Une portion de la route qui me permet
de me rendre au collège rural où j’enseigne est actuellement en travaux et la
déviation me fait passer par une sinueuse route de campagne laquelle descend
dans un vallon, si tant est qu’on puisse attribuer à la Picardie un relief
aussi marqué. Champs et pâturages côtoient des bosquets qui, déjà, virent au
roux par petites touches dans le vert fatigué et mat des feuillus. Ma voiture
entame une descente entre deux rangées d’arbres qui façonnent une allée
cavalière à l’orée du parc d’un majestueux château du XVIIIe siècle
en face duquel se dressent les murs de briques et pierres d’une ferme qui peut
s’enorgueillir d’un imposant pigeonnier en forme de porche, signe patent de la
richesse du domaine autrefois. Le village ne manque pas de charme non plus car
il a conservé plusieurs longères picardes nichées au fond d’une cour et qu’on
aperçoit furtivement lorsque le portail de la grange qui borde la route est
ouverte. Façade, pour l’une, en torchis passé à la chaux sur lequel se découpent
les boiseries vert vif, comme cela était encore typique dans la région il y a une
cinquantaine d’années. Façade, pour l’autre, bardée de planches. Ou encore celle,
aux nuances de beige, basse et engoncée dans sa courette, calée en angle droit
au mur coquettement restauré de ce qui fut autrefois la porcherie et l’étable.
Les week-ends du patrimoine mettent à
l’honneur monuments privés et publics, demeures d’écrivains et de personnes
célèbres. Des villages pittoresques accèdent aux happy few des Plus beaux
villages français. Comment ne pas tomber effectivement sous le charme des
bourgades alsaciennes, d’un Luberon semé de hameaux restaurés ou d’une poignée
de maisons bretonnes recroquevillées sur un petit port où la houle berce des
chalutiers ? Les villages picards, à quelques exceptions près, n’ont pas
d’unité architecturale. La fragilité du matériau – le torchis –, la saignée des
guerres, voire la pauvreté ont signé le déclin et la destruction des fermettes
locales. Le bâti y est hétéroclite,
insignifiant mais dans ce bric-à-brac de constructions au milieu duquel
l’église a su rester jolie quand elle n’est pas du XIXe ou
d’après-guerre, on peut parfois trouver une modeste demeure au charme désuet. Mes
trajets quotidiens, ces jours-ci, qui me font sillonner la rue principale de ce
village des bords de Noye, m’offrent ces plaisirs fugaces à happer ces traces
d’un passé honoré, cet habitat modeste d’hier de la paysannerie laborieuse. Et
montent en moi des images de mes maisons d’autrefois, dont celles des
arrière-grands-parents: longère aux volets vert sapin, aux tomettes brunes et
rideaux de crochet aux fenêtres, vaste maison cossue aux plafonds hauts, au
carrelage à damier noir et blanc et manteau de cheminée garni de barbotines et
chandeliers. Mes maisons d’hier ou d’aujourd’hui, amicales ou familiales,
portent souvent un, deux ou trois siècles sur leurs solives. Nobles ou modestes,
elles ont vu passer le laboureur picard, les chasses aristocratiques, le
vigneron sancerrois ou le fier Vendéen. Elles ont couvé des joies et des
peines. Elles sont pleinement ce patrimoine intime qui ne s’efface pas tout à
fait avec le temps, tant que durent les souvenirs.
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