Volets
restés fermés quelque temps à la datcha pour cause de grand nettoyage de jardin
et activité fébrile peu propice à l’éclosion des mots. Valises vidées après une
escapade sur les terres familiales qui fleurent bon la mirabelle et la bergamote,
et reprise du rythme trépidant. Il faut que … Faire… Ranger… Accueillir… Je m’accorde
une pause dans le fauteuil du bureau entre chien et loup. L’heure d’hiver a
gagné notre quotidien et pare la maison de puits de lumières ambrées au gré des
lampes posées sur les meubles. Je saisis le journal du mercredi, pas encore
ouvert depuis notre retour. Un rendez-vous attendu, immanquable avec l’un des
chroniqueurs dont je savoure toujours les lignes. C’est la page que je lis en
premier. Ma friandise de gourmande des mots. Le titre nous exhorte à être
vieux. Injonction qui prend le contre-pied du jeunisme ambiant dont on abreuve
la société aujourd’hui. La chronique est truffée d’impératifs en un subtil jeu
de miroirs. Nous qui sommes perpétuellement conditionnés par les dictats, aiguillés
par une pléthore de y-a-qu’à, faut-qu’on, entravés par le regard de l’autre au
point de nous imposer des garde-fous, des règles, nous qui vivons de to-do list,
qui conjuguons le verbe faire à tous les futurs, qui déclinons au vocatif les
rêves, les souhaits, les projets et les tâches, nous qui nous mettons au
garde-à-vous du général Tempus, qui découpons le gâteau des jours en minutes et
secondes sans en laisser une miette, nous qui n’en pouvons plus des voix
comminatoires de notre prochain, nous qui sommes pressurés, essorés par le
grand manitou Faites Ceci et son aréopage de publicités supposées nous prendre
dans ses filets, voilà que la plume de mon chroniqueur bien-aimé déploie une
cascade d’impératifs. Et voilà que cette invitation me charme. Me rassérène. M’attendrit.
Je plonge. Je bois les mots. Un vrai nectar que je vous incite à savourer
aussi. Trinquons alors à la poésie donneuse de bonheur et non de leçons ! « Soyez
démodés. Has been. Old fashioned. Inactuels. À contretemps. Ne
vous habituez pas au monde tel qu’il est : visiblement il ne va pas. Soyez
obsolètes. Délicieusement ou obstinément périmés. Ne soyez pas dans le vent,
accrochez-vous aux vieux bastingages, à la rambarde de guingois. […]
Moquez-vous du regard oblique des censeurs de cette chambre vide : l’aujourd’hui.
Cuisinez-leur vos recettes de grands-mères, dans la casserole de cuivre qui en
a vu tant d’autres. […] Parlez-leur de cette guinguette au bord de l’eau, de l’Hôtel
du Nord, de la gueule d’atmosphère, de la pénombre des voix, des visages, des
noms d’autrefois, de Carette, de Dalio, de Jouvet. […] Soyez d’hier, d’avant-hier,
d’il y a mille ans, refaites la première croisade, rebâtissez les cathédrales,
écoutez battre le vieux cœur de la ville, soyez désheurés, anachroniques, mal
lunés. […] Dites-leur qu’une maison ne tient debout que par la vétusté des
paroles et des objets qu’on y fait résonner. […] »[1]
Je
ne peux pas tout retranscrire. Vous l’aurez compris, lisez le journal !