lundi 7 juillet 2025

Au seuil des grandes vacances

 

                                                  


Au seuil des grandes vacances, mon esprit est un méli-mélo de pensées. Se détacher peu à peu de ces visages et personnalités d’élèves qui ont été mon quotidien une année scolaire durant dans cette intimité de connivence et petites tensions. Alors que des images de paysages, de tablées de restaurants ou de maisons d’amis des étés précédents refont surface en moi et qu’un canevas d’images des voyages et découvertes à venir se tisse dans la griserie des envies, se glisse subrepticement un sentiment d’empathie pour quelques-uns de mes élèves qui ne partiront pas en vacances, ne verront ni la mer ni la montagne, n’auront peut-être même pas les joies simples d’une partie de pêche improvisée ou d’une balade à vélo dans la campagne, parce que la toile du web les retient dans ses filets de faux loisirs.

Au seuil des grandes vacances, la maison est à ranger, le jardin à désherber. Le tutu et les chaussons de danse ont rejoint le placard, la scène sous les projecteurs est déjà loin. Le cartable est vidé, le pot de fin d’année déjà passé, jamais le même au gré des départs et pourtant toujours semblable avec notre fatigue lancinante, les couloirs et le réfectoire rendus au silence.

Au seuil des grandes vacances, des chemins de terre se croisent dans ma tête, l’impatience de chausser les chaussures de randonnée. Des chemins d’écriture s’ouvrent à mon cerveau jamais en repos. Reprendre en main la Datcha dont la porte est toujours restée ouverte pour les nombreux de lecteurs venus picorer, leur mettre de nouveaux plats sur la table, de nouveaux bouquets dans les vases. Semer ci et là sur le papier des poèmes. Rouvrir le roman en cours. Prendre note de projets à venir. Contacter les organisateurs de salons, les bibliothèques, les libraires pour la promotion de mon recueil de poèmes Origami.

Au seuil des grandes vacances, savourer l’idée que des recettes à tester pourront être réalisées. Se sentir pousser des ailes de chef étoilé avant de s’accepter modeste gâte-sauce devant la casserole.

Au seuil des vacances, revenir de la campagne après un déjeuner familial et boire des yeux la lumière estivale de fin d’après-midi sur les champs de blé pas encore moissonnés et remuer en soi cette bienfaisante satisfaction d’une année scolaire achevée qui délivre enfin du vague à l’âme du dimanche soir.


mercredi 18 juin 2025

 




Je serai en dédicace au Marché de la poésie, place Saint-Sulpice à Paris, dimanche 22 juin 2025, sur le stand des Edictions Unicité pour la sortie de Origami, mon tout dernier recueil de poésie.


mardi 10 juin 2025

Carmen, enfant de bohème

 



Danse, opéra et littérature sont souvent de connivence. Carmen, bohémienne sans foi ni loi, séductrice impitoyable, cueille les cœurs au gré de ses caprices. Gare à qui se laisse prendre dans ses filets. Qui ne connaît Carmen ? Elle traverse les années, fête ses 180 ans[1] sans prendre une ride. Le 3 mars 1875, elle monte pour la première fois sur scène dans l’opéra de Georges Bizet, opéra le plus joué jusqu’à nos jours. Le 21 février 1949, le chorégraphe Roland Petit signe une flamboyante interprétation, toujours dansée à travers le monde. Je me souviens d’avoir vu, enfant, ce ballet donné au théâtre du Châtelet par la compagnie du Ballet National de Marseille. Un souvenir inoubliable ! La sauvage Carmencita n’a pas fini d’inspirer metteurs en scène et chorégraphes.

Sa célèbre habanera retentira samedi 14 juin 2025 sur la scène de Mégacité à Amiens (20 heures 30).

Elle écartait sa mantille afin de montrer ses épaules et un gros bouquet de cassie qui sortait de sa chemise. Elle avait encore une fleur de cassie dans le coin de la bouche, et elle s’avançait en se balançant sur ses hanches comme une pouliche du haras de Cordoue.[2]



[1] Octobre 1845 : parution de la nouvelle Carmen de Prosper Mérimée dans la Revue des deux mondes.

