dimanche 18 septembre 2022

Trouver du temps pour écrire

 


Photo de J. Mercier

Trouver le temps pour écrire. Cela semble couler de source puisque j’ai la chance de travailler à temps partiel. Et pourtant les heures libérées ne sont pas toujours propices à l’écrivant. Cette période de rentrée est bouillonnante même si les dernières chaleurs incitent encore à la nonchalance. Les premiers fruits de l’automne sont à ramasser, au sens propre – les pommes abîmées attendent le couteau pour la compote – et au sens figuré : projets professionnels à bâtir, inscriptions, réservations, invitations, rendez-vous divers, jardinage. Trouver le temps pour écrire. Je prends quelques notes, idées pour la Datcha, mûrissement du roman en cours, mais rien de déployé, d’abouti. Le concret m’habite, occupe mes jours, l’insignifiant requiert mon attention – observer le chat des voisins sur le mur du jardin, chercher une recette – et je songe à mes années de jeunesse où je me levais les samedis et dimanches à sept heures en plein hiver pour écrire et savourer la montée de l’aube. Les élans se perdent-ils ou se laissent-ils plus facilement grignoter par l’indolence de l’âge ? À moins que le glissement d’une saison à l’autre ne distille en nous le désir de retenir le temps ? L’automne a toujours été pour moi une dualité entre l’abondance et le déclin. Un vecteur d’énergie car les lumières ambrées, les matins frais et humides, les derniers verts de la nature, les parfums de terre stimulent. Mais aussi une invitation à l’abandon. Les brumes matinales enveloppantes et le crépuscule poussent au lâcher prise et au repli à la maison.

Si le véritable automne n’a pas encore apposé son sceau sur le calendrier, ses signes annonciateurs sont déjà là dans ma terre picarde. La bignone du jardin s’est parée d’ocres et la pluie, tant espérée l’été, se fait coutumière, insolente. Mais au creux des jours, le temps semble s’être comme suspendu à l’heure anglaise. La reine Elizabeth II s’en est allée et, toutes frontières abolies, c’est le balancier des horloges qu’on a arrêté, alors que grondent encore la frénésie et la folie du monde.


samedi 10 septembre 2022

Alouette, gentille alouette

 

                                        Source: Internet

                                         

En me promenant dimanche dernier dans les champs, j’ai réalisé qu’aucune alouette n’occupait le ciel, au-dessus des blés moissonnés, de son vol si particulier, à la fois statique et frénétique. Le chant des alouettes a toujours été pour moi synonyme de l’été à la campagne. Sa mélodie se déploie dans la douceur de l’air, elle habite le bleu du ciel, l’ocre des chaumes. On entend la trille joyeuse de l’oiseau avant même de le voir.

Ce dimanche, ciel et terre sont silencieux. Mais où sont les oiseaux ? L’agriculture intensive, avec l’usage récurrent de ses pesticides, a, on le sait, des effets nocifs sur le monde aviaire. Le fauchage des cultures, plus précoce du fait du réchauffement climatique, contribue aussi à l’extinction de l’espèce car cela détruit la nidification des alouettes, laquelle se fait jusqu’au début du mois de juillet. La sècheresse de ces derniers mois leur a peut-être aussi été fatale. Sans compter les incendies. L’espèce est en déclin, moins 4% ces dix dernières années.

Comme sont loin ces années d’insouciance où l’homme n’avait cure du devenir d’espèces animales. Nos oiseaux des champs et des bois pullulaient et des générations d’hommes les faisaient passer à la marmite ou à la broche ! Pratiques qui ont de quoi surprendre nos estomacs d’aujourd’hui. En me promenant, il m’est revenu à l’esprit un texte de Jean Giono. Egalement un souvenir d’enfance de Marie Rouanet qui racontait, dans Nous les filles, les repas des dimanches soirs, quand sa mère faisait mijoter les alouettes tuées par le père. Dîners de besogneux qui trouvaient leur provende dans la nature nourricière.

Premières années du 20ème siècle. Jean Giono, enfant, accompagne ses parents, cordonnier et blanchisseuse, chez des amis paysans qui leur offre le traditionnel déjeuner au lendemain du nouvel an.  C’était chaque fois pareil, mais c’était chaque fois magnifique. Notre repas de midi était une immense galimafrée de « petites bêtes » : petits oiseaux, moineaux, pinsons, rouges-gorges, rossignols, courlis, pluviers, alouettes, grives, merles, râles d’eau, bergeronnettes, roitelets, hoche-queues, culs-blancs, bouvreuils, cailles, mésanges charbonnières, chardonnerets, coucous, loriots, verdioles, mélangés avec quelques grosses pièces : bécasses, bécassines, poules d’eau, et même cet oiseau excellent en toutes sortes que je n’ai jamais plus trouvé qu’ici : des coquecigrues. La coquecigrue (c’était peut-être un simple geai) était le triomphe de Romuald. [1]

            Quand on sait la propension naturelle de Jean Giono à fabuler, on ne peut s’empêcher de songer qu’il s’est laissé emporter par la plume au regard d’une telle liste ! D’autant plus que certaines espèces, migratoires, n’occupaient certainement pas le ciel provençal quand ledit Romuald chassait en plein hiver. Et la coquecigrue est une invention rabelaisienne ! Quant à moi, je goûte ce florilège d’espèces aviaires par le plaisir des mots. Aucunement par celui de la bonne chère. Notre sensibilité d’aujourd’hui va à l’amour pour rouges-gorges, chardonnerets et mésanges  – je ne peux citer tous ces amis du jardin  – et non à l’idée de les consommer.

