samedi 7 septembre 2024

Inconnue du grand public

 



Hier midi, alors que je quittais le collège, une de mes nouvelles élèves de 3ème court jusqu’à la barrière et me demande, un peu intimidée : « C’est vrai, Madame, que vous avez écrit des livres ? » Je ne suis qu’à moitié surprise et réponds en riant : « Les informations circulent vite ! Qui te l’a dit ? » Et elle, enchantée de m’informer qu’elle le tient de Madame D., son orthophoniste, ajoute, une pointe d’admiration dans la voix : « Alors vous êtes professeur de français et écrivain ! » J’opine de la tête. « Oui, tu vois, c’est un peu comme si j’avais deux métiers ». Et je quitte cette demoiselle, ravie de détenir un scoop sur son enseignante.

Deux métiers ? Il serait prétentieux de parler de profession d’écrivain en ce qui me concerne. Mais j’ai simplifié pour l’adolescente. Que pourrait-elle, à son âge, appréhender de ces nuances ? En montant dans ma voiture, mes pensées focalisent surtout sur ladite Madame D. Une mère d’élève ? La lectrice d’un de mes livres ? Comment les a-t-elle découverts ? Par le bouche-à-oreille ? Un article dans la presse locale ?

         Avec, à ce jour, environ 800 exemplaires vendus de Destins tragiques de princesses[1], je joue toujours dans la cour des petits et reste une inconnue du grand public. C’est un constat lucide. Que les lecteurs de passage à la Datcha voient derrière les mots du dépit, de la résignation ou de l’indifférence, peu importe. Je ne suis quasiment pas « likée » sur les réseaux sociaux. Le profil de mon lectorat n'a pas le virus du petit cœur ou de l’étoile et je ne lui en tiens pas rigueur. Alors quand une Madame D. glisse trois mots sur ma personne, c’est toujours plaisant, je ne le nie pas. Quand une étudiante passionnée de lecture fait la promotion des Princesses sur son compte Instagram et que je découvre son charmant commentaire, je suis ravie. Quand le libraire d’une ville qui n’est pas la mienne me dit avoir vendu une douzaine d’exemplaires en quelques semaines, j’exulte. Un livre édité mène son bonhomme de chemin souvent à l’insu de son auteur, même si une cohorte de « like » sur Facebook et compagnie peut être un indicateur.  Il y a fondamentalement une différence entre un écrivain et un artiste peintre ou sculpteur. Ce dernier cède à l’acheteur un exemplaire unique, il se dépossède de son œuvre. (Je n’aurai jamais pu être une artiste ; je suis trop conservatrice !) Parfois, il connaît l’acheteur ; quasiment toujours, l’intermédiaire et le lieu de la transaction. Pour l’écrivain, la vente de ses livres garde en partie une part de mystère. Où les lecteurs se sont-ils procuré l’ouvrage ? Fruit du hasard, d’une couverture qui leur a fait de l’œil sur l’étal d’un libraire ou recommandation d’un tiers ? Lecture d’un article élogieux dans la presse régionale ou nationale ? À la radio. J’avais eu cette belle promotion pour les Princesses. Je garde une immense gratitude envers le journaliste Thomas de Bergeyck qui m’avait invitée à son émission Place Royale sur RTL Belgique à l’automne 2021. Lecteurs de l’ombre, vous avez toute ma reconnaissance. Et vous mésestimez souvent la solitude de l’auteur ou ses efforts individuels pour assurer, en sus des médias – quand ils ont le mérite de le chroniquer, ce qui est déjà un luxe ! – la visibilité de son livre. Bien sûr, d’aucuns ont davantage de talent ou de bagout pour se mettre en avant. On touche là un autre point que je ne développerai pas dans ces lignes. Il y a des semaisons personnelles discrètes ; d’autres tonitruantes ou intrusives. Mais le travail d’éditeurs impliqués fait aussi beaucoup. Petit clin d’œil en cette page à mon éditeur La Chouette Imprévue qui fait le job avec passion et intelligence pour que les amateurs de poésie accueillent mon Engrangeoir[2].  

        

 

 



[1] Nathalie BONIFACE-MERCIER, Destins tragiques de princesses, Editions Jourdan (2021)

[2] Nathalie BONIFACE-MERCIER, L’Engrangeoir, Editions La Chouette Imprévue (2021)


dimanche 1 septembre 2024

La cloche a sonné

 

                                              Exposition "Les doigts pleins d'encre", La Chaise-Dieu, été 2024*

                                              

Pas d’école sans goûter. Puisque la cloche de la rentrée des classes a sonné, n’oublions pas de glisser une friandise dans le cartable. Ah comme l’attente de la récré est longue ! Le cours n’en finit pas !  (* Toute ressemblance avec un élève inattentif est à chercher dans la classe du maître Robert Doisneau)

« Lorsqu’on demande autour de soi ce qui vient à l’esprit en entendant le mot « goûter », l’interpellé dit d’abord : « Quatre heures. La récréation de quatre heures. » Même ces enfants qu’il fallait tour à tour supplier et menacer pour les faire manger sourient. Aussi bien était-ce le seul repas où ils avaient appétit. […] Quant à moi, j’emportais mon quatre-heures dans un sac de papier brun décoré d’une coupe de fruits dont les rouges et les jaunes d’être imprimés sur un fond bistre prenaient une teinte de de fleurs séchées. D’habitude il s’agissait de pain et d’une bille de chocolat. Dans ces cas-là, je n’y touchais pas avant l’heure. Mais quand le pain était accompagné d’une bouchée, d’un « rocher », la gourmandise me la faisait grignoter, miette par miette, sur le chemin de l’école. Il me restait le pain sec pour la récréation. […] Les jeux de quatre heures en étaient plus doux, on s’y disputait moins, les discussions sur les règles étaient moins âpres. Comment ce que l’on achevait de mâcher en allant à cloche-pied de la Terre au Ciel n’aurait-il pas eu un goût unique ? Comment le dessin d’une marelle ne remplirait-il pas la bouche d’un chocolat sans égal ? »[1]




[1] Marie ROUANET, Mémoires du goût, Albin-Michel (2004)


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