dimanche 10 décembre 2023

Une maison à soi et pour les autres



            Reproduction d'un carrelage en ciment d'une maison palestinienne au début du XXème siècle avec des épices pour l'exposition "Parfums d'Orient" à l'Institut du monde arabe (Paris)

     Le mot beiti signifie «ma maison» aussi bien en arabe qu'en hébreu. C'est d'autant plus troublant quand on songe aux Israéliens et aux Palestiniens en perpétuel conflit depuis plusieurs décennies. La maison est emblématique de l'intimité, de la construction de soi, de la famille, du partage. Elle est, et devrait rester, un espace inaliénable. Or, dans les guerres, l'habitation est la cible des bombardements. Les maisons et immeubles détruits sont l'une des images les plus spectaculaires des dégâts occasionnés par la violence. Une ville réduite en miettes, c'est un peuple dont on se débarrasse. Des hommes, des femmes et des enfants attaqués dans leur propre maison, c'est une atteinte à l'être humain dans sa vulnérabilité, au sein de son foyer. Les exactions perpétrées par le Hamas le 7 octobre dernier puis les tirs des Israéliens sur les villes de Gaza entretiennent une haine dans laquelle la beiti n'édifie ni le respect de l'autre ni le partage. C'est bien triste.

    Je songeais à cela en sortant de la remarquable exposition sur les parfums à l'Institut du monde arabe vendredi dernier. J'avais quelques heures plus tôt longé l'université de Jussieu et remarqué les tentes distribuées aux SDF qui trouvent un abri contre la pluie sous la galerie qui longe le bâtiment universitaire. L'une d'elle avait particulièrement attiré mon regard. Près de la tente et d'un fauteuil de bureau à roulettes, un homme s'était reconstitué une cuisine avec une kitchenette en plastique Fischer Price des dînettes d'enfants. Sur le minuscule plateau, il avait empilé quelques fruits et des conserves. Dérisoire et touchante scène d'intimité. L'homme s'était créé un chez-soi.Une cuisine. Une pièce ô combien emblématique du confort quotidien. N'est-ce pas la cuisine qui nous nourrit?

    Au sortir de l'IMA, je repris le même itinéraire. Cette maisonnée avait pris vie. Deux hommes assis, l'un dans le fauteuil, l'autre sur un tabouret, se chauffaient au feu d'un brasero qu'un carton séparait de la cuisinette. C'était dangereux et pourtant cette scène dégageait de la quiétude. Ces quelques mètres carrés de trottoir, maison indigente, devenaient un foyer au sens du partage, de la dignité des cœurs et du besoin de repos. Un foyer, c'est fait pour le feu de la vie. Je détournai les yeux par pudeur. On ne regarde pas ce qui se passe chez les gens.

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