           



[1] Jean GIONO, « La partie de campagne », La chasse au bonheur (Gallimard 1988, recueil de chroniques rédigées pour des journaux entre 1966 et 1970)


jeudi 1 septembre 2022

Rentrée des classes

 

                                          Fontenay-Le-Comte, département de la Vendée.


 De la porte placée dans un angle, je vis en face de moi, au fond de la salle, une grande cheminée où montait le tuyau d’un poêle ; le long des trois autres côtés, les écoliers, assis sur des bancs sans dossiers, ni tables, tenaient une planche sur leurs genoux, leur planche à écrire, percée en haut d’un petit trou où passait une ficelle qui la suspendait au mur, la classe finie. Les trois fenêtres – à petits carreaux – étaient placées au côté nord de la salle ;  […]. Les murs étaient de torchis, lavés à la chaux ; le sol, de terre battue, ondulait légèrement.

            Le maître vint au-devant de moi ; il me prit par la main – tout le monde me prenait par la main, ce jour-là – ,  et me conduisit au bord de la classe, près de la place qu’il occupait ; il siégeait à droite de la cheminée sur l’unique chaise et devant la table unique de l’école.

            Pendant cette première classe, il ne me donna rien à faire ; je regardai travailler les autres. Ils étaient une vingtaine, que je connaissais tous, bien entendu. Ensemble, nous jouions sous la halle à tous les jeux où l’on se bat et où on crie. Ensemble, à la nuit tombante, nous allions tirer la sonnette des sœurs, sur un haut perron, que nous montions à pas étouffés, pour dégringoler bientôt à fracas de sabots, par peur de voir apparaître la cornette blanche et le long voile noir d’une de nos « tantes », comme on appelait chez nous les religieuses. […]

À l’école, mes camarades, assis et silencieux, me paraissaient devenus d’autres personnages, et moi-même je me trouvais tout changé. Je perçus pour la première fois le sentiment de la discipline qui naissait de la crainte certainement ; sur la table du magister s’allongeait une baguette dont nous connaissions l’usage.

Un de mes camarades, après s’être assuré d’un coup d’œil que le maître ne regardait pas de son côté, m’adressa, du banc d’en face, une grimace qui peut-être voulait dire : « Te voilà pris, toi aussi ! »

Ernest LAVISSE, Souvenirs, Editions Calmann-Lévy, 1912

 

Ernest Lavisse est né en 1842 et mort en 1922. Historien, il est l’auteur de nombreux ouvrages scolaires qui ont accompagné des générations d’écoliers. Il inaugure son autobiographie, Souvenirs, par l’évocation de sa toute première rentrée des classes, en 1848, dans la commune de Nouvion-en-Thiérache, en Picardie.


mardi 23 août 2022

Premier anniversaire

 

                           Jardin éphémère Boulogne-sur-Mer, été 2015, thème: Les 7 péchés capitaux

Mon blog a un an tout juste. Je remercie encore Laurent B. qui m’a donné des cours d’informatique et m’a précieusement aidée à concevoir la maquette et le contenu du blog.  Je remercie tous mes lecteurs, amis et anonymes, qui poussent régulièrement ou occasionnellement la porte de ma datcha. Plus d’un millier de connexions en une année. Un seul regret, personne n’ose m’écrire un commentaire sous l’article. Dommage.

Je me souviens des questions dont me pressaient des proches au cours de l’élaboration. Tu vas faire la promo de tes bouquins ? Tu parleras de tes lectures ? Tu parleras de toi ? Tu trouveras de quoi dire tous les jours ? Des idées de chroniques, dans le feu de la nouveauté et de l’enthousiasme, jaillissaient et je les notais sur un carnet. Certaines de ces notes ont effectivement donné naissance à une chronique. Et d’autres textes sont venus, au fil des mois, dans l’air du temps parfois. Un scrupule m’a longtemps taraudée. Est-ce que je parle trop de moi ? À notre époque où bon nombre s’exposent sur les réseaux sociaux, ma question peut paraître ridicule ou du moins dépassée. Je ne joue pas les fausses modestes non plus. Et puis, cela tient de l’évidence, un éditeur attend de ses auteurs qu’ils parlent de leurs livres. La datcha y contribue, même si le but de ce blog n’est pas uniquement voué à assurer la promotion de mes livres.

