jeudi 24 juillet 2025

Tablée estivale

 




[…] Chez Thérèse, on arrive comme on viendrait embrasser une grand-mère ou une grand-tante.  

– Entre. Je n’ai pas le temps de m’occuper de toi. Je suis avec Martin. (Dans le hall sombre d’une vieille maison, j’écarquille les yeux pour mettre un visage sur la voix déjà connue et sur une massive silhouette vêtue d’une longue tunique orange.) Voilà ta chambre, la salle de bain. Va à la cuisine. Prends ce que tu veux sur la table ou dans le frigo.

           Pas le temps de dire ouf. Ma prêtresse en toge safranée a disparu. Les étagères du couloir ploient de mille et unes choses abandonnées par une maîtresse de maison plus soucieuse d’accueillir et choyer des pèlerins que de confiner sa solitude de retraitée dans le rangement d’objets inertes, sarcophages du désœuvrement. Chez Thérèse, les papiers bruissent sur le buffet de cuisine, aux murs, les cadres, crucifix, posters, dessins et drapeaux nous font un clin d’œil. La maison est vouée à l’accueil, en témoignent les lits de camp alignés dans une pièce qui fut autrefois une salle à manger. Si besoin, ils seront dépliés pour un pèlerin tardif. Nul esprit mercantile ici. Simplement la maison du Bon Dieu. Sur la table de cuisine, je n’ai que l’embarras du choix : cinq ou six sortes de sirops, de l’antésite à la réglisse ou à la menthe, des fruits secs, des fruits frais, des biscuits, des bonbons. Au matin, les auront rejoints yaourts, sachets de thé, confitures, miel, œufs durs.

           Ma chambre jaune aux tables de chevet vert d’eau est une chambrée de nanas. Hélène, la Québécoise, Bénédicte et Claire, les deux amies instits. Mise en ordre des sacs, échange de potins, rédaction du carnet de route. Le bonheur s’est assis sur nos lits. On l’emmène dans la cuisine au dîner. Thérèse lève un toast et chante :

Tous les matins, nous prenons le chemin.

Tous les matins, nous allons plus loin.

Jour après jour, la route nous appelle.

C’est la voie de Compostelle.

Ultreïa ! Et suseïa ! Deos adjuva nos !   

          On reprend en chœur. Les filles de la chambre jaune et moi, Adrienne et Christiane, deux amies et le couple de Mulhouse. Et trinquent nos verres ! Et dansent nos fourchettes tandis que tournent les plats : olives onctueuses, gousses d’ail marinées et fondantes, rillettes, salade de crudités, larges tranches de mozzarella, risotto … non, vraiment, sans façon, Thérèse, on n’a plus faim pour la viande. Le plateau de fromage est riche mais la Québécoise, rassasiée, le boude poliment. Thérèse la rabroue :

– Ferme ton caquet, ma chérie, et goûte le bon fromage de France !

   Le vin est gouleyant. Nos mines sont gorgées de joie de vivre. Thérèse, entre deux verres, nous glisse que son médecin lui reproche de trop participer aux agapes quotidiennes avec ses pèlerins. Agapes qui ce soir s’achèvent sur des morceaux de melon trempés dans du floc, boisson alcoolisée traditionnelle de l’Armagnac.

 Nathalie BONIFACE-MERCIER Le Chemin des Veilleurs, Editions Unicité 2017 (pages 121 à 122; été 2009)

lundi 7 juillet 2025

Au seuil des grandes vacances

 

                                                  


Au seuil des grandes vacances, mon esprit est un méli-mélo de pensées. Se détacher peu à peu de ces visages et personnalités d’élèves qui ont été mon quotidien une année scolaire durant dans cette intimité de connivence et petites tensions. Alors que des images de paysages, de tablées de restaurants ou de maisons d’amis des étés précédents refont surface en moi et qu’un canevas d’images des voyages et découvertes à venir se tisse dans la griserie des envies, se glisse subrepticement un sentiment d’empathie pour quelques-uns de mes élèves qui ne partiront pas en vacances, ne verront ni la mer ni la montagne, n’auront peut-être même pas les joies simples d’une partie de pêche improvisée ou d’une balade à vélo dans la campagne, parce que la toile du web les retient dans ses filets de faux loisirs.

