vendredi 30 mai 2025

La muse verte a pris la poudre d'escampette

 

Dimanche 1er juin, j’ai la chance et la joie de participer à la clôture du Festival du Rayon Vers, festival de poésie de la région Hauts-de-France, dont les premières pousses et boutures sont à l’initiative des Éditions La Chouette Imprévue. Ce festival, durant tout le printemps, met à l’honneur la poésie par des lectures et spectacles ; tisse des liens entre des poètes français et belges (proximité géographique et linguistique) et les auditeurs, propose des ateliers d’écriture poétique. Grande première cette année, le musée de Picardie, à Amiens, nous ouvre ses portes pour une déambulation entre les œuvres au fil des vers. J’y lirai, l’après-midi, des extraits de L’Engrangeoir mais également d’autres poèmes. Pour l’occasion, j’avais taquiné la muse en musardant dans le musée et mon coup de cœur s’était porté sur un tableau d’Albert Maignan, La Muse verte. Muse séductrice et dévorante puisqu’il s’agit ici de l’absinthe, boisson appréciée des artistes du 19ème siècle mais qui, chez moi, n’a connu que le bout de mon crayon et pas trempé dans mon verre ! Or, hasard du calendrier, le musée prépare une exposition rétrospective sur l’œuvre du peintre Albert Maignan et ma Muse verte a donc pris la poudre d’escampette ! À défaut de pouvoir lire mon poème devant la demoiselle, le voici présenté à la Datcha.

                        La Muse verte  (1895) Albert Maignan, musée de Picardie 


 La muse verte

 

Je suis ta fuite

Ton orgueil

Ta solitude

Quand tu chavires

Vaisseau amer homme défait

Renversé par la lame de tes échecs

Je suis naïade

Je t’ensorcelle, je t’aspire, je t’étreins

Vouivre verte dans ton verre

Je te cède l’insaisissable ivresse

Te murmure des songes

Qui cognent

Je t’efface des horloges

Je suis ton exil des places habitées

Je suis ta douleur d’amour perdu

Je t’embrasse et te caresse

Je serpente en toi

Femme venin

Je me repais de ton abandon

Tu cherches les mots

Tu bâtis des chimères

Qui n’ont point loi de vers

Poète désarmé

Tu ris quand tu voudrais pleurer

Dans le ressac des illusions

Tu crois saisir ton destin

Et me résister

Mais je te voile les yeux

Écharpe d’organdi

Légère mais point volage

Et muse fidèle toujours je reste à tes côtés.

 

Nathalie Boniface-Mercier 

                                                      10 mai 2025

 


dimanche 18 mai 2025

Relecture d'épreuves

 



Au jardin, un couple de mésanges charbonnières virevolte du rosier au nichoir installé cet hiver, sous l’œil averti de Piccolo. Comment concilier mon amour des chats et des oiseaux ? Espérons que l’un n’aura pas la patte trop véloce et que les autres auront le battement d’ailes suffisamment vif.

Au bureau, les relectures multiples des épreuves d’un livre, avant de signer le bon à tirer, me demandent d’avoir des yeux de lynx pour chasser les coquilles plausibles.  En ces moments-là, le livre à venir n’est pas encore concret malgré l’image de couverture proposée par l’éditeur. Maquette. Mirage, presque. L’émotion est toujours là. Mais ce n’est plus la fièvre impatiente des premières fois. On sait attendre. On lit, on relit. Le texte finit par être désincarné. Des lettres, des mots comme des dessins, qui n’admettent pas le moindre écart. Je ne me suis jamais remise d’un de mes livres publiés quelques années plus tôt, truffé de fautes faites par un correcteur automatique d’orthographe - le comble ! -  alors que mon tapuscrit en était indemne. Malgré mon œil sagace et agacé à traquer ces irrévérencieuses bévues, j’en ai laissé filer deux ou trois, fatigue oblige, et de celles que j’avais signalées toutes n’avaient, hélas, pas été corrigées. Quel gâchis ! Un si bel ouvrage (je parle du livre en tant qu’objet), un travail d’écriture si long (plusieurs années de recherches et de rédaction). Mes chères princesses, vous m’avez vue bien désolée. Depuis, j’ai toujours ce pincement au cœur quand un livre est en cours de fabrication, quand bien même, heureusement, il y a des éditeurs très scrupuleux et en qui je peux avoir confiance. Un écrivain doit tant à ses éditeurs ; ils font la pluie et le beau temps sur le champ que l’auteur a longuement labouré et ensemencé.


