Du
7 novembre 1858 au 7 février 1859, Alexandre Dumas effectuait un voyage riche
en aventures à travers le Caucase. Ce récit parfois rocambolesque, plein de
rebondissements, est à mille lieux des treks d’aujourd’hui. Bienvenue au pays
des coupe-gorge ou des coupe-mains ! La Géorgie de la fin du 19ème
siècle est alors une mosaïque culturelle d’une douzaine de peuples, parmi
lesquels les Abkhazes, les Tatars, les Tcherkesses, les Ossètes, les
Tchétchènes et Les Lesghiens. Sans compter les Arméniens. Tout ce petit monde,
que la langue, les mœurs et les implantations territoriales séparent, se voue
parfois une haine tenace, au milieu desquels les Cosaques maintiennent tant
bien que mal l’ordre par la force. « Il est plus aisé de tuer des
hommes que de faire leur éducation : pour les tuer, il ne faut que de la
poudre et du plomb ; pour les instruire, il faut une certaine philosophie
sociale qui n’est point à la portée de tous les gouvernements. »
note Dumas (Page 300). En ces contrées si promptes à guerroyer, notre écrivain,
excellent chasseur, n’exclue pas de tâter du fusil si l’occasion se présente.
Voyager, c’est aussi sauver sa peau.
Dumas
nous entraîne en tarantass inconfortable à travers les steppes, le fleuve
Terek, des gorges escarpées, des monts au sommet desquels des aouls – villages
fortifiés tchétchènes – semblent en suspens sur la falaise. « Nulle part
comme au sommet du Karanaï on ne peut voir ce prodigieux bouleversement, cette
dévastation inouïe que présente la chaîne du Caucase. Aucun pays du monde
n’a été plus tourmenté par des soulèvements volcaniques que le Daghestan :
les montagnes semblent, comme les hommes, déchirées par une lutte incessante et
acharnée. […] Nous restâmes une heure à peu près au sommet du Karanaï. J’avais
fini par m’habituer peu à peu à cette splendide horreur et j’avouai avec
Bragation que, ni du haut du Faulhorn, ni du haut du Righi, ni du haut de l’Etna,
ni du haut du pic de Gavarnie, je n’avais rien vu de pareil. » (Page
124) Il traverse des villes, visite
mosquées et bazars, dort en des palais où les princes lui offrent des armes,
dîne à la française chez des gouverneurs de bourgs où l’on cause des
derniers succès littéraires dans la langue de Molière sous des lustres en
cristal tandis que la nuit noire, dans les rues au-dehors, se fait l’alliée des
coupeurs de gorge et des kidnappeurs. Il découvre des villes portuaires : Bakou, sur la mer Caspienne, Trébizonde,
Batoum sur la mer Noire.
Dumas
dort dans des auberges insalubres n’ayant de lits que des bancs, y savoure
des chachliks de mouton aux côtés de buveurs pour qui douze bouteilles ne sont
que peu, quand il ne cuisine pas lui-même un coq acheté en route ou la
sauvagine tombée sous ses tirs. Il entend des histoires de princesses enlevées
par des Tatars, des exploits héroïques d’officiers cosaques, de Lesghiens qui
clouent à la porte de leur maison la main droite de leur
ennemi.
Il
chevauche des chevaux fougueux, se perd dans la neige, traverse des rivières glacées.
Sa fatigue le trouble à peine. Homme vigoureux et travailleur acharné, il rédige
son carnet de voyage au gré de ses étapes. « La neige tombait à
flots. Je me mis à travailler. J’écrivais tout courant mon voyage au Caucase
et, contre toute contrariété, le travail est une grande ressource. (Page
312) J’ai subi bien des privations dans mon voyage, j’ai manqué de tout
quelquefois, même de pain. Eh bien ! la privation la plus difficile à
supporter pour moi a toujours été celle du travail. » (Page
324)
La
rédaction de ce carnet va si bon train que le livre est publié le 10 mars 1859, sitôt le retour d’Alexandre Dumas
à Paris.