Mycènes Source Internet : site Grèce bleue. net
Par une froide après-midi picarde aux relents d’hiver, on rêve volontiers de voyage sous des cieux cléments. Et il suffit de peu pour voyager. Un fauteuil confortable et un bon livre. En quelques pages tournées, me voilà en Grèce. C’est un pays où je ne suis jamais allée. Mais les bons livres ont ce pouvoir de concurrencer les lignes aériennes si prisées de nos contemporains. Avec Michel Déon, je viens d’accoster dans le port de l’île de Spetsai (Spetses en grec moderne), dans le golfe de Nauplie (également appelé golfe argolique). L’écrivain y loua une maison de janvier à mai 1960 ; il relate sa vie quotidienne au contact des habitants et au gré de ses découvertes de sites antiques du Péloponnèse, tels que Mycènes, à une époque tranquille, loin des hordes de touristes. Outre le style savoureux de l’auteur, c’est aussi le témoignage personnel et désuet qui me fascine. Loin des images léchées et standardisées pour touristes d’aujourd’hui. Ce n’est pas mon premier voyage littéraire en Grèce. Homère, bien sûr ! Mais, plus près de nous, Jacques Lacarrière, et, Andrée Ferrier-Mayen – inconnue du grand public –, dont le récit autobiographique La Terrasse me fit délicieusement voyager.
Être
en Grèce avec Michel Déon, c’est respirer les parfums : « C’est le
soir seulement que monte vers la terrasse l’odeur fraîche du citronnier chargé
de fruits. Le jour, l’île sent le thym et la menthe. » Et l’on
sentirait presque la mer sur les loques du vieux marin Spiro, lequel ne change
pas de pantalon au grand dam de sa fille, parce qu’il va voir « son
camarade Michel » qui sait qu’il « est pauvre ». On hume
le parfum de l’anis au café où l’on sirote l’ouzo, celui des calamars grillés
et de bien d’autres mets qui ponctuent le récit car l’écrivain fait honneur aux
repas de ses nouveaux amis, notamment aux grandes fêtes chrétiennes. Les femmes
sont courageuses, les hommes, indolents. On marmonne parfois du français, de l’anglais
ou de l’espagnol, remâché de vieux souvenirs pour qui s’est exilé un temps. L’eau
clapote sur la coque des caïques. Le petit port est un théâtre des destins. On
y croise Maïa, la milliardaire, qui revient au pays, offre de la viande aux
pauvres et joue aux cartes dans les café, Phil M., peintre américain neurasthénique
qui ne peint que des phallus, Michaelis qui « souffre d’une affection
chronique : une inguérissable inappétence au travail.», le môme Vangeli,
marchand de cacahuètes et d’amuse-gueule quand il n’est pas cireur de
chaussures ou porteur de bagages, as de la filouterie pour ne pas donner à son
ivrogne de père la recette du jour, Madame Bouboulis, « marquise de Grand-Air » qui
se promène en fiacre à heure fixe, le coiffeur Panayotis, grandiloquant dans ses hommages « Ah !
La France ! Cyrano de Balzac ! » et l’homme de lettres
Jacques Chardonne, ami de Déon, venu séjourner là pour aérer ses aigreurs de
mari désenchanté.
Déon
lit Thrássos Castanakis et Nikos Kazantzakis. Il arpente les antiques
cités : Mycènes, Kiladia et l’île d’Hydra.
« Au passage, nous nous
sommes arrêtés de nouveau à Mycènes. Il y pleuvait et, plus que jamais, l’étrange
place forte se confondait avec sa toile de fond. Il a fallu arriver le nez
dessus pour que les murailles se détachent de l’ensemble, que le relief se
révèle et que la porte des Lionnes découpe, soudain, une échancrure dans le
ciel gris, zébré d’éclairs. Il tonnait à ébranler le monde. Un fracas assourdissant
roulait sur le flanc des deux falaises de granit qui encadrent Mycènes. Les
Erinnyes broutantes avaient disparu, avalées par des grottes, cachées peut-être
dans l’infernal escalier de Perséia dont la descente de quelques marches suffit
à glacer d’angoisse. La pierre et la terre fumaient. Au fond des tombeaux d’Agamemnon,
d’Electre et de la malheureuse Cassandre, croupissait une eau brune. Pas une
âme. C’était la solitude, le désert, la malédiction retrouvée comme si certains
crimes, dépassant la mesure humaine, ne relevaient plus que de l’éternelle
vengeance immanente. » (Extrait du chapitre Nauplie, 3 mars)
Honnêtement,
comment avoir envie de visiter Mycènes sous un ciel de plomb, envahie de
touristes souriant pour un selfie grossièrement calé sous la coupole de la
tombe de Clytemnestre (certes jamais enterrée là) et qui se contrefichent de
savoir pourquoi ladite reine a du sang sur les mains ? Mycènes, sous la plume de Michel Déon, vit
encore de l’implacable fatum.
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