Hier
midi, alors que je quittais le collège, une de mes nouvelles élèves de 3ème
court jusqu’à la barrière et me demande, un peu intimidée : « C’est
vrai, Madame, que vous avez écrit des livres ? » Je ne suis qu’à
moitié surprise et réponds en riant : « Les informations circulent
vite ! Qui te l’a dit ? » Et elle, enchantée de m’informer
qu’elle le tient de Madame D., son orthophoniste, ajoute, une pointe
d’admiration dans la voix : « Alors vous êtes professeur de
français et écrivain ! » J’opine de la tête. « Oui, tu vois,
c’est un peu comme si j’avais deux métiers ». Et je quitte cette
demoiselle, ravie de détenir un scoop sur son enseignante.
Deux
métiers ? Il serait prétentieux de parler de profession d’écrivain en ce
qui me concerne. Mais j’ai simplifié pour l’adolescente. Que pourrait-elle, à
son âge, appréhender de ces nuances ? En montant dans ma voiture, mes
pensées focalisent surtout sur ladite Madame D. Une mère d’élève ? La lectrice
d’un de mes livres ? Comment les a-t-elle découverts ? Par le
bouche-à-oreille ? Un article dans la presse locale ?
Avec, à ce jour, environ 800
exemplaires vendus de Destins tragiques de princesses[1],
je joue toujours dans la cour des petits et reste une inconnue du grand public.
C’est un constat lucide. Que les lecteurs de passage à la Datcha voient
derrière les mots du dépit, de la résignation ou de l’indifférence, peu
importe. Je ne suis quasiment pas « likée » sur les réseaux sociaux.
Le profil de mon lectorat n'a pas le virus du petit cœur ou de l’étoile et je
ne lui en tiens pas rigueur. Alors quand une Madame D. glisse trois mots sur
ma personne, c’est toujours plaisant, je ne le nie pas. Quand une étudiante
passionnée de lecture fait la promotion des Princesses sur son compte
Instagram et que je découvre son charmant commentaire, je suis ravie. Quand le
libraire d’une ville qui n’est pas la mienne me dit avoir vendu une douzaine
d’exemplaires en quelques semaines, j’exulte. Un livre édité mène son bonhomme
de chemin souvent à l’insu de son auteur, même si une cohorte de
« like » sur Facebook et compagnie peut être un indicateur. Il y a fondamentalement une différence entre
un écrivain et un artiste peintre ou sculpteur. Ce dernier cède à l’acheteur un
exemplaire unique, il se dépossède de son œuvre. (Je n’aurai jamais pu être une
artiste ; je suis trop conservatrice !) Parfois, il connaît
l’acheteur ; quasiment toujours, l’intermédiaire et le lieu de la
transaction. Pour l’écrivain, la vente de ses livres garde en partie une part
de mystère. Où les lecteurs se sont-ils procuré l’ouvrage ? Fruit du
hasard, d’une couverture qui leur a fait de l’œil sur l’étal d’un libraire ou
recommandation d’un tiers ? Lecture d’un article élogieux dans la presse
régionale ou nationale ? À la radio. J’avais eu cette belle promotion
pour les Princesses. Je garde une immense gratitude envers le journaliste
Thomas de Bergeyck qui m’avait invitée à son émission Place Royale sur
RTL Belgique à l’automne 2021. Lecteurs de l’ombre, vous avez toute ma
reconnaissance. Et vous mésestimez souvent la solitude de l’auteur ou ses
efforts individuels pour assurer, en sus des médias – quand ils ont le mérite
de le chroniquer, ce qui est déjà un luxe ! – la visibilité de son livre. Bien
sûr, d’aucuns ont davantage de talent ou de bagout pour se mettre en avant. On
touche là un autre point que je ne développerai pas dans ces lignes. Il y a des
semaisons personnelles discrètes ; d’autres tonitruantes ou intrusives.
Mais le travail d’éditeurs impliqués fait aussi beaucoup. Petit clin d’œil en
cette page à mon éditeur La Chouette Imprévue qui fait le job avec passion et
intelligence pour que les amateurs de poésie accueillent mon Engrangeoir[2].
[1] Nathalie
BONIFACE-MERCIER, Destins tragiques de princesses, Editions Jourdan (2021)
[2] Nathalie
BONIFACE-MERCIER, L’Engrangeoir, Editions La Chouette Imprévue (2021)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire