jeudi 4 juillet 2024

Dénicher une pépite

 



L’on mésestime souvent les publications des petites maisons d’édition selon un préjugé bien implanté dans les esprits que la qualité d’un ouvrage serait corrélée à la renommée d’un éditeur. Les grandes maisons ont pourtant à leur catalogue bon nombre de livres insipides. Et de belles pépites passent à côté d’une large diffusion. Ma vie était un fusil chargé[1] est une de ces pépites ! Dans ce récit, au titre énigmatique emprunté à un vers d’Emily Dickinson, Marie Gillet évoque avec une pudeur pas dénuée d’une touche délicate d’humour l’atmosphère familiale pesante et mesquine dans laquelle elle a grandi. Le père, grand lecteur, méprise sa femme qui n’ouvre jamais un livre. Cette mère au foyer pleine de qualités se protège de cette mise au ban sociale et sexiste par une courageuse autodérision.  Petite, Marie tente de trouver sa place et de se faire aimer de son père en se revendiquant lectrice. Lectrice avant même de savoir lire, tout d’abord par une appétence pour les lettres qu’elle pare de significations poétiques : « […] le b, le e et le a s’aimaient d’un amour tendre, ils n’arrêtaient pas de se faire des câlins, étant rarement séparés ; au passage, il était certain que le t et le e étaient mariés. Sans que je sache encore pourquoi, mais j’espérais l’apprendre un jour, le b et le d étaient fâchés puisqu’ils se tournaient le dos […] » (page 64) L’apprentissage de la lecture à l’école comble l’enfant de son goût pour les mots, à défaut de lui accorder la reconnaissance du père et des « siens » (fratrie ? grands-parents paternels ?). De guerre lasse, Marie finit par lire en cachette. Dans Ma vie était un fusil chargé, l’autrice écrit : « Peut-être, du fait de mes fêlures qui sont pour les humains ce que les déchirures sont aux pages des livres, étais-je pour eux comme les livres qu’ils prenaient sur le marché, une enfant d’occasion, pouvant ainsi passer de mains en mains sans risque de détérioration supplémentaire, l’essentiel ayant déjà été détruit […] » (page 61)

Les livres deviennent alors pour Marie une compagnie, et même davantage. Certains livres, de son enfance à sa vie d’adulte, ont joué un rôle salvateur par leur pouvoir de maïeutique. Ils sont arrivés à un moment où elle sombrait et l’ont aidée à comprendre sa vie. Ces livres, elle les nomme « livres-chevaliers », comme ces chevaliers du Moyen-Âge venant sauver les princesses au moment le plus désespéré. Dans son récit, Marie Gillet présente cinq « livres-chevaliers » : Le Journal d’Anne Franck qui lui a permis de prendre conscience que « la vie gagne toujours », Souvenirs pieux de Marguerite Yourcenar, pour oser être soi, Une Année à la campagne de Sue Hubbell, qui lui a dessillé les yeux sur le monde à contempler, Le Silence de la mer de Vercors, où les barbares ne sont pas toujours ceux qu’on croit et Le Comte de Monte-Cristo, en qui Marie Gillet a vu l’image du pardon.

Car ce livre, outre un hymne remarquable aux livres, est aussi un témoignage de résilience et de pardon. Portée par sa foi et nourrie d’Espérance, Marie Gillet a appris, au fil des années, à se libérer de son histoire familiale et pardonner à son père, dit-elle dans une interview : « j’ai reçu une part d’éternité de lui car je suis sa fille. »



[1] Marie GILLET Ma vie était un fusil chargé Comment les livres m’ont sauvé la vie (Les impliqués, 2024)


5 commentaires:

  1. Merci infiniment pour cette recension de mon livre. Je suis touchée par vos mots.

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  2. Tout le plaisir est pour moi. J'ai tellement aimé votre livre et votre interview à la radio. Un livre comme celui-ci, on a envie de le partager!

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  3. Je découvre votre recension via le blog de Marie Gillet. De livre en livre et sur son blog, elle construit une œuvre à la fois personnelle et partageuse qui a beaucoup à nous dire.
    La datcha, que voilà un beau nom pour un blog, j'y reviendrai.

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  4. Tout à fait d'accord avec vous concernant les écrits de Marie Gillet. Et merci à vous, Tania, d'avoir poussé la porte de ma Datcha. Vous êtes la bienvenue.

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  5. Il est temps que Marie soit reconnue comme un écrivain talentueux. Je viens de lire Vercors et Sue Habbel . Le silence de la mer est poignant. Le deuxième délicieux.
    Merci pour votre compte rendu

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