dimanche 12 janvier 2025

A contre-courant des saisons

 



Cette semaine, il a neigé en Picardie. Juste de quoi voir virevolter les flocons et blanchir les toits. Une douceur pour les yeux, happée à la dérobée, entre une dictée et un exercice de conjugaison, dans une classe studieuse malgré l’envie d’honorer l’éphémère reine de l’hiver. J’aurais pu vous écrire sur celle que j’appelle volontiers la silencieuse. Mais j’ai choisi, à contre-courant des saisons, de vous parler de l’alouette. Je l’avais déjà invitée à la Datcha, en septembre 2022. Je l’aime tant !

Ces jours-ci, je lisais Eloge de l’alouette[1], un joli petit livre acheté l’été dernier dans une librairie, en Auvergne. L’auteur, Francis Gremberg, vit à Bailleul, dans le Nord. C’est un homme de ma génération dont l’enfance s’est déroulée à la campagne. Il a grandi avec le chant de l’alouette, loin de savoir, à l’époque, qu’il perdrait un jour le privilège de l’entendre grisoller dans le ciel du nord : « Je vous écoutais et j’étais sous votre emprise. Votre chant de plein ciel était pour moi une révélation. Un oiseau chantait et le monde devenait plus beau. Je ne savais pas à l’époque que vous possédiez une des gammes les plus riches de la faune aviaire, avec plus de six cents notes et articulations en phrases[2]. […] Je me souviens de vous aux marches de l’hiver, quand novembre s’étalait brumeux et froid sur les champs nus. Vous étiez alors une consolation inattendue. À la seconde, vous inversiez les saisons et effaciez ma mélancolie.[3] » Comme lui, l’alouette fut l’enchantement de mes promenades à travers champs, du mois d’avril quand les prunelliers fleurissaient à l’été - en dehors des moissons bruyantes et poussiéreuses - en passant par le mois de mai fleurant bon l’aubépine et celui de juin éclatant dans les cytises.  Mes yeux éblouis par la lumière couraient dans le ciel à la recherche de l’oiseau qui lançait ses trilles très haut. On l’entendait mais on ne la voyait point. Elle estampillait les beaux jours dans cette région au climat peu clément, elle était insouciance, légèreté et compagne d’un temps étale, sans contrainte, celui du long week-end sans école ou des grandes vacances infinies. Parfois, on l’apercevait voletant sur place avec une ténacité dans son battement d’ailes qui n’avait d’égal que son chant incessant. Lire le bel ouvrage de Francis Gremberg, c’est conjuguer ses souvenirs de p’tit gars des champs à mon enfance rurale. C’est partager sa peine et son inquiétude actuelles. Si l’alouette a disparu de la terre de Bailleul, elle n’est plus beaucoup là dans mon coin de Picardie. Zones de culture agricole intensive, on l’aura compris. Glyphosate et compagnie plument l’alouette. Je suis parfois prise d’angoisse de songer que ce frêle oiseau peut disparaître à tout jamais et que nous n’ayons plus que des vidéos sur Internet pour l’écouter. Moment volé que je me suis accordé avant de rédiger cette chronique et qui n’a, hélas, pas les vertus d’une vraie balade dans la nature. Mais le chat Piccolo qui dormait sur mes genoux a sauté devant l’écran, son oreille de chasseur en alerte, sa patte véloce prête à bondir sur l’image. Le leurre est-il plus grand pour lui ou pour moi ? C’est discutable.

L’opus de Francis Gremberg ne s’attache pas seulement à consigner sa nostalgie en une langue poétique et douce, il nous convie à retrouver l’alouette chez les poètes ou sous la plume des soldats de 14-18 qui l’entendirent chanter, imperturbable une fois la canonnade arrêtée, inébranlable image de l’espérance devant la folie des hommes. Il la traque dans les champs cultivés de toutes régions, se défiant des chiffres et pourcentages aléatoires mais guère rassurants mais aussi dans le champ sémantique de la langue française. L’alouette est partout : une rue de lotissement, un type d’hélicoptère, le nom d’une revue, le surnom que Jean Valjean donna à Cosette et, bien sûr, la comptine que nous avons tous chantée : « Alouette, gentille, alouette, je te plumerai… ». Enfant, bien que j’ignorasse que l’on pouvait manger l’oiseau, je n’aimais ni la musique ni la rengaine. Je pressentais au-delà de ces paroles a priori innocentes une indéfinissable perversité qui troublait la petite fille que j’étais.



