samedi 18 mars 2023

Glanage de printemps

 



            Acheter des livres est, pour moi, l’un des plus grands plaisirs de la vie. Une joie toujours renouvelée. À nulle autre pareille. Surtout quand on glane au hasard. Une jaquette attirante, un titre séduisant, une quatrième de couverture appétissante. Ou une page picorée. Le livre est alors promesse d’une belle découverte. Une rencontre.

            Outre mes achats en librairie ou chez un bouquiniste, j’ai coutume de me rendre deux à trois fois par an chez les chiffonniers d’Emmaüs. J’aime ce nom désuet de chiffonnier que plus personne n’utilise. Ne parle-t-on pas aujourd’hui tout simplement d’Emmaüs ? Sans en connaître l’origine bien souvent. Mais laissons là l’antique route de Palestine et son auberge à Emmaüs. Mes mots seraient trop pauvres au regard des Evangiles. Mes images seraient falotes au regard des toiles de Rembrandt. Mes chiffonniers sont de la rue, des indigents d’autrefois, avec une épaisseur littéraire. C’est l’univers balzacien convoqué derrière ces quelques syllabes. Chiffonnier n’est qu’un mot qui me plonge dans les bas-fonds du dix-neuvième siècle. Il n’est pas jugement de valeur sur la pauvreté d’aujourd’hui.  Ni sur celle d’hier, de cet hiver 1954, dans le froid duquel l’abbé Pierre cria son indignation contre l’indifférence et son amour pour son prochain. Il est ce mot noble et digne à travers lequel des hommes et des femmes, depuis bientôt soixante-dix ans, tiennent boutique de bric et de broc, d’antiquailles, de vieux meubles et de livres.

            J’aime glaner des livres dans les rayons de cette librairie unique en son genre. Les grands auteurs y côtoient les insignifiants. Les contemporains de tout acabit entament une deuxième vie sur ces rayonnages bricolés. Livres offerts ou achetés, lus, donnés. Ecornés ou flambant neufs. C’est une mine pour tout type de lecteurs. De petits prix pour petits budgets ou pas. Une obole de l’entraide.

            Mes chines sont toujours fructueuses. J’achète des brassées de livres, heureuse de mes trouvailles. Vite évacués mes scrupules de ne pas participer à l’économie classique du marché du livre (rétribution des auteurs, libraires et éditeurs). Mon libraire-chiffonnier aura mérité sa journée : de l’argent pour son toit et son assiette, le sourire de sa clientèle et l’assurance d’un bien qui n’a pas de valeur marchande : sa dignité retrouvée.

            Et moi, je rentre à la maison, comblée de livres. C’est un samedi après-midi, plein de délices. Quelques heures de lecture en perspective, à la lumière ambrée de la lampe, en hiver, ou dans un fauteuil face au soleil. Comme je savoure ces douces journées-là !

Mes trouvailles d’aujourd’hui :

Piazza d’Italia Antonio TABUCCHI

La petite danseuse de quatorze ans Camille LAURENS

Juste avant l’Oubli Alice ZENITER

Bizarre ! Bizarre ! Roald DAHL

Comme une valse Dorothy PARKER

Les roses fauves Carole MARTINEZ

Café Vivre Chroniques en passant Chantal THOMAS

Les petits bonheurs Bernard CLAVEL

Pierre 1er TOLSTOÏ

 

 


vendredi 10 mars 2023

Plaisir de la pluie

 



            Entendre tomber la pluie est une bénédiction, surtout quand on n’a pas à l’affronter avec le vent qui souffle rageusement cet après-midi. J’aime les jours de pluie quand je suis au chaud à travailler, lire ou écrire. Je bénis la pluie quand on l’a attendue de longues semaines et que son absence rimait avec le spectre de la sècheresse. La pelouse commençait à jaunir ; du jamais vu en cette saison en Picardie ! 

            La pluie, la neige, l’automne et l’hiver font partie de mes « totems » de lectrice et d’auteur. J’aime lire leur évocation dans les livres, j’aime écrire sur ces thèmes-là. Et j’ai une prédilection pour les tableaux et les dessins convoquant la neige.  Je suis née une froide nuit de janvier et j’ai de lointains ancêtres russes. Sans doute faut-il y voir une trace ? Plus concrètement, ma sensibilité s’est, dès l’enfance, nourrie des tableaux des peintres flamands et, à l’adolescence, d’une appétence pour la littérature russe.


            Occasion de présenter un superbe livre découvert lors d’un salon du livre à Paris il y a quelques années. Imprécis de la pluie, d’Yvette Rodalec[1]. Une pépite ! Cet ouvrage est une anthologie de textes (poèmes et extraits de romans) d’une grande variété, qui rassemble des auteurs d’hier et d’aujourd’hui, français ou étrangers. Impossible de les citer ; il y en a plus de soixante-dix. Aucune austérité ni sentiment de lassitude au fil des pages car l’iconographie et la typographie sont particulièrement soignées et riches. Le mot se fait dessin, habille la page. Notre regard savoure des estampes, des tableaux impressionnistes, des lavis, des encres de Chine, des collages, des photographies, des aquarelles.


