Fontenay-Le-Comte, département de la Vendée.
De la porte
placée dans un angle, je vis en face de moi, au fond de la salle, une grande
cheminée où montait le tuyau d’un poêle ; le long des trois autres côtés,
les écoliers, assis sur des bancs sans dossiers, ni tables, tenaient une
planche sur leurs genoux, leur planche à écrire, percée en haut d’un petit trou
où passait une ficelle qui la suspendait au mur, la classe finie. Les trois
fenêtres – à petits carreaux – étaient placées au côté nord de la salle ; […]. Les murs étaient de torchis, lavés à la
chaux ; le sol, de terre battue, ondulait légèrement.
Le maître vint au-devant de moi ;
il me prit par la main – tout le monde me prenait par la main, ce jour-là – , et me conduisit au bord de la classe, près de
la place qu’il occupait ; il siégeait à droite de la cheminée sur l’unique
chaise et devant la table unique de l’école.
Pendant cette première classe, il ne
me donna rien à faire ; je regardai travailler les autres. Ils étaient une
vingtaine, que je connaissais tous, bien entendu. Ensemble, nous jouions sous
la halle à tous les jeux où l’on se bat et où on crie. Ensemble, à la nuit
tombante, nous allions tirer la sonnette des sœurs, sur un haut perron, que
nous montions à pas étouffés, pour dégringoler bientôt à fracas de sabots, par
peur de voir apparaître la cornette blanche et le long voile noir d’une de nos « tantes »,
comme on appelait chez nous les religieuses. […]
À l’école, mes camarades, assis et silencieux, me
paraissaient devenus d’autres personnages, et moi-même je me trouvais tout
changé. Je perçus pour la première fois le sentiment de la discipline qui
naissait de la crainte certainement ; sur la table du magister s’allongeait
une baguette dont nous connaissions l’usage.
Un de mes camarades,
après s’être assuré d’un coup d’œil que le maître ne regardait pas de son côté,
m’adressa, du banc d’en face, une grimace qui peut-être voulait dire : « Te
voilà pris, toi aussi ! »
Ernest LAVISSE, Souvenirs,
Editions Calmann-Lévy, 1912
Ernest Lavisse est né en 1842
et mort en 1922. Historien, il est l’auteur de nombreux ouvrages scolaires qui
ont accompagné des générations d’écoliers. Il inaugure son autobiographie, Souvenirs,
par l’évocation de sa toute première rentrée des classes, en 1848, dans la
commune de Nouvion-en-Thiérache, en Picardie.
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