[1] Francis GREMBERG, Eloge de l’alouette, collection La rencontre, Editions Arléa (2023)

[2] Page 10.

[3] Page 28.


mardi 31 décembre 2024

Meilleurs vœux

 


Plus que quelques heures et nous aurons changé d’année. Le crépuscule vient de tomber. La ville bruisse. Dans les foyers, on s’active aux fourneaux ou l’on occupe les heures sans se soucier de leur accorder de l’importance. Fêter une nouvelle année n’est pas du goût ou de la disponibilité d’esprit de tous. Ce n’est heureusement pas une obligation, un Sésame, ouvre-toi dont il faudrait impérativement maîtriser le code pour franchir le seuil. Il y a toujours en moi une ambivalence à entonner le refrain d’un Happy New Year. Comme à Noël, on pense à ceux que la tristesse submerge, à ceux qui n’ont d’autre compagne que la solitude, la pauvreté ou la maladie. On pense à ces contrées écrasées par les guerres. Comme à Noël, on pèse ses mots pour ne pas heurter. Mais Noël vit d’Espérance et de Paix. La Saint-Sylvestre et le 1er de l’an ont un je ne sais quoi de léger, d’insouciant, d’insolent. D’utopique aussi. Ne souhaite-t-on pas, en effet, vraiment le meilleur pour sa famille, ses amis, ses voisins, son prochain ? Indéniablement oui. Alors que ces quelques vœux semés dans ma datcha aient la belle utopie du cœur.

Je vous souhaite une belle année dans la douceur des jours que des flocons de neige, une brise d’avril, la lumière d’été, l’orangé ambré de l’automne nous donneront au cours de 2025.

Je vous souhaite une belle année dans la simplicité d’un sourire, d’un compliment, d’un rire complice, d’une main encourageante sur une épaule.

Je vous souhaite une belle année dans l’attention portée aux autres et reçue des autres.

Je vous souhaite une belle année dans la magie des arts et du spectacle de la nature.  


dimanche 22 décembre 2024

Dans l'attente de Noël

 



Nous avons tous besoin

D’une espérance en nous,

D’une petite flamme au milieu de la nuit

Qui passe de main en main,

Ou de sourire en sourire.

Cette espérance

Fragile comme un enfant à Noël

Nous donne une force immense.


Extrait de la Prière de la Lumière de la Paix de Bethléem 2024



                                          

                                      



dimanche 15 décembre 2024

Bredele de l'Avent

 

                                        Source: Internet Pixabay

                                     


Confection des bredele[1] de Noël à la Datcha. Vieille tradition alsacienne qui a désormais gagné toute la France. Une amie de ma mère en confectionne par centaines, de toutes sortes (à l’anis, aux noisettes, au chocolat, à la cannelle) et en offre à sa famille, aux amis et aux résidents de la maison de retraite de son village. Ils sont autant un plaisir des yeux que du palais. Mon rouleau à pâtisserie, à chaque période de l’Avent, façonne la pâte. Toutes proportions gardées. J’aime tellement ces friandises qu’à seigneur tout honneur, je ne pouvais pas ne pas les évoquer dans mon roman consacré à la cuisine[2].

