Ecrire
apaise. Être publié soulage. Être lu réjouit. L’écrivain vivrait-il alors sur
un petit nuage ? Autre version : Écrire tourmente. Être publié
inquiète. Être lu préoccupe. Qui que l’on soit, écrivain de l’ombre ou des
plateaux télé, nous sommes tous confrontés à cette palette schizophrène de
sentiments. Une montagne russe d’inquiétudes, de joies et de scrupules. Je
lisais il y a peu une interview de Pierre Lemaître[1]
dans laquelle il disait : « Cette distinction[2]
calme ma crise de légitimité, sans la faire taire. Elle est encapsulée dans mon
histoire, je l’emporterai dans ma tombe. » Et à propos de chaque nouveau
livre : « Le livre que j’écris est-il à la hauteur de la promesse des
autres ? Question permanente et récurrente. Je suis toujours envahi par le
doute. Je n’arrive pas à gagner en confiance. […] » Coquetterie d’un
auteur qui a rencontré le succès ? Je suis persuadée que non ; l’auteur
est assurément sincère.
Cela dit, Pierre Lemaître n’a plus l’inquiétude
du nombre d’exemplaires vendus. Affres dans lesquels les écrivains de l’ombre se
débattent. Votre serviteur ne peut se targuer de dizaines de milliers d’exemplaires
vendus, bien sûr. Alors, ça se vend bien ? me demande-t-on parfois. Que
répondre à cela ? Les chiffres sont subjectifs. Et, en moi, ce fond de
discrétion, de réserve qui tient à mon éducation judéo-chrétienne. J’ai la
pudeur de taire des échecs mais aussi mes réussites. Échecs relatifs, réussites relatives, du reste. Aussi, sur la
toile narcissique des réseaux sociaux, fais-je un pas en avant, un pas de côté.
Coquetterie de ma part ? Peut-être. C’est le bon droit des discrets et des
gens ordinaires, non ? On se fabrique les remparts qu’on peut. Et je crois
bien que, parfois, j’en suis encore à éprouver un relent de scrupule quand j’écris
le mot écrivain à mon sujet. Ah cette légitimité du statut d’auteur ! Elle
est tellement galvaudée ! Disons qu’au moins je suis une tisseuse de mots.
Et que toujours il faut se remettre au métier à tisser. Pénélope défaisait la
nuit ce qu’elle avait tissé le jour pour refouler les prétendants. Moi, je
détisse quand ce n’est pas assez bon pour mes exigences, je retisse
inlassablement. Destins tragiques de princesses, L’Engrangeoir
sont maintenant sortis de l’atelier. Mes livres précédents aussi. À d’autres mains de s’en saisir, celles de mes lecteurs. Et
moi, dans l’ombre, je fais courir opiniâtrement ma navette de couleurs dans la
trame d’une nouvelle histoire.
[1] La Croix
L’hebdo samedi 7, dimanche 8 janvier 2023
[2] Le prix
Goncourt 2013 pour le roman Au revoir là-haut.
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