Quatrième dimanche de l'Avent décembre 2014Premier
dimanche de l’Avent à la datcha. La crèche et les décorations de noël sont
installées. Les quatre bougies, la mèche immaculée, sont dressées dans de
petits pots de verre couleur tilleul. Tout à l’heure, à la nuit tombée, l’une
d’elles sera allumée. Piccolo, le chat, s’est couché sur mes genoux, insensible
au cliquetis du clavier de l’ordinateur. Je pourrais écrire à la main dans un
joli cahier. J’en ai tout une collection. Mais le chat en a décidé autrement.
Il a bon dos, ce chaton ! J’écris bien plus souvent sur écran que sur
papier. Il fut un temps où écrire, pour moi, était autant le plaisir de faire
glisser le crayon sur la page d’un cahier, le bureau face à la fenêtre, que
celui de faire jaillir un monde. C’était l’époque où je n’avais pas
d’ordinateur et que je ne trouvais pas à ma machine à écrire de jeune
enseignante le charme des vieilles Remington ! C’était l’époque encore
plus lointaine – mon adolescence – où je n’aurais pas conçu d’écrire mes
premiers romans autrement qu’à la main, en hommage aux grands auteurs du 19ème
siècle qui peuplaient mon olympe littéraire. Je ne confiais au clavier d’une
machine rapportée par mon père de son bureau – antique bécane à mes yeux car
elle devait dater des années soixante ! – que la version définitive du
roman achevé. Lequel prenait la forme, après agrafage des feuillets, d’un
prototype de livre. Je n’en étais pas encore au photocopiage et à la reliure à
spirale noire pour que mon travail devienne un « manuscrit »
comme on dit dans le métier, en tordant si bien le cou à l’étymologie. Comme
quoi le poncif du livre écrit à la plume ou au stylo est encore bien implanté dans
notre imaginaire collectif.
Me
voilà à écrire sur l’art d’écrire alors que j’avais en tête de vous parler de
gelées blanches. Celles qui ont paré, ces jours-ci, les talus et les jeunes
pousses de blé d’hiver, leur donnant une teinte vert céladon. C’était jeudi
matin. J’avais, à regret, sacrifié le voile de givre sur mon pare-brise. Les
cristaux avaient des motifs comme on en trouvait sur d’anciennes tentures,
entre l’aigrette, la palmette et la feuille d’acanthe. Mais la campagne me
redonnait ce qu’en ville j’avais perdu. Des baies de cynorrhodon coiffées de
blanc dans les haies rabougries qui parsèment modestement ma route. Les
dernières feuilles d’érable, jaunes et dentelées de givre, au détour d’un
bosquet et, enfin, la vallée de la Noye aquarellée de brume d’où émergeait un
clocher au loin, en contrebas du virage emprunté. Un spectacle que seuls les
vrais frimas peuvent offrir et dont je ne me lasse pas chaque année, appréhendé
brièvement parce qu’un voyage en voiture est l’ennemi de la contemplation. La
descente sur le village ramène déjà les yeux à l’ordinaire, au commun des jours
et des hommes. Stop. Cour de ferme en face. Clignotant à gauche. Macadam.
Maisons collées au trottoir. Sortie du village. Ne pas regarder les vestiges en
tôle taguée d’un supermarché désaffecté. Reprendre du service au temple du
beau, de l’inimitable, de l’éphémère dans le lit de la Noye, là où la terre
marécageuse n’a pas été domestiquée, juste quelques arpents de terre libre où
le jonc et les ombelles de carotte sauvage desséchées dans la froidure du matin
sont sertis de blanc, avant d’entrer dans le bourg.