« Je
ne crois pas qu’il y ait une ville au monde où le beau temps se manifeste avec
plus d’ingéniosité, de charme et de certitude qu’à Paris. » J’avais, en me
promenant dans l’île de la Cité de bon matin, il y a quelque
temps, cette phrase de Léon-Paul Fargue à l’esprit. Pas très fidèlement du
reste, ma mémoire ayant oublié la « certitude ». L’écrivain,
inlassable chroniqueur de Paris, écrivait cela durant l’Occupation. « C’est, du
Luxembourg aux Champs-Elysées, au Bois, le long des rues, et dans l’âme de
chaque square, et partout, malgré les ténèbres de la guerre, un ballet de
terrasses et de passants, une agitation discrète et joyeuse qui mêle
balustrades et véhicules, bêtes et gens, dans un même tourbillon de générosité
soudaine et de tendresse. […] On sort, on se jette dans la capitale plus parée
qu’un salon et comme ornée pour une réception ininterrompue de messages. [1] »
Être
dans Paris, quelle que soit la saison, me fait toujours cet effet de me jeter
dans la capitale, de me frotter à elle, de l’arpenter avec un enthousiasme
toujours renouvelé. Les rues, les bords de Seine, les ponts, les musées me
dynamisent, me donnent une énergie gourmande, une curiosité insatiable. Paris
est une invitation. Certains de ses quartiers, qui me sont familiers, ne me
lassent jamais. Le ciel a ses couleurs et ses lumières qui poudroient sur la
pierre haussmannienne, qui donnent de l’éclat aux chaises de bistrot,
vernissent les kiosques à journaux et embellissent les marronniers. Un gris
rageur de novembre, sur le bord de la rupture, ravale son averse quand une
dague de soleil pourfend le ciel au-dessus des toits du Louvre. Une neige lente
redessine les allées des Tuileries. Un crépuscule d’hiver rougeoie sur la
Grande Arche. Une clarté d’après l’ondée d’avril choit sous la verrière du passage
Choiseul. Le soleil d’août glisse entre les arbres de la fontaine Médicis du
jardin du Luxembourg et mordore le corps
de la nymphe Galatée. J’ai ces souvenirs en toutes saisons dans ma mémoire,
faisant fi des années. Je suis multiple, toutes saisons réunies, toutes années
abolies, dès que j’arpente Paris.
Heure
grave dans l’île de la Cité quand s’ouvrent les portes du Tribunal et que la
silhouette amputée de Notre-Dame se dégage de la brume matinale. La flèche
royale de la Sainte-Chapelle orchestre le ciel bleu. Les heures glissent sous
les voûtes de la Conciergerie où l’on rend hommage, le temps d’une exposition,
à la gastronomie parisienne. Puis je sillonne la rue Saint-André-des-Arts, un
coup de cœur de jeunesse, gagne la rue de Buci et file droit sur Saint-Germain-des-
prés. La vieille dame se refait une toilette. La rue Bonaparte n’a plus de
surprises pour moi. Enfin presque. Ladurée et ses macarons si convoités
autrefois ont assouvi en mon jeune temps mon goût du bien-vivre. Aujourd’hui,
c’est une nouvelle boutique qui m’attire : un palais de thés japonais à la
décoration minimaliste et colorée, rafraîchissante en cet après-midi torride. Je
cède à l’empire de la consommation. Et quelques numéros de rues plus bas, me
voici soudain propulsée au dix-neuvième siècle. Paris me réservera toujours des
surprises ! Comment ai-je pu emprunter si souvent cette rue et ne jamais
lever le nez vers ce blason ? BULLY établissement fondé en 1803. En
1837, Honoré de Balzac s’inspira du parfumeur Jean-Vincent Bully et de son
officine pour son roman César Birotteau. Et me voilà en plein univers
balzacien. Je foule le carrelage vernissé deux fois centenaire, j’admire les
boiseries et les flacons vert céladon aux noms qui me laissent rêveuse : Eau
triple de verveine des Andes et basilic d’Ulu, eau triple de patate douce des Caraïbes et carotte d’Afghanistan. Sur une table en bois, un employé
calligraphie à la plume d’oie l’étiquette de l’heureuse destinataire de ces
produits d’un autre âge. Et je reprends pied sur le trottoir de mon siècle,
l’esprit enivré de senteurs d’antan.
[1]
Léon-Paul FARGUE, Déjeuners de soleil (1942 Gallimard ; réédition 1996,
collection L’Imaginaire Gallimard)
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