Une très belle année 2024
à vous. Je vous souhaite de trouver ou de garder le bon tempo, la bonne mesure
ou même l’accord parfait.
Une très belle année 2024
à vous. Je vous souhaite de trouver ou de garder le bon tempo, la bonne mesure
ou même l’accord parfait.
Source: Pinterest
En cette période de l’année,
les sites d’images regorgent d’illustrations de lectrices au coin du feu, dans
des maisonnées au charme désuet, tandis que la campagne, entraperçue d’une fenêtre,
est enneigée. L’atmosphère est paisible, rassurante et enveloppante. La présence
d’un chat, et souvent, d’une tasse de thé ou tisane fumante, contribue à la
douceur des lieux. Ce sont des images sans ancrage dans notre époque, loin de la
frénésie compulsive de nos quotidiens. Aucune valeur marchande en filigrane.
Aucune injonction de faux mages du bien-être. Le bonheur se résume au plaisir
de lire au chaud. Les rumeurs du monde sont refoulées. Le silence a couleur de
neige ; dans la maison, il ricoche sur les objets simples, se pelotonne
dans la fourrure du chat ou la laine de la couverture. Il est le loyal complice
des univers déployés dans les pages.
Ces images de sobriété heureuse
fonctionnent souvent, paradoxalement, comme une part de rêve luxueux,
inabordable dans nos vies chahutées et dans nos décors urbains, aux clinquantes
lumières artificielles, sans perspective de neige. Pour écrire ces lignes, je
convoque à moi, en pensée, ces fauteuils à oreillettes où se nicher devant le
feu de bois. J’ai, en réalité, en vis-à-vis mon ordinateur, précieux compagnon
de mes écrits, car j’écris trop peu aujourd’hui à la main sur mes cahiers et
carnets, et j’ai parfois le scrupule de céder à la facilité pour gagner du
temps. Mais derrière la baie vitrée, un rouge-gorge perché sur un pot de terre,
m’envoie un ersatz de cliché hivernal feutré. Au loin, c’est une mésange qui
volette dans le weigelia dénudé.
Alors, à défaut de
flocons virevoltant au dehors, j’ai le loisir de vivre un hiver de franche
neige dans les Contes de ma lampe à pétrole[1],
charmant petit livre de Marius Noguès, paysan et écrivain, né en terre gasconne
il y a plus de cent ans et dont la langue, à la fois drue et tendre, tisse des
historiettes de villages ou d’ancêtres. C’est l’époque, où « le
vin glaçait dans les barriques », où l’on allait à pied à travers la
campagne, où le marcheur attardé craignait de tomber dans « la grosse
nuit des bois » qui fait si peur lorsque « la neige, les
champs de neige imbibent la nuit d’une opacité bleue. » On avançait sans
espoir et soudain « C’est une fenêtre, avec derrière une ombre bleue,
et les dessins que fait le gel aux vitres, et des ombres chinoises que fait le
feu en sautillant dans la cheminée. Ça sent bon déjà la bûche chaude, et
la chaux tiède des murs. » Eh bien voilà, je la retrouve ma fenêtre de maisonnée chaleureuse !
source: Pinterest
Avent de
l’enfance
Quiétude
dans la maison prise par la nuit dévoreuse de décembre
Boules
métallisées multicolores suspendues au plafond
Crèche en
bois que le père et le frère ont conçue
Avec sa
veilleuse bienveillante sur le paille sur la paille de la mangeoire
Chants de
Noël sur le tourne-disque et ronronnement lointain de la machine à coudre
[…]
L’enfance
remonte comme un vieil hiver
Les neiges
d’antan existent-elles ?
On cherche
des hivers de cartes de vœux
Une chimère
L’enfant a
habité en songe ces villages enneigés
Pour la
lumière aux fenêtres des chaumières
Pour la
promesse d’Espérance de ces églises qui invitent à Noël
Pour le
chant du rouge-gorge au coin de la carte
Nathalie BONIFACE-MERCIER L’Engrangeoir Éditions La Chouette Imprévue, pages
22 et 23
Le mot beiti signifie «ma maison» aussi bien en arabe qu'en hébreu. C'est d'autant plus troublant quand on songe aux Israéliens et aux Palestiniens en perpétuel conflit depuis plusieurs décennies. La maison est emblématique de l'intimité, de la construction de soi, de la famille, du partage. Elle est, et devrait rester, un espace inaliénable. Or, dans les guerres, l'habitation est la cible des bombardements. Les maisons et immeubles détruits sont l'une des images les plus spectaculaires des dégâts occasionnés par la violence. Une ville réduite en miettes, c'est un peuple dont on se débarrasse. Des hommes, des femmes et des enfants attaqués dans leur propre maison, c'est une atteinte à l'être humain dans sa vulnérabilité, au sein de son foyer. Les exactions perpétrées par le Hamas le 7 octobre dernier puis les tirs des Israéliens sur les villes de Gaza entretiennent une haine dans laquelle la beiti n'édifie ni le respect de l'autre ni le partage. C'est bien triste.
