Saint-Thibault (Cher), mai 2024
En
ce mois de novembre traditionnellement voué à l’attribution des prix
littéraires, je prends volontiers le contrepied en mettant à l’honneur une
petite maison d’édition et un livre qui ne fera pas la une des journaux.
J’avais déjà, dans une chronique datant du 4 juillet dernier, évoqué un coup de
cœur similaire. J’ai acheté La maison de la fontaine[1], par attrait pour les
maisons. La narratrice, âgée, ouvre ce récit autobiographique sur un souvenir
intime : les retrouvailles avec la maison familiale, modeste habitation
d’un village du Périgord, décatie et presque à l’abandon. Elle est venue la
présenter à celui qu’elle ne nomme pas mais qu’elle évoque au cours du livre
avec la pudeur délicate de la femme qui a partagé la vie d’un homme qui n’est
plus. Le couple, qu’on suppose jeune alors, a redonné vie, année après année, à
cette petite maison, soucieux d’abord de lui rendre son modeste éclat, ses
caractéristiques paysannes comme son cantou, avant de la modeler à leur
goût. Maison passeuse de générations et d’histoires, maison de terroir, elle
s’autorise enfin à être autre pour que la lumière et les livres entrent, même
si « Autour de la maison flotte le parfum des mots de l’enfance. Le
mot enclos est de ceux-là, qui porte en lui quelque chose d’antique et
de matriciel. Image peut-être de l’hortus médiéval où croissent les
simples ou du jardin mystique où s’abrite la virginité bleue de Marie. »[2] Le passé ne s’en va pas
vraiment ; la maison reste incarnée dans une famille et un territoire.
Photographies et toponymes sont là pour rappeler à la narratrice son ancrage en
ces lieux. Elle évoque le poids de cette contrée dans sa densité tellurique et
historique, en une réflexion qui me rappelle les écrits de Pierre Bergounioux. « Des
noms comme des litanies du quotidien qui font se lever les lieux – que l’on
appelle si joliment des lieux-dits –, une incantation propitiatoire pour
déjouer l’âpreté du réel, de même qu’un patronyme gravé sur une tombe déjoue l’obscénité
du cadavre enseveli. »[3] Horizon replié, hivers
âpres, terre de préhistoire, de quoi nourrir une enfance rêveuse, réenchantée des
années plus tard par la plume sublime de Laure Catusse, devenue femme et
écrivain.
Le
récit, hommage aux ancêtres de l’auteur, se poursuit dans une facture narrative
classique, l’évocation des aïeux à travers la grande Histoire et l’intime par
le truchement de photographies décrites. Cet album tourné pour nous, lecteurs,
aurait pu lasser ; on ne rejoint pas forcément ces inconnus et ces
anecdotes qui font l’arrière-pays intime d’autrui. Mais le récit de Laure
Catusse offre de délicieuses réflexions sur les pouvoirs de la
photographie : « Je peine à imaginer Madeleine dans le quotidien des
travaux de la ferme. Ils ne sont pas dignes d’entrer dans la mythologie
familiale. Les photographies n’en disent rien non plus, on ne photographie pas
l’ordinaire des jours et l’évidence des tâches matérielles. […] le cliché ne
dit rien de la vie à la campagne en été, il a seulement capturé, comme par
effraction, le tremblement de choses dans le temps[4]. »
[1] Laure
CATUSSE, La maison de la fontaine, Editions Unicité (2022)
[2] Page 10.
[3] Pages 84
- 85
[4] Laure
Catusse cite ici l’écrivain Jean-Christophe Bailly à qui elle fait allusion
dans la même page.