samedi 26 mars 2022

Le plaisir de marcher

 




            J’évoquais dans ma dernière chronique le poète anglais William Wordsworth. J’ai une affection particulière pour cet homme, que je dois à son goût pour la marche. Rien de bien original que d’aimer marcher dans la nature à notre époque où la randonnée et le pèlerinage pour Saint-Jacques ont le vent en poupe et que se multiplient les ouvrages consacrés à ces pratiques. J’ai d’ailleurs moi-même rédigé mon pèlerinage sur la Via Podiensis dans Le Chemin des veilleurs. Carnets d’une pèlerine sur le chemin de Compostelle (Editions Unicité 2017)

            Né en 1770, Wordsworth fut un des précurseurs en son pays et en Europe de la marche pour elle-même et pour admirer la nature. Jusqu’à la fin du 18e siècle, sillonner les routes à pied n’était pas sans danger – on pouvait se faire détrousser – et stigmatisait l’individu dans son statut social.  L’homme qui marchait était le pauvre, un vagabond ou un journalier. Et la pratique du pèlerinage jacquaire, si vivace au Moyen-âge, était quelque peu tombée en désuétude, les guerres en Europe ayant rendu le territoire peu sûr.

            Ce que la tante de William Wordsworth appelle des « divagations à pied dans la campagne » est une nécessité naturelle pour le jeune poète et sa sœur Dorothy, qui l’accompagne souvent dans ses pérégrinations. Sans l’équipement des sportifs d’aujourd’hui, William et Dorothy sont de bons marcheurs qui forcent l’admiration. En plein hiver, ils marchèrent quotidiennement entre vingt et trente kilomètres durant quatre jours dans la région montagneuse de la chaîne Pennine au nord de l’Angleterre. Marcher sans autre but que la contemplation du paysage est revendiquée par Wordsworth à une époque où les jardins des aristocrates anglais concurrencent la nature sauvage et sont le territoire privilégié, privatif d’une catégorie sociale qui arpente ses terres par désœuvrement. Cette déambulation est érigée en art de vivre. La gentry s’affirme dans son sentiment d’évidente supériorité, son statut social étant « naturel », à l’image des jardins paysagers de ses châteaux et manoirs. Pour le poète, issu du peuple, marcher est une façon d’être, sans subir les désagréments d’une vie agitée, au point que ses détracteurs ont vu en lui un individu trop centré sur lui-même. C’est oublier combien la marche permit à Wordsworth de côtoyer l’humaine condition et notamment les plus déshérités. Si les chemins ont nourri sa poésie (« Il compose généralement ses vers dehors » écrit sa sœur à une amie), ils forgèrent aussi sa conscience politique de démocrate.

            Sans qu’ils puissent être complètement comparés, Wordsworth n’est pas sans rappeler Jean-Jacques Rousseau. Ils attachaient tous deux la même vertu à l’appel des grands chemins. Mais cette dilection pour l’excursion dans la nature va de pair, pour Wordsworth, avec l’émergence du Romantisme en Europe.

            Wordsworth a inspiré d’autres poètes parmi ses compatriotes et contemporains comme Samuel Coleridge et Thomas de Quincey. Ce dernier avait d’ailleurs déclaré au sujet de Wordsworth : « [ses jambes] n’étaient pas affligées d’une difformité rédhibitoire ; c’étaient à n’en pas douter des jambes serviables […] »[1]



[1] Extrait de A history of walking Rebecca SOLNIT (2000), paru en 2002 aux éditions Actes Sud sous le titre L’Art de marcher.

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