Cette
semaine, il a neigé en Picardie. Juste de quoi voir virevolter les flocons et
blanchir les toits. Une douceur pour les yeux, happée à la dérobée, entre une
dictée et un exercice de conjugaison, dans une classe studieuse malgré l’envie
d’honorer l’éphémère reine de l’hiver. J’aurais pu vous écrire sur celle que
j’appelle volontiers la silencieuse. Mais j’ai choisi, à contre-courant des
saisons, de vous parler de l’alouette. Je l’avais déjà invitée à la Datcha, en
septembre 2022. Je l’aime tant !
Ces
jours-ci, je lisais Eloge de l’alouette[1],
un joli petit livre acheté l’été dernier dans une librairie, en Auvergne. L’auteur,
Francis Gremberg, vit à Bailleul, dans le Nord. C’est un homme de ma génération
dont l’enfance s’est déroulée à la campagne. Il a grandi avec le chant de
l’alouette, loin de savoir, à l’époque, qu’il perdrait un jour le privilège de
l’entendre grisoller dans le ciel du nord : « Je vous écoutais et
j’étais sous votre emprise. Votre chant de plein ciel était pour moi une
révélation. Un oiseau chantait et le monde devenait plus beau. Je ne savais pas
à l’époque que vous possédiez une des gammes les plus riches de la faune
aviaire, avec plus de six cents notes et articulations en phrases[2].
[…] Je me souviens de vous aux marches de l’hiver, quand novembre s’étalait
brumeux et froid sur les champs nus. Vous étiez alors une consolation
inattendue. À la seconde, vous inversiez les saisons et effaciez ma mélancolie.[3] » Comme lui,
l’alouette fut l’enchantement de mes promenades à travers champs, du mois
d’avril quand les prunelliers fleurissaient à l’été - en dehors des moissons
bruyantes et poussiéreuses - en passant par le mois de mai fleurant bon l’aubépine
et celui de juin éclatant dans les cytises.
Mes yeux éblouis par la lumière couraient dans le ciel à la recherche de
l’oiseau qui lançait ses trilles très haut. On l’entendait mais on ne la voyait
point. Elle estampillait les beaux jours dans cette région au climat peu
clément, elle était insouciance, légèreté et compagne d’un temps étale, sans
contrainte, celui du long week-end sans école ou des grandes vacances infinies.
Parfois, on l’apercevait voletant sur place avec une ténacité dans son
battement d’ailes qui n’avait d’égal que son chant incessant. Lire le bel
ouvrage de Francis Gremberg, c’est conjuguer ses souvenirs de p’tit gars des
champs à mon enfance rurale. C’est partager sa peine et son inquiétude
actuelles. Si l’alouette a disparu de la terre de Bailleul, elle n’est plus
beaucoup là dans mon coin de Picardie. Zones de culture agricole intensive, on
l’aura compris. Glyphosate et compagnie plument l’alouette. Je suis parfois
prise d’angoisse de songer que ce frêle oiseau peut disparaître à tout jamais
et que nous n’ayons plus que des vidéos sur Internet pour l’écouter. Moment
volé que je me suis accordé avant de rédiger cette chronique et qui n’a, hélas,
pas les vertus d’une vraie balade dans la nature. Mais le chat Piccolo qui
dormait sur mes genoux a sauté devant l’écran, son oreille de chasseur en
alerte, sa patte véloce prête à bondir sur l’image. Le leurre est-il plus grand
pour lui ou pour moi ? C’est discutable.
L’opus
de Francis Gremberg ne s’attache pas seulement à consigner sa nostalgie en une
langue poétique et douce, il nous convie à retrouver l’alouette chez les poètes
ou sous la plume des soldats de 14-18 qui l’entendirent chanter, imperturbable
une fois la canonnade arrêtée, inébranlable image de l’espérance devant la
folie des hommes. Il la traque dans les champs cultivés de toutes régions, se
défiant des chiffres et pourcentages aléatoires mais guère rassurants mais
aussi dans le champ sémantique de la langue française. L’alouette est
partout : une rue de lotissement, un type d’hélicoptère, le nom d’une
revue, le surnom que Jean Valjean donna à Cosette et, bien sûr, la comptine que
nous avons tous chantée : « Alouette, gentille, alouette, je te
plumerai… ». Enfant, bien que j’ignorasse que l’on pouvait manger l’oiseau,
je n’aimais ni la musique ni la rengaine. Je pressentais au-delà de ces paroles
a priori innocentes une indéfinissable perversité qui troublait la petite fille
que j’étais.
[1] Francis
GREMBERG, Eloge de l’alouette, collection La rencontre, Editions Arléa
(2023)
[2] Page 10.
[3] Page 28.
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