mercredi 29 octobre 2025

Haut en couleur

 


                                  Source: site Internet Petits Rêves -Décoration intérieure

 

         Enfant, j’étais fascinée par les nuanciers de catalogues de laine que recevait ma mère. Les dégradés de couleurs, les nuances de verts, de bleus, de roses nourrissaient mon œil gourmand et j’aimais sentir le contact des fibres entre mes doigts pincés. À chaque couleur correspondait un nom évocateur. Si le bleu azur et le jaune citron m’étaient familiers, les couleurs lichen, brouillard, bergamote, safran, amarante, béryl, vif-argent, céladon, tommette, curaçao suscitaient ma curiosité et attisaient mon goût prononcé pour les mots. Mes joies de lectrice doivent beaucoup à l’entreprise Bergère de France, un nom qui est d’ailleurs à lui seul bien suggestif. Comme quoi une vocation de professeur de lettres et d’écrivain peut se nicher dans des détails inattendus. Mon engouement pour le lexique des couleurs n’a point faibli avec les années : Le dico des mots de la couleur[1] et les ouvrages de l’historien Michel Pastoureau ont remplacé les catalogues de laine. Mais il suffit que j’entre dans un magasin de bricolage pour qu’on me retrouve dans le rayon des peintures où happer à loisir mots et carrés colorés. Sans rivaliser ici avec le dictionnaire susnommé, je ne résiste pas à agrémenter cette chronique d’une pléiade de couleurs derrière lesquelles se cachent souvent une personne célèbre comme le rose Pompadour, le bleu Colette ou le bleu Klein, une histoire ou une époque… le prince de turquoise des Aztèques qui nommaient ainsi la couleur du soleil, le désobligeant poil de carotte, l’appétissant vert Chartreuse, le vert-de-gris si tragiquement connoté depuis la seconde guerre mondiale. Associer mots et couleurs, c’est jouer avec les correspondances, ce qui fait qu’un mauve est souvent lilas, un rose profond framboise, un rouge rubis, un marron chocolat. Mais nos ancêtres furent grands pourvoyeurs de noms les plus saugrenus qui soient. Le rose cuisse-de-nymphe émue est célèbre et remonterait au XVIème siècle où l’on était friand de noms étranges pour nommer les couleurs et que le XVIIIème siècle reprendra ad libitum en cette époque où la frivolité vestimentaire atteint son apogée à la cour de Louis XVI. Rose Bertin, la modiste de Marie-Antoinette[2], déclina à l’envi dans ses créations un éventail de couleurs à faire tourner les têtes perruquées de ces dames. À la profusion de tissus qu’offrait le développement de l’industrie textile on associa des couleurs aujourd’hui tombées en désuétude et qui n'eurent de gloire que le temps d’une saison de mode. Ainsi sont passés le bleu dragon de Suède, le bleu prunelle de reine, le bleu véronique, le rose carmélite (!) et des couleurs dont on ignore la teinte : soupir de Vénus, oiseau-de-paradis, péché mortel, agitation momentanée, baise-moi-ma-mignonne, désir marqué, Espagnol malade, ventre de nonnain. Est-ce à croire que sous les belles toilettes la vermine sautait et piquait les chairs pommadées ? Toujours est-il qu’il y eut une période où la jaquette de ces gentilhommes et les robes de ces dames étaient vieille ou jeune puce, dos de puce, intérieur de cuisse de puce ou ventre-de-puce en fièvre de lait ! Un vrai festival de couleurs. Un assujettissement à la mode où les couturières ferraient la vanité des grands. Et il n’est point d’aristocratie sans blasons. L’héraldique a ses couleurs mais c’est là une autre science où je suis bien moins savante. Aussi n’irai-je point me perdre dans les gueules, les sables et les sinoples.  



