Sergio Ferro, exposition Chemins de croix (Prieuré d'Airaines, Somme, juillet 2025)
Lorsque Cécile Kohler a été libérée,
ai-je entendu à la radio, elle a très rapidement demandé du papier pour fixer
les poèmes qu’elle avait écrits mentalement durant sa captivité et qu’elle se répétait
certainement pas tant pour les retenir que pour se sentir encore en vie et résister
à la barbarie. Elle avait demandé à ses geôliers du papier et un crayon, ce qu’on
lui a refusé. L’obscurantisme redoute la
pluralité des savoirs, les mots d’autrui, la beauté et l’humanité que les arts
et la littérature sèment dans les têtes et dans les cœurs. Ses sinistres
adeptes vouent une haine irréversible à tout discours qui échappe à leurs
convictions mortifères.
Certains rescapés des camps de
concentration nazis ont témoigné avoir tenu quotidiennement dans cet enfer par
la force de leurs prières ou des poèmes qui habitaient leur âme.
Tant qu’un être humain garde sa capacité
à penser, rien ni personne ne peut lui ôter les flots de mots, les phrases étendards,
les bribes de paroles des êtres chers gardées en mémoire, le souvenir d’une
scène de roman. Les mots bons, intelligents, jolis pansent. Les mots mauvais sont
le terreau bourbeux du harcèlement et de la haine ; ils blessent ou tuent.
Les mots courageux, lucides, pourfendeurs d'injustices conduisent encore trop souvent les meilleurs
ambassadeurs du verbe – écrivains et journalistes – à la prison quand ils ne sont
pas exécutés.
Je dédie cette chronique à Anna Politkovskaïa[1] et Boualem Sansal[2].
[1] Journaliste
russe, assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou dans le hall de son immeuble.
[2] Ecrivain
franco-algérien incarcéré en Algérie depuis le 16 novembre 2024 et condamné le
27 mars 2025 à cinq ans de prison.