            C’est un livre qui nous éclabousse, nous vivifie, que l’on parcourt à grandes enjambées de randonneur ou dans lequel on musarde au hasard des pages. Un livre de chevet ou de salon. Qui apprécie la compagnie d’une tasse de thé et d’un feu de cheminée. Un livre d’hiver pour se réconcilier avec les frimas. Un livre d’été pour s’enivrer de terre chaude et mouillée. Un livre qui loue un bien ô combien précieux et dont nous ne mesurons pas toujours sa vitale nécessité. Vive la pluie ! 




[1] Yvette RODALEC Imprécis de la pluie, 2016, Éditions Dialogues 



samedi 25 février 2023

Douceur hollandaise

 



                La datcha n’a ouvert ses fenêtres depuis longtemps. Sa propriétaire était par monts et par vaux. Un week-end en Belgique pour le salon du livre de Tournai. Ambiance sympathique, des dédicaces en série le samedi, mais point une seule le dimanche. Puis quelques jours à Amsterdam pour y rencontrer un grand maître de la peinture, Vermeer, à qui le Rijksmuseum rend hommage. Vingt-huit œuvres présentées sur les trente-sept qu’a réalisées le peintre.

           Découvrir (ou retrouver) Vermeer, c’est d’abord un voyage dans le temps, c’est pousser la porte d’une de ces maisons de briques brunes qui se mirent dans un canal ou se tapissent dans une venelle. C’est être enveloppé d’emblée d’une quiétude domestique. Faire un pas sur le carrelage à damier blanc et noir. Attention, on pourrait presque se prendre les pieds dans les savates de la servante ou son balai, à moins que ce ne soit contre la viole de gambe, négligemment posée au sol.

            Ici, on joue du virginal, là de la guitare. Les notes délicates, nonchalamment pincées ou coulées dans la mélodie avec assurance – on ne le saura jamais – se diluent dans la lumière ambrée du salon. Tout à sa musique, l’artiste ne soupçonne pas notre visite inopinée. Mais parfois la dernière note se fragmente dans le silence de la surprise. La musicienne tourne la tête vers nous, avec un sourire sans connivence, sans chaleur, presque énigmatique. Ce n’est pas nous qu’elle voit. Le maître ? Elle poserait, tout simplement, comme nous autres le faisons devant l’appareil photo. Pas si sûr car il y a dans la sérénité de la pose l’esquisse d’une histoire en suspens. 




                                                             Source: Internet 

            Il n’y a qu’à surprendre les lectrices de Vermeer pour en avoir la certitude. Notre présence est indésirable. On a poussé sans vergogne la tenture d’une porte et l’on se fait voyeur. Nous lisons une conversation muette entre une servante et sa maîtresse. Nous tentons de happer les songes intimes des lectrices seules. Vermeer peint les pensées : la concentration, la perplexité, la satisfaction, le soulagement. L’urgence. Vite, ouvrir cette missive. Vite, laisser courir la plume sur le papier. Alors on s’éloigne sur la pointe des pieds pour ne pas déranger. Une bonne odeur de lait chaud nous convie à l’office. L’opulente laitière verse le laitage dans la jatte de grès vernissée. Il n’est pas l’heure du repas. Lumière matinale ou vespérale ? La clarté, sobre, presque crue, qui émane de la fenêtre irise le front de la soubrette, s’accroche à la cruche bleue et diamante les rustiques morceaux de pain. Laissons-la finir son travail. Il se murmure qu’elle prépare une sorte de pudding. Et soudain un scrupule nous traverse l’esprit. Pourquoi en faire une servante ? Qu’en sait-on, in fine ? Soit, l’on vient de quitter le salon cossu de ces dames. Si Vermeer peint la ville et ses intérieurs bourgeois (très peu la campagne, dans une œuvre de jeunesse), pourquoi n’aurait-il pas choisi d’honorer une fille du peuple, une citadine de la classe laborieuse mais pas dans le dénuement ? Vermeer nous donne à voir l’opulence matérielle et intellectuelle de ce siècle d’or hollandais : mantelets de velours, tentures de laine, instruments de musique, mappemondes, livres, coffrets laqués, perles et dentelles. Mais la noblesse du quotidien ne se trouve-t-elle pas aussi dans ce pichet de lait crémeux, prémices d’un bon repas ? Avant de quitter cette maison chaleureuse, jetons un dernier regard par la fenêtre, entre le maillage de plomb qui tient les verres teintés.  Dans la rue, devant une maison de briques à fronton en escalier, deux enfants agenouillés, jouent devant un banc. Une servante ravaude du linge dans l’encadrement de la porte, à la lumière du dehors. Une autre, au fond de la cour, lave quelque chose dans un baquet. Bientôt nous aurons rejoint la rue, silencieuse et tranquille. 

