J’évoquais dans ma dernière chronique
le poète anglais William Wordsworth. J’ai une affection particulière pour cet
homme, que je dois à son goût pour la marche. Rien de bien original que d’aimer
marcher dans la nature à notre époque où la randonnée et le pèlerinage pour Saint-Jacques
ont le vent en poupe et que se multiplient les ouvrages consacrés à ces
pratiques. J’ai d’ailleurs moi-même rédigé mon pèlerinage sur la Via Podiensis
dans Le Chemin des veilleurs. Carnets d’une pèlerine sur le chemin de
Compostelle (Editions Unicité 2017)
Né
en 1770, Wordsworth fut un des précurseurs en son pays et en Europe de la
marche pour elle-même et pour admirer la nature. Jusqu’à la fin du 18e
siècle, sillonner les routes à pied n’était pas sans danger – on pouvait se
faire détrousser – et stigmatisait l’individu dans son statut social. L’homme qui marchait était le pauvre, un
vagabond ou un journalier. Et la pratique du pèlerinage jacquaire, si vivace au
Moyen-âge, était quelque peu tombée en désuétude, les guerres en Europe ayant
rendu le territoire peu sûr.
Ce
que la tante de William Wordsworth appelle des « divagations à pied dans
la campagne » est une nécessité naturelle pour le jeune poète et sa sœur
Dorothy, qui l’accompagne souvent dans ses pérégrinations. Sans l’équipement
des sportifs d’aujourd’hui, William et Dorothy sont de bons marcheurs qui
forcent l’admiration. En plein hiver, ils marchèrent quotidiennement entre
vingt et trente kilomètres durant quatre jours dans la région montagneuse de la
chaîne Pennine au nord de l’Angleterre. Marcher sans autre but que la
contemplation du paysage est revendiquée par Wordsworth à une époque où les
jardins des aristocrates anglais concurrencent la nature sauvage et sont le
territoire privilégié, privatif d’une catégorie sociale qui arpente ses terres
par désœuvrement. Cette déambulation est érigée en art de vivre. La gentry
s’affirme dans son sentiment d’évidente supériorité, son statut social étant
« naturel », à l’image des jardins paysagers de ses châteaux et
manoirs. Pour le poète, issu du peuple, marcher est une façon d’être, sans
subir les désagréments d’une vie agitée, au point que ses détracteurs ont vu en
lui un individu trop centré sur lui-même. C’est oublier combien la marche
permit à Wordsworth de côtoyer l’humaine condition et notamment les plus
déshérités. Si les chemins ont nourri sa poésie (« Il compose généralement
ses vers dehors » écrit sa sœur à une amie), ils forgèrent aussi sa
conscience politique de démocrate.
Sans
qu’ils puissent être complètement comparés, Wordsworth n’est pas sans rappeler
Jean-Jacques Rousseau. Ils attachaient tous deux la même vertu à l’appel des
grands chemins. Mais cette dilection pour l’excursion dans la nature va de
pair, pour Wordsworth, avec l’émergence du Romantisme en Europe.
Wordsworth
a inspiré d’autres poètes parmi ses compatriotes et contemporains comme Samuel Coleridge
et Thomas de Quincey. Ce dernier avait d’ailleurs déclaré au sujet de
Wordsworth : « [ses jambes] n’étaient pas affligées d’une difformité
rédhibitoire ; c’étaient à n’en pas douter des jambes serviables
[…] »[1]
[1] Extrait
de A history of walking Rebecca SOLNIT (2000), paru en 2002 aux éditions
Actes Sud sous le titre L’Art de marcher.
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