Salon du livre de Chauny (Aisne), juin 2023
Cette semaine, sur un
compte Facebook qui rendait compte d’un salon du livre auquel j’ai participé le
week-end dernier, un internaute avait ce commentaire condescendant :
« Encore un salon où il n’y a que des auteurs auto-édités. », ce qui
n’a pas manqué de soulever maintes récriminations, la mienne y compris. Habituellement, je reste toujours en dehors
des vains débats d’internautes. Quelle mouche m’a alors piquée ? Mon ego
blessé ? Pas faux, avouons-le. Une honorable envie de défendre mes condisciples
de plumes en tout genre ? La question est suffisamment complexe pour que
je m’autorise une troisième chronique dans la Datcha sur les salons du livre.
(Voir chroniques du 29 août 2021 et 4 septembre 2021).
Les manifestations
locales autour du livre, sous forme de salons et festivals, sont aujourd’hui
pléthoriques et le formidable outil de communication qu’est Internet permet
d’assurer une promotion tentaculaire. Beaucoup de petites communes, rurales ou
en périphérie de grandes villes, se targuent désormais d’avoir créé leur salon,
avec plus ou moins de succès. Du côté des organisateurs, c’est bien sûr, un
vaste chantier en amont et un investissement financier non négligeable, souvent
alimenté par des subventions et/ ou du mécénat. Comme ces festivités sont
gratuites pour le visiteur, le gain économique est souvent nul ; l’enjeu
est donc surtout politique et culturel. À échelon local, certes, mais en
corrélation avec le discours national de la défense et la promotion du livre,
impulsé par Emmanuel Macron. Les municipalités qui mettent en place un salon du
livre ont à cœur d’amener le monde du livre aux citoyens qui ne le fréquentent pas
ou peu. Intention tout à fait louable. Et c’est ce sens que des conseils municipaux
proposent un chèque livres aux enfants des écoles, à dépenser lors du salon. Beau cadeau et subtile façon de cibler les
adultes. Mais de quels livres parle-t-on ?
Dans ces petits salons,
indéniablement, les auteurs auto-édités sont nombreux mais, me semble-t-il, pas
majoritaires, même si je constate d’année en année leur présence accrue. Ils
seraient donc les moutons noirs du monde de l’édition ? Honnêtement, si
j’envisage tous les maillons de l’édition, c’est vrai. Un livre auto-édité est
un produit « d’artefact » au même titre qu’un savon au lait de chèvre
ou un pot de miel. N’importe qui peut s’improviser, avec un minimum de
savoir-faire et de sens des affaires, dans ce type d’auto-entreprenariat. Des
sites sur Internet, moyennant finances, permettent en effet de s’offrir de
beaux livres-objets avec des couvertures et jaquettes dignes de grandes maisons
d’éditions. Un mirage séduisant pour qui veut être publié sans passer par les
arcanes du monde éditorial ou parce qu’on n’a pas été retenu – mot
magique – par un éditeur. J’ai bien dit un mirage car ces auteurs
auto-proclamés ne seront jamais, ou quasiment jamais, conviés dans des
librairies pour des séances de dédicaces, de même qu’ils n’ont aucune chance de
voir figurer leur opus à côté des auteurs autorisés. Aussi n’ont-ils que les
salons pour avoir une vraie visibilité. À discuter avec ces auto-édités, je
m’aperçois que la pratique ne semble nullement les gêner parce que leur
motivation première, outre d’être lus, est de ne pas y perdre financièrement.
On m’a déjà rétorqué avec un soupçon de condescendance que je ne touchais que 8
à 12 % de droits d’auteur pour chaque exemplaire vendu alors qu’eux…. Inutile
alors de leur vanter les mérites du métier de libraire et de ces lieux
merveilleux que sont les librairies. Et bien sûr inenvisageable d’aborder avec
eux la délicate question de la qualité du texte. Un auteur auto-publié n’est
pas passé par une forme de censure ou de reconnaissance. Je ne souhaite pour
autant pas trop entrer dans le sujet. À chacun de trouver derrière ma réserve
une forme d’hypocrisie ou de lucidité.
Là où le bât blesse un
peu, c’est de voir de se multiplier ces pratiques de publication dans les
salons. Certes, il y a tout de même de bons ouvrages chez ce type d’auteurs, je
pense surtout aux albums pour enfants, quand le graphisme est le fruit d’un vrai
travail créatif. (Mais l’Intelligence Artificielle tant décriée est vraiment
ici à redouter.) Alors faut-il en vouloir aux organisateurs de salons de
convier ces auteurs ? Sont-ils dupes ou bienveillants ? Il ne me
revient pas de trancher et il y aurait autant de réponses que de salons
organisés. Je conçois la difficulté pour une petite commune d’inviter des
écrivains notoires. L’argent est le nerf de la guerre, pas moins que le nombre
de visiteurs escompté. Et la présence d’un auteur renommé, invité locomotive,
comme cela se fait dans certaines manifestations, éclipse par son aura
médiatique – pas forcément par son talent – les vertueux travailleurs de la
plume, restés dans l’ombre. Dans quel vivier puiser alors sa galerie d’auteurs
invités ? La proximité géographique est le premier critère. Dans le panier
tomberont forcément des auto-publiés mais aussi de méritants écrivains – au
talent plus ou plus avéré (question de goût certes, mais aussi de discernement
de lettré – vaste sujet ! –) publiés chez de modestes éditeurs, lesquels
ne sont pas toujours partenaires avec la librairie en place dans ledit salon. Tout
le monde y laisse un peu des plumes. Mais chacun est toutefois heureux de ces
échanges qui parlent souvent davantage au cœur qu’à la culture. Et c’est pour
cela que les petits salons se doivent d’exister. Bien sûr, il y aurait
néanmoins une vraie question de fond à mettre à plat : comment brasser
davantage les talents pour que ces salons ne deviennent pas de l’entre-soi de
clocher ? Nombre d’auteurs publiés dans de grandes ou moyennes maisons
d’éditions, mais pas célèbres, auraient leur chance à saisir d’être davantage
représentés, dussent-ils laisser de côté leur désappointement de ne vendre en
ces occasions peut-être qu’une dizaine de livres et de côtoyer des
« fabriqueurs » de livres. Ces
salons gagneraient en fréquentation parce que celui qui a le dernier mot reste
le lecteur. Dans ces petits salons, on ne voit guère beaucoup de lecteurs
confirmés et exigeants. Eux ne sont pas dupes.