L’on mésestime souvent
les publications des petites maisons d’édition selon un préjugé bien implanté
dans les esprits que la qualité d’un ouvrage serait corrélée à la renommée d’un
éditeur. Les grandes maisons ont pourtant à leur catalogue bon nombre de livres
insipides. Et de belles pépites passent à côté d’une large diffusion. Ma vie
était un fusil chargé[1]
est une de ces pépites ! Dans ce récit, au titre énigmatique emprunté à un
vers d’Emily Dickinson, Marie Gillet évoque avec une pudeur pas dénuée d’une
touche délicate d’humour l’atmosphère familiale pesante et mesquine dans
laquelle elle a grandi. Le père, grand lecteur, méprise sa femme qui n’ouvre
jamais un livre. Cette mère au foyer pleine de qualités se protège de cette
mise au ban sociale et sexiste par une courageuse autodérision. Petite, Marie tente de trouver sa place et de
se faire aimer de son père en se revendiquant lectrice. Lectrice avant même de
savoir lire, tout d’abord par une appétence pour les lettres qu’elle pare de
significations poétiques : « […] le b, le e et le a
s’aimaient d’un amour tendre, ils n’arrêtaient pas de se faire des câlins,
étant rarement séparés ; au passage, il était certain que le t et
le e étaient mariés. Sans que je sache encore pourquoi, mais j’espérais
l’apprendre un jour, le b et le d étaient fâchés puisqu’ils se
tournaient le dos […] » (page 64) L’apprentissage de la lecture à l’école
comble l’enfant de son goût pour les mots, à défaut de lui accorder la
reconnaissance du père et des « siens » (fratrie ?
grands-parents paternels ?). De guerre lasse, Marie finit par lire en
cachette. Dans Ma vie était un fusil chargé, l’autrice
écrit : « Peut-être, du fait de mes fêlures qui sont pour les
humains ce que les déchirures sont aux pages des livres, étais-je pour eux
comme les livres qu’ils prenaient sur le marché, une enfant d’occasion, pouvant
ainsi passer de mains en mains sans risque de détérioration supplémentaire,
l’essentiel ayant déjà été détruit […] » (page 61)
Les livres deviennent
alors pour Marie une compagnie, et même davantage. Certains livres, de son
enfance à sa vie d’adulte, ont joué un rôle salvateur par leur pouvoir de maïeutique.
Ils sont arrivés à un moment où elle sombrait et l’ont aidée à comprendre sa
vie. Ces livres, elle les nomme « livres-chevaliers », comme ces
chevaliers du Moyen-Âge venant sauver les princesses au moment le plus
désespéré. Dans son récit, Marie Gillet présente cinq
« livres-chevaliers » : Le Journal d’Anne Franck qui lui
a permis de prendre conscience que « la vie gagne toujours », Souvenirs
pieux de Marguerite Yourcenar, pour oser être soi, Une Année à la
campagne de Sue Hubbell, qui lui a dessillé les yeux sur le monde à
contempler, Le Silence de la mer de Vercors, où les barbares ne sont pas
toujours ceux qu’on croit et Le Comte de Monte-Cristo, en qui Marie
Gillet a vu l’image du pardon.
Car ce livre, outre un
hymne remarquable aux livres, est aussi un témoignage de résilience et de
pardon. Portée par sa foi et nourrie d’Espérance, Marie Gillet a appris, au fil
des années, à se libérer de son histoire familiale et pardonner à son père,
dit-elle dans une interview : « j’ai reçu une part d’éternité de lui
car je suis sa fille. »
[1] Marie
GILLET Ma vie était un fusil chargé Comment les livres m’ont
sauvé la vie (Les impliqués, 2024)
Merci infiniment pour cette recension de mon livre. Je suis touchée par vos mots.
RépondreSupprimerTout le plaisir est pour moi. J'ai tellement aimé votre livre et votre interview à la radio. Un livre comme celui-ci, on a envie de le partager!
RépondreSupprimerJe découvre votre recension via le blog de Marie Gillet. De livre en livre et sur son blog, elle construit une œuvre à la fois personnelle et partageuse qui a beaucoup à nous dire.
RépondreSupprimerLa datcha, que voilà un beau nom pour un blog, j'y reviendrai.
Tout à fait d'accord avec vous concernant les écrits de Marie Gillet. Et merci à vous, Tania, d'avoir poussé la porte de ma Datcha. Vous êtes la bienvenue.
RépondreSupprimerIl est temps que Marie soit reconnue comme un écrivain talentueux. Je viens de lire Vercors et Sue Habbel . Le silence de la mer est poignant. Le deuxième délicieux.
RépondreSupprimerMerci pour votre compte rendu