[2] Carmen, Prosper Mérimée, extrait du chapitre III, page 94 Livre de poche (1996)


vendredi 30 mai 2025

La muse verte a pris la poudre d'escampette

 

Dimanche 1er juin, j’ai la chance et la joie de participer à la clôture du Festival du Rayon Vers, festival de poésie de la région Hauts-de-France, dont les premières pousses et boutures sont à l’initiative des Éditions La Chouette Imprévue. Ce festival, durant tout le printemps, met à l’honneur la poésie par des lectures et spectacles ; tisse des liens entre des poètes français et belges (proximité géographique et linguistique) et les auditeurs, propose des ateliers d’écriture poétique. Grande première cette année, le musée de Picardie, à Amiens, nous ouvre ses portes pour une déambulation entre les œuvres au fil des vers. J’y lirai, l’après-midi, des extraits de L’Engrangeoir mais également d’autres poèmes. Pour l’occasion, j’avais taquiné la muse en musardant dans le musée et mon coup de cœur s’était porté sur un tableau d’Albert Maignan, La Muse verte. Muse séductrice et dévorante puisqu’il s’agit ici de l’absinthe, boisson appréciée des artistes du 19ème siècle mais qui, chez moi, n’a connu que le bout de mon crayon et pas trempé dans mon verre ! Or, hasard du calendrier, le musée prépare une exposition rétrospective sur l’œuvre du peintre Albert Maignan et ma Muse verte a donc pris la poudre d’escampette ! À défaut de pouvoir lire mon poème devant la demoiselle, le voici présenté à la Datcha.

                        La Muse verte  (1895) Albert Maignan, musée de Picardie 


 La muse verte

 

Je suis ta fuite

Ton orgueil

Ta solitude

Quand tu chavires

Vaisseau amer homme défait

Renversé par la lame de tes échecs

Je suis naïade

Je t’ensorcelle, je t’aspire, je t’étreins

Vouivre verte dans ton verre

Je te cède l’insaisissable ivresse

Te murmure des songes

Qui cognent

Je t’efface des horloges

Je suis ton exil des places habitées

Je suis ta douleur d’amour perdu

Je t’embrasse et te caresse

Je serpente en toi

Femme venin

Je me repais de ton abandon

Tu cherches les mots

Tu bâtis des chimères

Qui n’ont point loi de vers

Poète désarmé

Tu ris quand tu voudrais pleurer

Dans le ressac des illusions

Tu crois saisir ton destin

Et me résister

Mais je te voile les yeux

Écharpe d’organdi

Légère mais point volage

Et muse fidèle toujours je reste à tes côtés.

 

Nathalie Boniface-Mercier 

                                                      10 mai 2025

 


dimanche 18 mai 2025

Relecture d'épreuves

 



Au jardin, un couple de mésanges charbonnières virevolte du rosier au nichoir installé cet hiver, sous l’œil averti de Piccolo. Comment concilier mon amour des chats et des oiseaux ? Espérons que l’un n’aura pas la patte trop véloce et que les autres auront le battement d’ailes suffisamment vif.

Au bureau, les relectures multiples des épreuves d’un livre, avant de signer le bon à tirer, me demandent d’avoir des yeux de lynx pour chasser les coquilles plausibles.  En ces moments-là, le livre à venir n’est pas encore concret malgré l’image de couverture proposée par l’éditeur. Maquette. Mirage, presque. L’émotion est toujours là. Mais ce n’est plus la fièvre impatiente des premières fois. On sait attendre. On lit, on relit. Le texte finit par être désincarné. Des lettres, des mots comme des dessins, qui n’admettent pas le moindre écart. Je ne me suis jamais remise d’un de mes livres publiés quelques années plus tôt, truffé de fautes faites par un correcteur automatique d’orthographe - le comble ! -  alors que mon tapuscrit en était indemne. Malgré mon œil sagace et agacé à traquer ces irrévérencieuses bévues, j’en ai laissé filer deux ou trois, fatigue oblige, et de celles que j’avais signalées toutes n’avaient, hélas, pas été corrigées. Quel gâchis ! Un si bel ouvrage (je parle du livre en tant qu’objet), un travail d’écriture si long (plusieurs années de recherches et de rédaction). Mes chères princesses, vous m’avez vue bien désolée. Depuis, j’ai toujours ce pincement au cœur quand un livre est en cours de fabrication, quand bien même, heureusement, il y a des éditeurs très scrupuleux et en qui je peux avoir confiance. Un écrivain doit tant à ses éditeurs ; ils font la pluie et le beau temps sur le champ que l’auteur a longuement labouré et ensemencé.