 

Biscuits de Suzanne

 

         Sablés, palets aux dames, rochers, macarons, petits fours, dollines, florentins, madeleines, bredele alsaciens, cup cakes anglais ou baklavas orientales, les tout petits gâteaux et biscuits qu’on avale en une ou deux bouchées semblent ne pas avoir quitté l’univers des dînettes des petites filles modèles ou sortir tout droit des images naïves des dessins de Sarah Kay. Ils sont le raffinement d’un tea cream dans un manoir ou la chaleureuse quiétude d’un goûter de l’Avent dans un chalet enneigé. Ronds, carrés, étoilés, ils blondissent dans le four. Pâtisseries traditionnelles, les biscuits faits maison sont emblématiques d’une époque qui se veut ancienne mais qui, au fond, n’a pas d’âge. Qui sont nos aïeules cuisinières ? D’une époque révolue, celle de la bougie peut-être, elles ne sont même plus les grands-mères d’aujourd’hui. Malgré tout, la magie intemporelle de la bonne cuisine encensera toujours un autrefois mythique que l’on s’appropriera encore longtemps dans notre imaginaire collectif. Longue vie à la cuisine de nos grands-mères !

 



[1] De l’alsacien « brot » : pain. Petits gâteaux secs aux formes et parfums divers, traditionnellement confectionnés durant l’Avent.

[2] Nathalie BONIFACE-MERCIER, L’Hiver avec elle, Editions Unicité (2019)


dimanche 1 décembre 2024

Premier dimanche de l'Avent

 

                                                   Quatrième dimanche de l'Avent décembre 2014

Premier dimanche de l’Avent à la datcha. La crèche et les décorations de noël sont installées. Les quatre bougies, la mèche immaculée, sont dressées dans de petits pots de verre couleur tilleul. Tout à l’heure, à la nuit tombée, l’une d’elles sera allumée. Piccolo, le chat, s’est couché sur mes genoux, insensible au cliquetis du clavier de l’ordinateur. Je pourrais écrire à la main dans un joli cahier. J’en ai tout une collection. Mais le chat en a décidé autrement. Il a bon dos, ce chaton ! J’écris bien plus souvent sur écran que sur papier. Il fut un temps où écrire, pour moi, était autant le plaisir de faire glisser le crayon sur la page d’un cahier, le bureau face à la fenêtre, que celui de faire jaillir un monde. C’était l’époque où je n’avais pas d’ordinateur et que je ne trouvais pas à ma machine à écrire de jeune enseignante le charme des vieilles Remington ! C’était l’époque encore plus lointaine – mon adolescence – où je n’aurais pas conçu d’écrire mes premiers romans autrement qu’à la main, en hommage aux grands auteurs du 19ème siècle qui peuplaient mon olympe littéraire. Je ne confiais au clavier d’une machine rapportée par mon père de son bureau – antique bécane à mes yeux car elle devait dater des années soixante ! – que la version définitive du roman achevé. Lequel prenait la forme, après agrafage des feuillets, d’un prototype de livre. Je n’en étais pas encore au photocopiage et à la reliure à spirale noire pour que mon travail devienne un « manuscrit » comme on dit dans le métier, en tordant si bien le cou à l’étymologie. Comme quoi le poncif du livre écrit à la plume ou au stylo est encore bien implanté dans notre imaginaire collectif.

Me voilà à écrire sur l’art d’écrire alors que j’avais en tête de vous parler de gelées blanches. Celles qui ont paré, ces jours-ci, les talus et les jeunes pousses de blé d’hiver, leur donnant une teinte vert céladon. C’était jeudi matin. J’avais, à regret, sacrifié le voile de givre sur mon pare-brise. Les cristaux avaient des motifs comme on en trouvait sur d’anciennes tentures, entre l’aigrette, la palmette et la feuille d’acanthe. Mais la campagne me redonnait ce qu’en ville j’avais perdu. Des baies de cynorrhodon coiffées de blanc dans les haies rabougries qui parsèment modestement ma route. Les dernières feuilles d’érable, jaunes et dentelées de givre, au détour d’un bosquet et, enfin, la vallée de la Noye aquarellée de brume d’où émergeait un clocher au loin, en contrebas du virage emprunté. Un spectacle que seuls les vrais frimas peuvent offrir et dont je ne me lasse pas chaque année, appréhendé brièvement parce qu’un voyage en voiture est l’ennemi de la contemplation. La descente sur le village ramène déjà les yeux à l’ordinaire, au commun des jours et des hommes. Stop. Cour de ferme en face. Clignotant à gauche. Macadam. Maisons collées au trottoir. Sortie du village. Ne pas regarder les vestiges en tôle taguée d’un supermarché désaffecté. Reprendre du service au temple du beau, de l’inimitable, de l’éphémère dans le lit de la Noye, là où la terre marécageuse n’a pas été domestiquée, juste quelques arpents de terre libre où le jonc et les ombelles de carotte sauvage desséchées dans la froidure du matin sont sertis de blanc, avant d’entrer dans le bourg. 

