vendredi 13 janvier 2023

Légitimité

 


            Ecrire apaise. Être publié soulage. Être lu réjouit. L’écrivain vivrait-il alors sur un petit nuage ? Autre version : Écrire tourmente. Être publié inquiète. Être lu préoccupe. Qui que l’on soit, écrivain de l’ombre ou des plateaux télé, nous sommes tous confrontés à cette palette schizophrène de sentiments. Une montagne russe d’inquiétudes, de joies et de scrupules. Je lisais il y a peu une interview de Pierre Lemaître[1] dans laquelle il disait : « Cette distinction[2] calme ma crise de légitimité, sans la faire taire. Elle est encapsulée dans mon histoire, je l’emporterai dans ma tombe. » Et à propos de chaque nouveau livre : « Le livre que j’écris est-il à la hauteur de la promesse des autres ? Question permanente et récurrente. Je suis toujours envahi par le doute. Je n’arrive pas à gagner en confiance. […] » Coquetterie d’un auteur qui a rencontré le succès ? Je suis persuadée que non ; l’auteur est assurément sincère.

             Cela dit, Pierre Lemaître n’a plus l’inquiétude du nombre d’exemplaires vendus. Affres dans lesquels les écrivains de l’ombre se débattent. Votre serviteur ne peut se targuer de dizaines de milliers d’exemplaires vendus, bien sûr. Alors, ça se vend bien ? me demande-t-on parfois. Que répondre à cela ? Les chiffres sont subjectifs. Et, en moi, ce fond de discrétion, de réserve qui tient à mon éducation judéo-chrétienne. J’ai la pudeur de taire des échecs mais aussi mes réussites. Échecs relatifs, réussites relatives, du reste. Aussi, sur la toile narcissique des réseaux sociaux, fais-je un pas en avant, un pas de côté. Coquetterie de ma part ? Peut-être. C’est le bon droit des discrets et des gens ordinaires, non ? On se fabrique les remparts qu’on peut. Et je crois bien que, parfois, j’en suis encore à éprouver un relent de scrupule quand j’écris le mot écrivain à mon sujet. Ah cette légitimité du statut d’auteur ! Elle est tellement galvaudée ! Disons qu’au moins je suis une tisseuse de mots. Et que toujours il faut se remettre au métier à tisser. Pénélope défaisait la nuit ce qu’elle avait tissé le jour pour refouler les prétendants. Moi, je détisse quand ce n’est pas assez bon pour mes exigences, je retisse inlassablement. Destins tragiques de princesses, L’Engrangeoir sont maintenant sortis de l’atelier. Mes livres précédents aussi. À d’autres mains de s’en saisir, celles de mes lecteurs. Et moi, dans l’ombre, je fais courir opiniâtrement ma navette de couleurs dans la trame d’une nouvelle histoire.



[1] La Croix L’hebdo samedi 7, dimanche 8 janvier 2023

[2] Le prix Goncourt 2013 pour le roman Au revoir là-haut.


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