Hier, j’ai commencé à lire Mille chemins ouverts de
Julien Green, paru aux éditions Grasset en 1964, lequel me vient de la
bibliothèque du père d’une amie. La plupart des ouvrages, à l’époque, étaient
vendus sans pages découpées. Monté avec des feuilles in-quarto, le livre n’offrait
pas d’emblée tous ses secrets. Pour pouvoir le feuilleter, il fallait s’équiper
d’un coupe-papier, glisser la pointe de la lame dans la fente des pages
géminées de la tranche de queue puis remonter de bas en haut pour trancher les
feuillets de la gouttière avant d’attaquer la tranche de tête. Un peu technique mais avec de l’adresse et de
la patience, les pages s’ouvraient une à une. La lecture d’un livre se
méritait ! Les lecteurs avaient-ils la patience de découper toutes les
pages au préalable ?
Peu
de maisons d’éditions pratiquent encore la reliure in-quarto. Je me souviens du
premier livre non découpé que j’ai acheté : D’île et de mémoire de
Claude Louis-Combet aux éditions José Corti. C’était il y a plus de quinze ans,
à Uzès. Je suis restée des années sans ouvrir le livre, ne serait-ce que pour
en garder la magie. Peut-être aussi, inconsciemment, la peur de rater la
découpe ! Depuis, j’ai eu en ma possession de charmants opuscules de Joël
Vernet, dans la collection entre 4 yeux aux éditions des Belles-Lettres. Le
papier, épais, garde des effilochures le long de la gouttière et de la tranche
supérieure. Cela a un aspect artisanal bien sympathique. Je serai en revanche
bien en peine d’identifier le papier employé.
Alors
que la matière papier devient de plus en plus chère, des éditeurs de poésie,
bien souvent, font encore le choix de privilégier un papier de qualité, voire
rare. Mais, désormais, les romans sont imprimés sans tirés à part, comme exemplaires
de bibliophilie. Et j’en reviens à mon Mille Chemins ouverts de 1964. Le
père de mon ami, en acquérant ce livre, avait omis de trancher avec son
coupe-papier les deux premières pages, ce que je me suis empressée de faire,
mue par la curiosité d’en lire le contenu. Et c’est sans doute pourquoi j’ai
été plus particulièrement sensible à ces quelques lignes qu’on ne voit plus
guère dans les romans brochés. Il a été tiré de cet ouvrage, le
soixante-dixième de la nouvelle série des cahiers verts, mille sept cent
quatre-vingt-neuf exemplaires de luxe, à savoir : cinquante-sept
exemplaires sur vergé de hollande numérotés Hollande 1 à 40 et Hollande
I à XVII, cent soixante-sept exemplaires sur vélin pur fil I à XVII et mille
trois cent soixante-cinq exemplaires sur alpha mousse des papeteries navarre,
numérotées Alfa 1 à 1350, et Alfa mousse hors commerce réservés à la presse,
numérotés S.P 1 à S.P 200. L’ensemble de ces tirages constituant l’édition
originale. Fabuleux, non ! Les noms de papier font rêver. Quant au
vélin, je me pose cette question : s’agit-il du vélin tel qu’on
l’employait au Moyen-âge ? À savoir, des pages fabriquées dans la
peau d’un veau mort-né ? Sans doute pas. Le mot vélin recouvre aussi la
signification, plus moderne, d’un très beau papier. C’est plus probable. Eh
oui, vérification faite, tout est dans l’indice pur fil. Il s’agit bien
d’un papier très blanc, fabriqué dans une pâte à base de chiffon, de coton. Toujours
est-il que ce langage d’imprimeur et d’éditeur devient étrange à nos yeux.
Comme une sorte de message codé pour initiés ! Tout est subtil :
hollande sans majuscule ou avec. Chiffres arabes pour certains exemplaires,
chiffres romains pour les autres. Comprenne qui pourra. À moins que vous ne soyez un vrai bibliophile ?
En outre, les coupe-papiers peuvent être des objets de collection. Un livre coupé montrait qu'il avait été lu.
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