 


samedi 16 novembre 2024

Retour à la maison des aïeux

 

                                      Saint-Thibault (Cher), mai 2024


En ce mois de novembre traditionnellement voué à l’attribution des prix littéraires, je prends volontiers le contrepied en mettant à l’honneur une petite maison d’édition et un livre qui ne fera pas la une des journaux. J’avais déjà, dans une chronique datant du 4 juillet dernier, évoqué un coup de cœur similaire. J’ai acheté La maison de la fontaine[1], par attrait pour les maisons. La narratrice, âgée, ouvre ce récit autobiographique sur un souvenir intime : les retrouvailles avec la maison familiale, modeste habitation d’un village du Périgord, décatie et presque à l’abandon. Elle est venue la présenter à celui qu’elle ne nomme pas mais qu’elle évoque au cours du livre avec la pudeur délicate de la femme qui a partagé la vie d’un homme qui n’est plus. Le couple, qu’on suppose jeune alors, a redonné vie, année après année, à cette petite maison, soucieux d’abord de lui rendre son modeste éclat, ses caractéristiques paysannes comme son cantou, avant de la modeler à leur goût. Maison passeuse de générations et d’histoires, maison de terroir, elle s’autorise enfin à être autre pour que la lumière et les livres entrent, même si « Autour de la maison flotte le parfum des mots de l’enfance. Le mot enclos est de ceux-là, qui porte en lui quelque chose d’antique et de matriciel. Image peut-être de l’hortus médiéval où croissent les simples ou du jardin mystique où s’abrite la virginité bleue de Marie. »[2] Le passé ne s’en va pas vraiment ; la maison reste incarnée dans une famille et un territoire. Photographies et toponymes sont là pour rappeler à la narratrice son ancrage en ces lieux. Elle évoque le poids de cette contrée dans sa densité tellurique et historique, en une réflexion qui me rappelle les écrits de Pierre Bergounioux. « Des noms comme des litanies du quotidien qui font se lever les lieux – que l’on appelle si joliment des lieux-dits –, une incantation propitiatoire pour déjouer l’âpreté du réel, de même qu’un patronyme gravé sur une tombe déjoue l’obscénité du cadavre enseveli. »[3] Horizon replié, hivers âpres, terre de préhistoire, de quoi nourrir une enfance rêveuse, réenchantée des années plus tard par la plume sublime de Laure Catusse, devenue femme et écrivain.

Le récit, hommage aux ancêtres de l’auteur, se poursuit dans une facture narrative classique, l’évocation des aïeux à travers la grande Histoire et l’intime par le truchement de photographies décrites. Cet album tourné pour nous, lecteurs, aurait pu lasser ; on ne rejoint pas forcément ces inconnus et ces anecdotes qui font l’arrière-pays intime d’autrui. Mais le récit de Laure Catusse offre de délicieuses réflexions sur les pouvoirs de la photographie : « Je peine à imaginer Madeleine dans le quotidien des travaux de la ferme. Ils ne sont pas dignes d’entrer dans la mythologie familiale. Les photographies n’en disent rien non plus, on ne photographie pas l’ordinaire des jours et l’évidence des tâches matérielles. […] le cliché ne dit rien de la vie à la campagne en été, il a seulement capturé, comme par effraction, le tremblement de choses dans le temps[4]. »

 

 



[1] Laure CATUSSE, La maison de la fontaine, Editions Unicité (2022)

[2] Page 10.

[3] Pages 84 - 85

[4] Laure Catusse cite ici l’écrivain Jean-Christophe Bailly à qui elle fait allusion dans la même page.


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