mardi 6 mai 2025

Lecture féconde

 



Le muguet est déjà fané, les premières roses écloses. Dans cette marche chaotique du monde, la nature suit son bonhomme de chemin, quand la main irrespectueuse de l’homme ne la contrarie pas. Les éditeurs sortent leurs dernières potées qui fleuriront - ou pas - à tous les balcons médiatiques et dans les parterres des réseaux sociaux. Un brassage en continu. Les pollens volent tous azimuts. C’est à ne plus savoir que butiner tant l’offre est pléthorique. Il faut avoir du nez pour ne pas se laisser enivrer par les charlatans du verbe. Et quand lit-on ? Le temps consacré à la lecture ne cesse de décroître. Bien sûr, il y a une éclosion sans pareille ces vingt dernières années de salons du livre, bien sûr le web fourmille de comptes Instagram ou de blogs consacrés à la lecture, bien sûr des portraits d’auteurs s’affichent dans le métro avec la mention Ecrivain préféré(e) des Français (Un peu court, non ? Sommes-nous tous les mêmes Français lecteurs ?), bien sûr les livres se prêtent, se donnent, se revendent, bien sûr tout le monde écrit des livres … mais n’est-ce pas quelque peu un miroir aux alouettes ? Sans verser dans l’élitisme, une étude plus approfondie du lectorat offrirait bien des surprises. Mais les clichés comme les valeurs sont, somme toute, subjectifs et autarciques. Tout se vaut. Si vous n’en êtes pas certain, vous passez pour un rabat-joie ou un snob. Par -formation professionnelle, je suis souvent traversée par ces jugements hâtifs ou mûrement réfléchis, c’est selon; à l’aune de ma propre culture de lectrice ou de mes préjugés, c’est selon. Quoi qu’il en soit, mon regard se fait bien indulgent, à défaut d’être toujours bienveillant, quand il happe, dans le bus, le métro ou les terrasses de café, des quidams le nez dans un livre.

Enseignants, écrivains (ceux qui lisent !), éditeurs, libraires ne cesseront de clamer les bienfaits multiples de la lecture. Même le défunt pape François avait loué les mérites de la littérature dans l’épanouissement individuel de l’humanité dans son discours donné à Rome le 17 juillet 2024 et qui a été édité sous le titre Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation.[1] Si sa réflexion fait le constat que l’étude littéraire n’est pas assez prégnante dans la formation des futurs prêtres et s’il articule démarche spirituelle et sensibilisation à son prochain par la littérature, son propos ne s’arrête pas là.  Sa lettre est un émouvant et subtil plaidoyer en faveur de la lecture : « La littérature a donc à voir, d’une manière ou d’une autre, avec ce que chacun désire de la vie, puisqu’elle entre en relation intime avec son existence concrète, avec ses tensions essentielles, ses désirs et ses significations. » La lecture permet, dit-il en citant Jorge Luis Borges, d’écouter « la voix de quelqu’un ». Et le Saint-Père de rappeler « combien il est dangereux de ne plus écouter la voix de l’autre qui nous interpelle ! » Par la lecture, nous sommes concrètement sollicités : « Le lecteur est ainsi semblable à un joueur sur le terrain : il joue le jeu, mais en même temps le jeu se fait à travers lui, en ce sens qu’il est totalement impliqué dans ce qu’il fait. » Le lecteur est tout autant sujet et objet de sa lecture. « [La lecture] active en nous le pouvoir empathique de l’imagination qui est un véhicule fondamental pour la capacité d’identification au point de vue, à la condition, aux sentiments des autres, sans laquelle il n’y a pas de solidarité, de partage, de compassion, de miséricorde. […] Le regard de la littérature forme le lecteur au décentrement, au sens de la limite, au renoncement à la domination cognitive et critique sur l’expérience, lui apprenant une pauvreté qui est source d’une extraordinaire richesse. En reconnaissant l’inutilité et peut-être même l’impossibilité de réduire le mystère du monde et de l’être humain à une polarité antinomique vrai/faux, ou juste/injuste, le lecteur accepte le devoir de juger non pas comme un instrument de domination mais comme un élan vers une écoute incessante […] »

Admirable sagesse que nous laisse là le défunt pape François.


[1] Editions du Cerf (septembre 2024), 70 pages, 6 euros.


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