars qui cacarde ne nous pincera peut-être même pas les mollets. Et faudra-t-il un jour détourner le cours des cascades parce qu’elles ont l’impudence de caracoler sur les rochers trop près des gîtes de location pour les touristes ? Faisons cesser la pluie, tant que nous y sommes ; elle cingle les toits. N’autorisons que la neige silencieuse.

                   Le coq Maurice[1] de Saint-Pierre d’Oléron peut porter haut sa crête depuis que la justice lui a donné raison contre ses détracteurs qui ne supportaient pas son clairon dès potron-minet. Il aura eu plus de chance que les grenouilles de Grignols[2]. Ces plaintes répétées, à l’encontre des vaches, des batraciens, des gallinacés et des cigales, ont quelque chose de farcesque et, pour un peu, certains de nos contemporains remettraient en vigueur des procès d’animaux tels qu’on a pu les pratiquer au Moyen-Âge. Messire cochon fut pendu à Falaise en l’an 1386 pour avoir dévoré un enfant. Une horde d’hannetons fut excommuniée à Lausanne en 1479 car tenue responsable d’une famine. Ces pratiques d’un autre âge étaient déjà en cours dans l’Antiquité puisqu’un cheval pouvait être tenu responsable de la mort d’un homme et condamné à la peine capitale. « Si un bœuf écorne un homme ou une femme et cause sa mort, le bœuf sera lapidé et l’on ne mangera pas la viande, mais le propriétaire du bœuf sera acquitté » lit-on dans la Bible[3]. De nos jours, on n’attribue plus la responsabilité pénale à l’animal mais à son propriétaire. Si les animaux ne sont plus personnifiés, anthropomorphisés comme ils avaient pu l’être au Moyen-Âge, ils sont devenus animaux de compagnie, aussi l’anonyme et sauvage grenouille est-elle mise au même rang qu’un chat ou chien domestique. À défaut de propriétaire, on attaque le maire.

                   En cette époque où il y a bien trop de bruit pour rien, je dédie ce texte à Maurice le coq et ses congénères de basse-cour, mais également à toute victime potentielle – à plumes ou à poils – de la bêtise humaine qui s’est mise à dos la campagne.


 



[1] Verdict du procès le 4 septembre 2019.

[2] Procès en 2011.

[3] Livre de l’Exode, 21-28. 

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