Je songeais à cela en sortant de la remarquable exposition sur les parfums à l'Institut du monde arabe vendredi dernier. J'avais quelques heures plus tôt longé l'université de Jussieu et remarqué les tentes distribuées aux SDF qui trouvent un abri contre la pluie sous la galerie qui longe le bâtiment universitaire. L'une d'elle avait particulièrement attiré mon regard. Près de la tente et d'un fauteuil de bureau à roulettes, un homme s'était reconstitué une cuisine avec une kitchenette en plastique Fischer Price des dînettes d'enfants. Sur le minuscule plateau, il avait empilé quelques fruits et des conserves. Dérisoire et touchante scène d'intimité. L'homme s'était créé un chez-soi.Une cuisine. Une pièce ô combien emblématique du confort quotidien. N'est-ce pas la cuisine qui nous nourrit?
Au sortir de l'IMA, je repris le même itinéraire. Cette maisonnée avait pris vie. Deux hommes assis, l'un dans le fauteuil, l'autre sur un tabouret, se chauffaient au feu d'un brasero qu'un carton séparait de la cuisinette. C'était dangereux et pourtant cette scène dégageait de la quiétude. Ces quelques mètres carrés de trottoir, maison indigente, devenaient un foyer au sens du partage, de la dignité des cœurs et du besoin de repos. Un foyer, c'est fait pour le feu de la vie. Je détournai les yeux par pudeur. On ne regarde pas ce qui se passe chez les gens.
Porte de la datcha longtemps fermée. Parce que mon ordinateur m'a joué des tours cette semaine. Parce que la cruauté des hommes m'ébranle. Parce que l'eau sournoise, inexorablement, attaque des hommes dans leur intimité ou au cœur de leur travail. J'ai des pleurs dans la tête. C'est une empathie sans frontières, sans idéologie, sans clivage. Je pleure sur ceux qui sont ennemis; si la haine est dans chaque camp, l'innocence l'est aussi. Je tremble de voir renaître dans l'espace public des outrages qu'on croyait d'un autre temps. Et, dans ma morosité spontanée, je joins à cette ribambelle tragique le souvenir des Marocains sans maison depuis le tremblement de terre, contraints de survivre dans le froid qui grignote peu à peu leurs montagnes, je joins une pensée pour les Ukrainiens mais aussi pour les Russes qui hurlent en silence НЕТ ВОЙНЕ1 faute de pouvoir le clamer librement. Et j'oublie d'autres misères du monde. Celle de la pauvreté, celle d'autres conflits. Si l'empathie n'a pas d'égoïsme, elle a ses faiblesses. Le besoin de composer avec un nécessaire oubli, protection vertueuse ou salutaire. Une façon de s'épargner. Mais aussi un élan vers la joie malgré tout.
Alors je savoure les grâces éphémères du quotidien. Un dîner entre amis où la littérature, le bon vin, la cuisine italienne nous ont régalés. Des jeux de lumière dans les arbres fauves sur un ciel anthracite à l'horizon. Un thé chaud après les trottoirs de la ville arpentés sous la pluie. Un cours de lecture sur La Perle2 avec mes troisièmes, durant lequel mes élèves furent formidables. Leur surprise lorsque je les ai remerciés et félicités. Un échange de SMS avec une amie pour préparer une escapade parisienne. Les dernières fleurs de fuchsia cueillis au jardin. Un superbe Nisi Dominus de Vivaldi posté sur le Facebook d'une amie de plume. Et la perspective d'une belle soirée amicale autour d'un apéro.
1Non à la guerre.
2Roman de John Steinbeck
Automne à
pas lents sous mon crayon de bois
Automne
sceau frappé sur la feuille
Page blanche
jonchée de faînes.
Sous les
fougères,
Une odeur de
vieille maison.
Des girolles
en bonnet de nuit
Soufflent la
chandelle
Et le
chagrin sans amant
Du gel se languit
Tandis que
la pluie ruisselle.
Octobre 2023