Source: site Internet Petits Rêves -Décoration intérieure
Enfant, j’étais fascinée par les
nuanciers de catalogues de laine que recevait ma mère. Les dégradés de couleurs,
les nuances de verts, de bleus, de roses nourrissaient mon œil gourmand et j’aimais
sentir le contact des fibres entre mes doigts pincés. À chaque couleur
correspondait un nom évocateur. Si le bleu azur et le jaune citron
m’étaient familiers, les couleurs lichen, brouillard, bergamote,
safran, amarante, béryl, vif-argent, céladon,
tommette, curaçao suscitaient ma curiosité et attisaient mon goût
prononcé pour les mots. Mes joies de lectrice doivent beaucoup à l’entreprise Bergère
de France, un nom qui est d’ailleurs à lui seul bien suggestif. Comme quoi une
vocation de professeur de lettres et d’écrivain peut se nicher dans des détails
inattendus. Mon engouement pour le lexique des couleurs n’a point faibli avec
les années : Le dico des mots de la couleur[1] et les ouvrages de l’historien
Michel Pastoureau ont remplacé les catalogues de laine. Mais il suffit que j’entre
dans un magasin de bricolage pour qu’on me retrouve dans le rayon des peintures
où happer à loisir mots et carrés colorés. Sans rivaliser ici avec le dictionnaire
susnommé, je ne résiste pas à agrémenter cette chronique d’une pléiade de
couleurs derrière lesquelles se cachent souvent une personne célèbre comme le rose
Pompadour, le bleu Colette ou le bleu Klein, une histoire ou
une époque… le prince de turquoise des Aztèques qui nommaient ainsi la
couleur du soleil, le désobligeant poil de carotte, l’appétissant vert
Chartreuse, le vert-de-gris si tragiquement connoté depuis la
seconde guerre mondiale. Associer mots et couleurs, c’est jouer avec les
correspondances, ce qui fait qu’un mauve est souvent lilas, un rose profond
framboise, un rouge rubis, un marron chocolat. Mais nos ancêtres
furent grands pourvoyeurs de noms les plus saugrenus qui soient. Le rose cuisse-de-nymphe
émue est célèbre et remonterait au XVIème siècle où l’on était friand de
noms étranges pour nommer les couleurs et que le XVIIIème siècle reprendra ad
libitum en cette époque où la frivolité vestimentaire atteint son apogée à la
cour de Louis XVI. Rose Bertin, la modiste de Marie-Antoinette[2], déclina à l’envi dans ses
créations un éventail de couleurs à faire tourner les têtes perruquées de ces
dames. À la profusion de tissus qu’offrait le développement de l’industrie
textile on associa des couleurs aujourd’hui tombées en désuétude et qui
n'eurent de gloire que le temps d’une saison de mode. Ainsi sont passés le bleu
dragon de Suède, le bleu prunelle de reine, le bleu véronique,
le rose carmélite (!) et des couleurs dont on ignore la teinte : soupir
de Vénus, oiseau-de-paradis, péché mortel, agitation
momentanée, baise-moi-ma-mignonne, désir marqué, Espagnol
malade, ventre de nonnain. Est-ce à croire que sous les belles
toilettes la vermine sautait et piquait les chairs pommadées ? Toujours est-il
qu’il y eut une période où la jaquette de ces gentilhommes et les robes de ces
dames étaient vieille ou jeune puce, dos de puce, intérieur
de cuisse de puce ou ventre-de-puce en fièvre de lait ! Un vrai
festival de couleurs. Un assujettissement à la mode où les couturières
ferraient la vanité des grands. Et il n’est point d’aristocratie sans blasons.
L’héraldique a ses couleurs mais c’est là une autre science où je suis bien
moins savante. Aussi n’irai-je point me perdre dans les gueules, les sables et
les sinoples.
[1] GUILLEMARD
Colette, Le Dico des mots de la couleur Editions Seuil, Collection Les
dicos de Point Virgule (1998)
[2] GUENNEC
Catherine, La modiste de la reine, éditions Jean-Claude Lattès (2004)