Au seuil des grandes vacances, la maison est à ranger, le jardin à désherber. Le tutu et les chaussons de danse ont rejoint le placard, la scène sous les projecteurs est déjà loin. Le cartable est vidé, le pot de fin d’année déjà passé, jamais le même au gré des départs et pourtant toujours semblable avec notre fatigue lancinante, les couloirs et le réfectoire rendus au silence.

Au seuil des grandes vacances, des chemins de terre se croisent dans ma tête, l’impatience de chausser les chaussures de randonnée. Des chemins d’écriture s’ouvrent à mon cerveau jamais en repos. Reprendre en main la Datcha dont la porte est toujours restée ouverte pour les nombreux de lecteurs venus picorer, leur mettre de nouveaux plats sur la table, de nouveaux bouquets dans les vases. Semer ci et là sur le papier des poèmes. Rouvrir le roman en cours. Prendre note de projets à venir. Contacter les organisateurs de salons, les bibliothèques, les libraires pour la promotion de mon recueil de poèmes Origami.

Au seuil des grandes vacances, savourer l’idée que des recettes à tester pourront être réalisées. Se sentir pousser des ailes de chef étoilé avant de s’accepter modeste gâte-sauce devant la casserole.

Au seuil des vacances, revenir de la campagne après un déjeuner familial et boire des yeux la lumière estivale de fin d’après-midi sur les champs de blé pas encore moissonnés et remuer en soi cette bienfaisante satisfaction d’une année scolaire achevée qui délivre enfin du vague à l’âme du dimanche soir.


mercredi 18 juin 2025

 




Je serai en dédicace au Marché de la poésie, place Saint-Sulpice à Paris, dimanche 22 juin 2025, sur le stand des Edictions Unicité pour la sortie de Origami, mon tout dernier recueil de poésie.


mardi 10 juin 2025

Carmen, enfant de bohème

 



Danse, opéra et littérature sont souvent de connivence. Carmen, bohémienne sans foi ni loi, séductrice impitoyable, cueille les cœurs au gré de ses caprices. Gare à qui se laisse prendre dans ses filets. Qui ne connaît Carmen ? Elle traverse les années, fête ses 180 ans[1] sans prendre une ride. Le 3 mars 1875, elle monte pour la première fois sur scène dans l’opéra de Georges Bizet, opéra le plus joué jusqu’à nos jours. Le 21 février 1949, le chorégraphe Roland Petit signe une flamboyante interprétation, toujours dansée à travers le monde. Je me souviens d’avoir vu, enfant, ce ballet donné au théâtre du Châtelet par la compagnie du Ballet National de Marseille. Un souvenir inoubliable ! La sauvage Carmencita n’a pas fini d’inspirer metteurs en scène et chorégraphes.

Sa célèbre habanera retentira samedi 14 juin 2025 sur la scène de Mégacité à Amiens (20 heures 30).

Elle écartait sa mantille afin de montrer ses épaules et un gros bouquet de cassie qui sortait de sa chemise. Elle avait encore une fleur de cassie dans le coin de la bouche, et elle s’avançait en se balançant sur ses hanches comme une pouliche du haras de Cordoue.[2]



[1] Octobre 1845 : parution de la nouvelle Carmen de Prosper Mérimée dans la Revue des deux mondes.

