samedi 25 février 2023

Douceur hollandaise

 



                La datcha n’a ouvert ses fenêtres depuis longtemps. Sa propriétaire était par monts et par vaux. Un week-end en Belgique pour le salon du livre de Tournai. Ambiance sympathique, des dédicaces en série le samedi, mais point une seule le dimanche. Puis quelques jours à Amsterdam pour y rencontrer un grand maître de la peinture, Vermeer, à qui le Rijksmuseum rend hommage. Vingt-huit œuvres présentées sur les trente-sept qu’a réalisées le peintre.

           Découvrir (ou retrouver) Vermeer, c’est d’abord un voyage dans le temps, c’est pousser la porte d’une de ces maisons de briques brunes qui se mirent dans un canal ou se tapissent dans une venelle. C’est être enveloppé d’emblée d’une quiétude domestique. Faire un pas sur le carrelage à damier blanc et noir. Attention, on pourrait presque se prendre les pieds dans les savates de la servante ou son balai, à moins que ce ne soit contre la viole de gambe, négligemment posée au sol.

            Ici, on joue du virginal, là de la guitare. Les notes délicates, nonchalamment pincées ou coulées dans la mélodie avec assurance – on ne le saura jamais – se diluent dans la lumière ambrée du salon. Tout à sa musique, l’artiste ne soupçonne pas notre visite inopinée. Mais parfois la dernière note se fragmente dans le silence de la surprise. La musicienne tourne la tête vers nous, avec un sourire sans connivence, sans chaleur, presque énigmatique. Ce n’est pas nous qu’elle voit. Le maître ? Elle poserait, tout simplement, comme nous autres le faisons devant l’appareil photo. Pas si sûr car il y a dans la sérénité de la pose l’esquisse d’une histoire en suspens. 




                                                             Source: Internet 

            Il n’y a qu’à surprendre les lectrices de Vermeer pour en avoir la certitude. Notre présence est indésirable. On a poussé sans vergogne la tenture d’une porte et l’on se fait voyeur. Nous lisons une conversation muette entre une servante et sa maîtresse. Nous tentons de happer les songes intimes des lectrices seules. Vermeer peint les pensées : la concentration, la perplexité, la satisfaction, le soulagement. L’urgence. Vite, ouvrir cette missive. Vite, laisser courir la plume sur le papier. Alors on s’éloigne sur la pointe des pieds pour ne pas déranger. Une bonne odeur de lait chaud nous convie à l’office. L’opulente laitière verse le laitage dans la jatte de grès vernissée. Il n’est pas l’heure du repas. Lumière matinale ou vespérale ? La clarté, sobre, presque crue, qui émane de la fenêtre irise le front de la soubrette, s’accroche à la cruche bleue et diamante les rustiques morceaux de pain. Laissons-la finir son travail. Il se murmure qu’elle prépare une sorte de pudding. Et soudain un scrupule nous traverse l’esprit. Pourquoi en faire une servante ? Qu’en sait-on, in fine ? Soit, l’on vient de quitter le salon cossu de ces dames. Si Vermeer peint la ville et ses intérieurs bourgeois (très peu la campagne, dans une œuvre de jeunesse), pourquoi n’aurait-il pas choisi d’honorer une fille du peuple, une citadine de la classe laborieuse mais pas dans le dénuement ? Vermeer nous donne à voir l’opulence matérielle et intellectuelle de ce siècle d’or hollandais : mantelets de velours, tentures de laine, instruments de musique, mappemondes, livres, coffrets laqués, perles et dentelles. Mais la noblesse du quotidien ne se trouve-t-elle pas aussi dans ce pichet de lait crémeux, prémices d’un bon repas ? Avant de quitter cette maison chaleureuse, jetons un dernier regard par la fenêtre, entre le maillage de plomb qui tient les verres teintés.  Dans la rue, devant une maison de briques à fronton en escalier, deux enfants agenouillés, jouent devant un banc. Une servante ravaude du linge dans l’encadrement de la porte, à la lumière du dehors. Une autre, au fond de la cour, lave quelque chose dans un baquet. Bientôt nous aurons rejoint la rue, silencieuse et tranquille. 

   

                                                   Source: Internet


            Eh non ! Nous quittons le Rijksmuseum et retrouvons la frénésie du carrefour devant le musée, des cohortes de bicyclettes longent les voitures, les badauds vont et viennent. Mais nous n’avons pas long à faire pour retrouver la sœur jumelle de la ruelle de Vermeer. Suivons ce canal, au hasard de nos pas, et nous y sommes. Tiens, ne serait-ce pas Vermeer là-bas, avec sa culotte de velours noire bouffante et ses bas rouges ?


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