[1] GUILLEMARD Colette, Le Dico des mots de la couleur Editions Seuil, Collection Les dicos de Point Virgule (1998)

[2] GUENNEC Catherine, La modiste de la reine, éditions Jean-Claude Lattès (2004)


samedi 11 octobre 2025

Lecture et dédicace

   

      Retrouvez-moi mercredi 15 octobre à 18h30 à la librairie Pages d'encre 

                               9 rue des chaudronniers - AMIENS



dimanche 28 septembre 2025

Quand les fous applaudissent

 

        


    La semaine qui vient de s’écouler dans le vaste monde est toujours autant secouée par les atrocités des guerres, des violences de toutes sortes, les vilénies et incivilités. D’une journée de funérailles outre-Atlantique – certes triste car personne ne devrait mourir assassiné pour ses idées, quelles qu’elles soient – à celle d’un procès très médiatisé dans l’hexagone et au-delà, j’ai alors pensé à ces quelques mots qu’Erasme écrivait dans Eloge de la folie[1] et qui sonnaient avec une acuité sans fausse note dans l’air du temps. J’ai recherché dans l’un de mes carnets de notes qui m’accompagnent au jour le jour les mots exacts du philosophe hollandais. Ils pourraient avoir été écrits aujourd’hui : « Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil, de vanité, d’arrogance. Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les applaudissent. » Quand on n’est guère du côté des fous qui applaudissent, quand on n’est pas non plus du côté des langues qui vilipendent, tout contents d’être sur le trottoir d’en face, quand on est juste de ceux qui s’affligent des paroles sans raison, des actes sans moralité, on reste médusés et on va chercher loin, au fond de sa conscience ou de ses prières, de l’optimisme et une espérance pour l’avenir. Et l’on est aussi tenté de refermer les volets de notre maison ou Datcha pour ne pas entendre les rumeurs du monde et savourer un thé avec un bon bouquin.



[1] Erasme, Eloge de la folie (1509)


samedi 20 septembre 2025

Patrimoine de village

 



         Une portion de la route qui me permet de me rendre au collège rural où j’enseigne est actuellement en travaux et la déviation me fait passer par une sinueuse route de campagne laquelle descend dans un vallon, si tant est qu’on puisse attribuer à la Picardie un relief aussi marqué. Champs et pâturages côtoient des bosquets qui, déjà, virent au roux par petites touches dans le vert fatigué et mat des feuillus. Ma voiture entame une descente entre deux rangées d’arbres qui façonnent une allée cavalière à l’orée du parc d’un majestueux château du XVIIIe siècle en face duquel se dressent les murs de briques et pierres d’une ferme qui peut s’enorgueillir d’un imposant pigeonnier en forme de porche, signe patent de la richesse du domaine autrefois. Le village ne manque pas de charme non plus car il a conservé plusieurs longères picardes nichées au fond d’une cour et qu’on aperçoit furtivement lorsque le portail de la grange qui borde la route est ouverte. Façade, pour l’une, en torchis passé à la chaux sur lequel se découpent les boiseries vert vif, comme cela était encore typique dans la région il y a une cinquantaine d’années. Façade, pour l’autre, bardée de planches. Ou encore celle, aux nuances de beige, basse et engoncée dans sa courette, calée en angle droit au mur coquettement restauré de ce qui fut autrefois la porcherie et l’étable.