[2] Carmen, Prosper Mérimée, extrait du chapitre III, page 94 Livre de poche (1996)


vendredi 30 mai 2025

La muse verte a pris la poudre d'escampette

 

Dimanche 1er juin, j’ai la chance et la joie de participer à la clôture du Festival du Rayon Vers, festival de poésie de la région Hauts-de-France, dont les premières pousses et boutures sont à l’initiative des Éditions La Chouette Imprévue. Ce festival, durant tout le printemps, met à l’honneur la poésie par des lectures et spectacles ; tisse des liens entre des poètes français et belges (proximité géographique et linguistique) et les auditeurs, propose des ateliers d’écriture poétique. Grande première cette année, le musée de Picardie, à Amiens, nous ouvre ses portes pour une déambulation entre les œuvres au fil des vers. J’y lirai, l’après-midi, des extraits de L’Engrangeoir mais également d’autres poèmes. Pour l’occasion, j’avais taquiné la muse en musardant dans le musée et mon coup de cœur s’était porté sur un tableau d’Albert Maignan, La Muse verte. Muse séductrice et dévorante puisqu’il s’agit ici de l’absinthe, boisson appréciée des artistes du 19ème siècle mais qui, chez moi, n’a connu que le bout de mon crayon et pas trempé dans mon verre ! Or, hasard du calendrier, le musée prépare une exposition rétrospective sur l’œuvre du peintre Albert Maignan et ma Muse verte a donc pris la poudre d’escampette ! À défaut de pouvoir lire mon poème devant la demoiselle, le voici présenté à la Datcha.

                        La Muse verte  (1895) Albert Maignan, musée de Picardie 


 La muse verte

 

Je suis ta fuite

Ton orgueil

Ta solitude

Quand tu chavires

Vaisseau amer homme défait

Renversé par la lame de tes échecs

Je suis naïade

Je t’ensorcelle, je t’aspire, je t’étreins

Vouivre verte dans ton verre

Je te cède l’insaisissable ivresse

Te murmure des songes

Qui cognent

Je t’efface des horloges

Je suis ton exil des places habitées

Je suis ta douleur d’amour perdu

Je t’embrasse et te caresse

Je serpente en toi

Femme venin

Je me repais de ton abandon

Tu cherches les mots

Tu bâtis des chimères

Qui n’ont point loi de vers

Poète désarmé

Tu ris quand tu voudrais pleurer

Dans le ressac des illusions

Tu crois saisir ton destin

Et me résister

Mais je te voile les yeux

Écharpe d’organdi

Légère mais point volage

Et muse fidèle toujours je reste à tes côtés.

 

Nathalie Boniface-Mercier 

                                                      10 mai 2025

 


dimanche 18 mai 2025

Relecture d'épreuves

 



Au jardin, un couple de mésanges charbonnières virevolte du rosier au nichoir installé cet hiver, sous l’œil averti de Piccolo. Comment concilier mon amour des chats et des oiseaux ? Espérons que l’un n’aura pas la patte trop véloce et que les autres auront le battement d’ailes suffisamment vif.

Au bureau, les relectures multiples des épreuves d’un livre, avant de signer le bon à tirer, me demandent d’avoir des yeux de lynx pour chasser les coquilles plausibles.  En ces moments-là, le livre à venir n’est pas encore concret malgré l’image de couverture proposée par l’éditeur. Maquette. Mirage, presque. L’émotion est toujours là. Mais ce n’est plus la fièvre impatiente des premières fois. On sait attendre. On lit, on relit. Le texte finit par être désincarné. Des lettres, des mots comme des dessins, qui n’admettent pas le moindre écart. Je ne me suis jamais remise d’un de mes livres publiés quelques années plus tôt, truffé de fautes faites par un correcteur automatique d’orthographe - le comble ! -  alors que mon tapuscrit en était indemne. Malgré mon œil sagace et agacé à traquer ces irrévérencieuses bévues, j’en ai laissé filer deux ou trois, fatigue oblige, et de celles que j’avais signalées toutes n’avaient, hélas, pas été corrigées. Quel gâchis ! Un si bel ouvrage (je parle du livre en tant qu’objet), un travail d’écriture si long (plusieurs années de recherches et de rédaction). Mes chères princesses, vous m’avez vue bien désolée. Depuis, j’ai toujours ce pincement au cœur quand un livre est en cours de fabrication, quand bien même, heureusement, il y a des éditeurs très scrupuleux et en qui je peux avoir confiance. Un écrivain doit tant à ses éditeurs ; ils font la pluie et le beau temps sur le champ que l’auteur a longuement labouré et ensemencé.


Archives

Quatrième anniversaire

Mes consultations