   

                                                   Source: Internet


            Eh non ! Nous quittons le Rijksmuseum et retrouvons la frénésie du carrefour devant le musée, des cohortes de bicyclettes longent les voitures, les badauds vont et viennent. Mais nous n’avons pas long à faire pour retrouver la sœur jumelle de la ruelle de Vermeer. Suivons ce canal, au hasard de nos pas, et nous y sommes. Tiens, ne serait-ce pas Vermeer là-bas, avec sa culotte de velours noire bouffante et ses bas rouges ?


jeudi 2 février 2023

Ecrire, dites-vous?

 




                                               Écriture

                                               Écris-tu ?

                                               Écrire tue ?

                                               Moi je un autre

                                               Mots palissade

                                               Image de soi   palimpseste

                                   

                                    Nathalie Boniface-Mercier   janvier 2023


samedi 28 janvier 2023

Souvenirs

 

 


 

                        Souvenirs


         J’ai une mémoire bas de laine

         En coq de clocher

         Qui girouette au gré des vents contraires

         J’accumule, j’entasse, je serre

         Des fleurs de pavé      ciment mandala

         Une carafe de café

         L’échanson des songes

         Me sert un sirop suranné

         À la fenêtre cénotaphe

         Une mouche renversée

         Zézaiement

         Marie Brizard

         On va trinquer

         Je ne sirote que l’étiquette

         Mots sans alcool pour la fillette

        J’accumule, j’entasse, je serre

         Des objets sans âme

         Mânes oubliés

         Une bobine de fil Au Chinois

         Chinoiserie

         Qui moissonne l’antan

         Et maisonne en moi

         Un quinquet de laiton

         Qui oscille au clou

         Feu éteint

         J’ai suivi Ariane

         Mémoire     mon labyrinthe et ma manne

  

                   Nathalie Boniface-Mercier  juin 2018

 

 

 


 


vendredi 13 janvier 2023

Légitimité

 


            Ecrire apaise. Être publié soulage. Être lu réjouit. L’écrivain vivrait-il alors sur un petit nuage ? Autre version : Écrire tourmente. Être publié inquiète. Être lu préoccupe. Qui que l’on soit, écrivain de l’ombre ou des plateaux télé, nous sommes tous confrontés à cette palette schizophrène de sentiments. Une montagne russe d’inquiétudes, de joies et de scrupules. Je lisais il y a peu une interview de Pierre Lemaître[1] dans laquelle il disait : « Cette distinction[2] calme ma crise de légitimité, sans la faire taire. Elle est encapsulée dans mon histoire, je l’emporterai dans ma tombe. » Et à propos de chaque nouveau livre : « Le livre que j’écris est-il à la hauteur de la promesse des autres ? Question permanente et récurrente. Je suis toujours envahi par le doute. Je n’arrive pas à gagner en confiance. […] » Coquetterie d’un auteur qui a rencontré le succès ? Je suis persuadée que non ; l’auteur est assurément sincère.

             Cela dit, Pierre Lemaître n’a plus l’inquiétude du nombre d’exemplaires vendus. Affres dans lesquels les écrivains de l’ombre se débattent. Votre serviteur ne peut se targuer de dizaines de milliers d’exemplaires vendus, bien sûr. Alors, ça se vend bien ? me demande-t-on parfois. Que répondre à cela ? Les chiffres sont subjectifs. Et, en moi, ce fond de discrétion, de réserve qui tient à mon éducation judéo-chrétienne. J’ai la pudeur de taire des échecs mais aussi mes réussites. Échecs relatifs, réussites relatives, du reste. Aussi, sur la toile narcissique des réseaux sociaux, fais-je un pas en avant, un pas de côté. Coquetterie de ma part ? Peut-être. C’est le bon droit des discrets et des gens ordinaires, non ? On se fabrique les remparts qu’on peut. Et je crois bien que, parfois, j’en suis encore à éprouver un relent de scrupule quand j’écris le mot écrivain à mon sujet. Ah cette légitimité du statut d’auteur ! Elle est tellement galvaudée ! Disons qu’au moins je suis une tisseuse de mots. Et que toujours il faut se remettre au métier à tisser. Pénélope défaisait la nuit ce qu’elle avait tissé le jour pour refouler les prétendants. Moi, je détisse quand ce n’est pas assez bon pour mes exigences, je retisse inlassablement. Destins tragiques de princesses, L’Engrangeoir sont maintenant sortis de l’atelier. Mes livres précédents aussi. À d’autres mains de s’en saisir, celles de mes lecteurs. Et moi, dans l’ombre, je fais courir opiniâtrement ma navette de couleurs dans la trame d’une nouvelle histoire.



[1] La Croix L’hebdo samedi 7, dimanche 8 janvier 2023

[2] Le prix Goncourt 2013 pour le roman Au revoir là-haut.


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