 J’ai toujours aimé lire des chroniques. Le quotidien auquel je suis abonnée m’offre presque chaque jour la lecture délicieuse d’une chronique. Occasion de remercier là les auteurs qui m’ont accompagnée cette année à la table du petit déjeuner : Laurence Cossé avec ses érudites et pétillantes leçons de lexicologie et son regard humaniste sur ses semblables, Alexis Jenni avec ses esquisses, parfois pleines d’humour, du quotidien, Charif Majdalani dans sa vie quotidienne au Liban, pays que je connais bien, Christiane Rancé dont les textes étaient toujours pleins de poésie, de  douceur et riches en références littéraires, Véronique Olmi et son souci de la justice humaine. Je n’ai pas oublié non plus ces auteurs qui, les années précédentes, offraient leur bonne plume, Natacha Appanah, Valentine Goby, Guillaume de Fonclare, entre autres.

On entre donc dans ma datcha par mes chroniques, toutes proportions gardées avec les maîtres du genre, ci-dessus cités. À la datcha, on se pose, on se repose, on prend le temps de savourer les heures et les jours, les saisons. N’est-ce d’ailleurs pas la fonction des datchas de la campagne russe ? Modestes nids ou demeures cossues, elles ont en commun le cadre d’un jardin, une clairière ou le bord d’un lac. Le mot datcha vient du vert dat en russe qui signifie donner. Au début du 18ème siècle, le tzar Pierre le Grand attribua des lopins de terre à ses subordonnés, dans la campagne environnant Saint-Pétersbourg, près de son palais d’été de Peterhof. Le 19ème siècle mit les datchas à la mode et fit le bonheur des peintres et des écrivains. Elles ne sont plus aujourd’hui ces propriétés de la bourgeoisie de l’empire tzariste, ni les cadeaux octroyés aux fidèles membres du Parti, mais la maison de campagne où se ressourcer, quand elles ne sont pas tout simplement devenues la maison principale. Elles se différencient peu ou prou de l’isba, traditionnelle maison paysanne, plus rustique mais parfois richement ornementée d’une dentelle de bois dans l’encadrement de ses fenêtres, que l’on trouve en bordure des routes et des rues dans les villages.  

                                                 source Internet

samedi 23 juillet 2022

Pause estivale

 


Pause estivale du blog


                                        


« Nous sommes ces Français, un peu nonchalants, un peu douillets, mais capables de rester assis devant ce qui nous plaît. Nous portons à la France un amour agréablement assoupi au fond de nous-mêmes, tout gorgé, à chaque pas, d’une provende délicate. Nous sommes en route, tantôt grincheux, tantôt inexplicablement optimistes. Sans en avoir l’air, nous savons mieux que personne qu’au tournant de la route, au coin de la rue, en haut de la pente, derrière les panneaux de publicité et les « hostelleries », la France tient en réserve ce que prodigieusement elle a de mûr, d’éprouvé, de touchant, d’invariable et de fastueux… »

Extrait de « La France, le plus beau pays du monde » dans Paysages et portraits COLETTE (parution en 1958 aux éditions Flammarion, soit quatre ans après le décès de l’écrivain)


vendredi 15 juillet 2022

Etés d'enfance

 

         Source: Pinterest Internet


Valses d’été d’ici et d’ailleurs. Seule dans la serre, l’enfant sourit à l’épouvantail réformé. Ses épaules tombantes n’ont guère de barrettes sinon la poussière pour unique distinction. Cœur de paille qui crève sous la chemise    solitude croisée avec l’enfant. Est-ce ainsi que les hommes meurent dans leur vie étriquée ? Au rebut, le dos au mur. L’après-midi torride est pesant. Au fond du jardin, quelques gloussements de poules se suspendent au silence   chants sans gloire et vains qui sont l’écho d’un soleil d’été sous lequel la vie est languide. En contrebas du verger, le cimetière s’enracine dans l’oubli. Un volet de l’auguste maison grise grince gonds rouillés. La grand-mère s’éveille de sa sieste.

 

L’enfance a un goût de pomme d’août

Fruits cueillis au jardin des morts

Comme dit le grand-père

L’enfance a un goût acidulé

Ce jardin, elle l’aime

Ces pommes, elle en raffole

C’est son goût de la vie

À elle

Jardin d’images paix intérieure

Pommes peu sucrées un brin piquantes

Ses préférées

Le goût de son enfance

Un goût perdu

Mais en cet après-midi de mélancolie aigrelette elle l’ignore encore

Aujourd’hui elle sait et se résigne

Cette saveur de pomme d’août ne reviendra sans doute jamais

Ou bien il faudrait que soient toujours la voix goguenarde du grand-père les beignets de la grand-mère et ce verger qui coiffe un cimetière.

 

   L’Engrangeoir, pages 32 et 33 Éditions La Chouette Imprévue (2021)

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