jeudi 1 septembre 2022

Rentrée des classes

 

                                          Fontenay-Le-Comte, département de la Vendée.


 De la porte placée dans un angle, je vis en face de moi, au fond de la salle, une grande cheminée où montait le tuyau d’un poêle ; le long des trois autres côtés, les écoliers, assis sur des bancs sans dossiers, ni tables, tenaient une planche sur leurs genoux, leur planche à écrire, percée en haut d’un petit trou où passait une ficelle qui la suspendait au mur, la classe finie. Les trois fenêtres – à petits carreaux – étaient placées au côté nord de la salle ;  […]. Les murs étaient de torchis, lavés à la chaux ; le sol, de terre battue, ondulait légèrement.

            Le maître vint au-devant de moi ; il me prit par la main – tout le monde me prenait par la main, ce jour-là – ,  et me conduisit au bord de la classe, près de la place qu’il occupait ; il siégeait à droite de la cheminée sur l’unique chaise et devant la table unique de l’école.

            Pendant cette première classe, il ne me donna rien à faire ; je regardai travailler les autres. Ils étaient une vingtaine, que je connaissais tous, bien entendu. Ensemble, nous jouions sous la halle à tous les jeux où l’on se bat et où on crie. Ensemble, à la nuit tombante, nous allions tirer la sonnette des sœurs, sur un haut perron, que nous montions à pas étouffés, pour dégringoler bientôt à fracas de sabots, par peur de voir apparaître la cornette blanche et le long voile noir d’une de nos « tantes », comme on appelait chez nous les religieuses. […]

À l’école, mes camarades, assis et silencieux, me paraissaient devenus d’autres personnages, et moi-même je me trouvais tout changé. Je perçus pour la première fois le sentiment de la discipline qui naissait de la crainte certainement ; sur la table du magister s’allongeait une baguette dont nous connaissions l’usage.

Un de mes camarades, après s’être assuré d’un coup d’œil que le maître ne regardait pas de son côté, m’adressa, du banc d’en face, une grimace qui peut-être voulait dire : « Te voilà pris, toi aussi ! »

Ernest LAVISSE, Souvenirs, Editions Calmann-Lévy, 1912

 

Ernest Lavisse est né en 1842 et mort en 1922. Historien, il est l’auteur de nombreux ouvrages scolaires qui ont accompagné des générations d’écoliers. Il inaugure son autobiographie, Souvenirs, par l’évocation de sa toute première rentrée des classes, en 1848, dans la commune de Nouvion-en-Thiérache, en Picardie.


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