Porte de la datcha longtemps fermée. Parce que mon ordinateur m'a joué des tours cette semaine. Parce que la cruauté des hommes m'ébranle. Parce que l'eau sournoise, inexorablement, attaque des hommes dans leur intimité ou au cœur de leur travail. J'ai des pleurs dans la tête. C'est une empathie sans frontières, sans idéologie, sans clivage. Je pleure sur ceux qui sont ennemis; si la haine est dans chaque camp, l'innocence l'est aussi. Je tremble de voir renaître dans l'espace public des outrages qu'on croyait d'un autre temps. Et, dans ma morosité spontanée, je joins à cette ribambelle tragique le souvenir des Marocains sans maison depuis le tremblement de terre, contraints de survivre dans le froid qui grignote peu à peu leurs montagnes, je joins une pensée pour les Ukrainiens mais aussi pour les Russes qui hurlent en silence НЕТ ВОЙНЕ1 faute de pouvoir le clamer librement. Et j'oublie d'autres misères du monde. Celle de la pauvreté, celle d'autres conflits. Si l'empathie n'a pas d'égoïsme, elle a ses faiblesses. Le besoin de composer avec un nécessaire oubli, protection vertueuse ou salutaire. Une façon de s'épargner. Mais aussi un élan vers la joie malgré tout.
Alors je savoure les grâces éphémères du quotidien. Un dîner entre amis où la littérature, le bon vin, la cuisine italienne nous ont régalés. Des jeux de lumière dans les arbres fauves sur un ciel anthracite à l'horizon. Un thé chaud après les trottoirs de la ville arpentés sous la pluie. Un cours de lecture sur La Perle2 avec mes troisièmes, durant lequel mes élèves furent formidables. Leur surprise lorsque je les ai remerciés et félicités. Un échange de SMS avec une amie pour préparer une escapade parisienne. Les dernières fleurs de fuchsia cueillis au jardin. Un superbe Nisi Dominus de Vivaldi posté sur le Facebook d'une amie de plume. Et la perspective d'une belle soirée amicale autour d'un apéro.
1Non à la guerre.
2Roman de John Steinbeck
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