         Les week-ends du patrimoine mettent à l’honneur monuments privés et publics, demeures d’écrivains et de personnes célèbres. Des villages pittoresques accèdent aux happy few des Plus beaux villages français. Comment ne pas tomber effectivement sous le charme des bourgades alsaciennes, d’un Luberon semé de hameaux restaurés ou d’une poignée de maisons bretonnes recroquevillées sur un petit port où la houle berce des chalutiers ? Les villages picards, à quelques exceptions près, n’ont pas d’unité architecturale. La fragilité du matériau – le torchis –, la saignée des guerres, voire la pauvreté ont signé le déclin et la destruction des fermettes locales.  Le bâti y est hétéroclite, insignifiant mais dans ce bric-à-brac de constructions au milieu duquel l’église a su rester jolie quand elle n’est pas du XIXe ou d’après-guerre, on peut parfois trouver une modeste demeure au charme désuet. Mes trajets quotidiens, ces jours-ci, qui me font sillonner la rue principale de ce village des bords de Noye, m’offrent ces plaisirs fugaces à happer ces traces d’un passé honoré, cet habitat modeste d’hier de la paysannerie laborieuse. Et montent en moi des images de mes maisons d’autrefois, dont celles des arrière-grands-parents: longère aux volets vert sapin, aux tomettes brunes et rideaux de crochet aux fenêtres, vaste maison cossue aux plafonds hauts, au carrelage à damier noir et blanc et manteau de cheminée garni de barbotines et chandeliers. Mes maisons d’hier ou d’aujourd’hui, amicales ou familiales, portent souvent un, deux ou trois siècles sur leurs solives. Nobles ou modestes, elles ont vu passer le laboureur picard, les chasses aristocratiques, le vigneron sancerrois ou le fier Vendéen. Elles ont couvé des joies et des peines. Elles sont pleinement ce patrimoine intime qui ne s’efface pas tout à fait avec le temps, tant que durent les souvenirs.

          

 


mercredi 10 septembre 2025

Ce que deviennent les jours

 



 Ce que deviennent les jours

 

Ce que deviennent les jours

Dans le pressoir du temps

Inexorable

Est-il seulement affaire de mémoire

La battue des heures

Écrase des mottes

Quand on a soufflé la fleur de pissenlit

Il est déjà trop tard

Le passé a les genoux écorchés

On ferait volontiers de petits paquets

D’ecchymoses de larmes de cœur gros

De joies bégnines

De déchirures ou d’amertumes

À caler entre les menus bonheurs

L’odeur des draps propres

Le ronron du vieux frigo

Dans nos anciens matins chocolat chaud

La poussière des craies

Nos soucis d’écoliers

Le tout bien plié

Expédié

Retour à l’envoyeur

Motif

N’habite plus à l’adresse indiquée.

 

Nathalie BONIFACE-MERCIER, Origami, Editions Unicité (2025)


samedi 30 août 2025

Album sans photos

 



Les derniers jours des vacances sont déjà loin et si près à la fois. L’ultime échappée belle s’est nourrie d’images, mais pas de celles qu’on épingle sur les réseaux sociaux. Parce que l’intime ne s’affiche pas. Parce qu’il y a des moments précieux, ténus ou volatiles que l’appareil photo ou le téléphone portable ne capte pas. Mon album des derniers jours d’été loin de chez moi est fait de musique : quelque part dans une petite église en Vendée, les voix magnifiques d’un chœur amateur chantant le Veni Creator, quelque part en Charente, dans le salon d’une maison de famille, une envolée majestueuse au piano d’un morceau de Keith Jarrett. Tournons les pages de mon album. Les couleurs déclinées au soleil levant, au cœur du jour ou au couchant : la prairie et les moutons devant les volets tout juste ouverts, le blanc irradiant de la robe de la mariée, le millefiori des têtes chapeautées, les teintes d’ocre du clocher du village. Il s’échappe des parfums de mon album : celle du foin accablé de chaleur, celle des chemins de terre au petit matin qui innervent la campagne charentaise. Il s’échappe des saveurs : douceurs du cocktail, tomates délicieuses et pêches du jardin, vin grenat savoureux. Mais je garde pour moi et les personnes aimées avec qui j’ai partagé tous ces moments l’essentiel, ce que la photographie ne capte pas, les mots glissés, murmurés, déclamés, chahutés par les rires ou l’émotion. Les mots qui disent de longues histoires, les mots des jeunes, les mots d’une vieille dame née dans cette lointaine et ancienne Indochine, les mots des prières à Notre Seigneur, les mots où l’on se confie, les mots des voix de ceux et celles avec qui j’ai vieilli, de près ou de loin, les mots des voix nouvelles et inconnues avec qui j’ai partagé un fragment de vie, une coupe à la main.

Un album bien garni, bien épais dans mes souvenirs et encore tout plein de pages vierges qui se rempliront au fil des ans.


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