Parmi les premières fleurs de mars, les jonquilles foisonnent dans les jardins et les parterres. Leurs corolles jaune vif repoussent la grisaille de l’hiver. Elles éclosent, généreuses, insensibles aux derniers frimas, aux giboulées, aux écarts de température fréquents. Chaque année, je guette leur floraison et me réjouis de cet éclat de couleur soudain flagrant, fidèle et immanquable partout où mes yeux fouineurs savent les trouver. Ces fleurs ont une vitalité altière. Elles se démultiplient. Elles sont des vivaces indépendantes. Elles s’imposent. Chaque année, à leur floraison, j’ai une pensée émue pour William Wordsworth et ses « golden daffodils. »
J’allais solitaire ainsi qu’un nuage
Qui plane au-dessus des vaux et des
monts
Quand soudain je vis en foule – ô
mirage ! –
Des jonquilles d’or, une
légion !
A côté du lac, sous les branches
grises,
Flottant et dansant gaiement à la
brise.
Serrées comme sont au ciel les
étoiles
Qu’on voit scintiller sur la Voie
lactée,
Elles s’étendaient sans un
intervalle
Le long du rivage au creux d’une
baie :
J’en vis d’un coup d’œil des
milliers, je pense,
Agitant la tête en leur folle danse.
Les vagues dansaient, pleines
d’étincelles,
Mais elles dansaient plus
allégrement ;
Pouvais-je rester, poète, auprès
d’elles
Sans être gagné par leur enjouement ?
L’œil fixe – ébloui –, je ne
songeais guère
Au riche présent qui m’était
offert :
Car si je repose, absent ou songeur,
Souvent leur vision, ô
béatitude !
Vient illuminer l’œil intérieur
Qui fait le bonheur de la
solitude ;
Et mon cœur alors, débordant,
pétille
De plaisir et danse avec les
jonquilles.
William
WORDSWORTH Traduction de François-René Daillie Poésie Gallimard 2001
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