mardi 6 mai 2025

Lecture féconde

 



Le muguet est déjà fané, les premières roses écloses. Dans cette marche chaotique du monde, la nature suit son bonhomme de chemin, quand la main irrespectueuse de l’homme ne la contrarie pas. Les éditeurs sortent leurs dernières potées qui fleuriront - ou pas - à tous les balcons médiatiques et dans les parterres des réseaux sociaux. Un brassage en continu. Les pollens volent tous azimuts. C’est à ne plus savoir que butiner tant l’offre est pléthorique. Il faut avoir du nez pour ne pas se laisser enivrer par les charlatans du verbe. Et quand lit-on ? Le temps consacré à la lecture ne cesse de décroître. Bien sûr, il y a une éclosion sans pareille ces vingt dernières années de salons du livre, bien sûr le web fourmille de comptes Instagram ou de blogs consacrés à la lecture, bien sûr des portraits d’auteurs s’affichent dans le métro avec la mention Ecrivain préféré(e) des Français (Un peu court, non ? Sommes-nous tous les mêmes Français lecteurs ?), bien sûr les livres se prêtent, se donnent, se revendent, bien sûr tout le monde écrit des livres … mais n’est-ce pas quelque peu un miroir aux alouettes ? Sans verser dans l’élitisme, une étude plus approfondie du lectorat offrirait bien des surprises. Mais les clichés comme les valeurs sont, somme toute, subjectifs et autarciques. Tout se vaut. Si vous n’en êtes pas certain, vous passez pour un rabat-joie ou un snob. Par -formation professionnelle, je suis souvent traversée par ces jugements hâtifs ou mûrement réfléchis, c’est selon; à l’aune de ma propre culture de lectrice ou de mes préjugés, c’est selon. Quoi qu’il en soit, mon regard se fait bien indulgent, à défaut d’être toujours bienveillant, quand il happe, dans le bus, le métro ou les terrasses de café, des quidams le nez dans un livre.

Enseignants, écrivains (ceux qui lisent !), éditeurs, libraires ne cesseront de clamer les bienfaits multiples de la lecture. Même le défunt pape François avait loué les mérites de la littérature dans l’épanouissement individuel de l’humanité dans son discours donné à Rome le 17 juillet 2024 et qui a été édité sous le titre Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation.[1] Si sa réflexion fait le constat que l’étude littéraire n’est pas assez prégnante dans la formation des futurs prêtres et s’il articule démarche spirituelle et sensibilisation à son prochain par la littérature, son propos ne s’arrête pas là.  Sa lettre est un émouvant et subtil plaidoyer en faveur de la lecture : « La littérature a donc à voir, d’une manière ou d’une autre, avec ce que chacun désire de la vie, puisqu’elle entre en relation intime avec son existence concrète, avec ses tensions essentielles, ses désirs et ses significations. » La lecture permet, dit-il en citant Jorge Luis Borges, d’écouter « la voix de quelqu’un ». Et le Saint-Père de rappeler « combien il est dangereux de ne plus écouter la voix de l’autre qui nous interpelle ! » Par la lecture, nous sommes concrètement sollicités : « Le lecteur est ainsi semblable à un joueur sur le terrain : il joue le jeu, mais en même temps le jeu se fait à travers lui, en ce sens qu’il est totalement impliqué dans ce qu’il fait. » Le lecteur est tout autant sujet et objet de sa lecture. « [La lecture] active en nous le pouvoir empathique de l’imagination qui est un véhicule fondamental pour la capacité d’identification au point de vue, à la condition, aux sentiments des autres, sans laquelle il n’y a pas de solidarité, de partage, de compassion, de miséricorde. […] Le regard de la littérature forme le lecteur au décentrement, au sens de la limite, au renoncement à la domination cognitive et critique sur l’expérience, lui apprenant une pauvreté qui est source d’une extraordinaire richesse. En reconnaissant l’inutilité et peut-être même l’impossibilité de réduire le mystère du monde et de l’être humain à une polarité antinomique vrai/faux, ou juste/injuste, le lecteur accepte le devoir de juger non pas comme un instrument de domination mais comme un élan vers une écoute incessante […] »

Admirable sagesse que nous laisse là le défunt pape François.


[1] Editions du Cerf (septembre 2024), 70 pages, 6 euros.


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