Retrouvez-moi mercredi 15 octobre à 18h30 à la librairie Pages d'encre
9 rue des chaudronniers - AMIENS
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9 rue des chaudronniers - AMIENS
La semaine qui vient de s’écouler dans
le vaste monde est toujours autant secouée par les atrocités des guerres, des violences
de toutes sortes, les vilénies et incivilités. D’une journée de funérailles outre-Atlantique
– certes triste car personne ne devrait mourir assassiné pour ses idées,
quelles qu’elles soient – à celle d’un procès très médiatisé dans l’hexagone et
au-delà, j’ai alors pensé à ces quelques mots qu’Erasme écrivait dans Eloge
de la folie[1]
et qui sonnaient avec une acuité sans fausse note dans l’air du temps. J’ai
recherché dans l’un de mes carnets de notes qui m’accompagnent au jour le jour
les mots exacts du philosophe hollandais. Ils pourraient avoir été écrits
aujourd’hui : « Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil,
de vanité, d’arrogance. Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les
applaudissent. » Quand on n’est guère du côté des fous qui applaudissent,
quand on n’est pas non plus du côté des langues qui vilipendent, tout contents
d’être sur le trottoir d’en face, quand on est juste de ceux qui s’affligent
des paroles sans raison, des actes sans moralité, on reste médusés et on va
chercher loin, au fond de sa conscience ou de ses prières, de l’optimisme et
une espérance pour l’avenir. Et l’on est aussi tenté de refermer les volets de notre
maison ou Datcha pour ne pas entendre les rumeurs du monde et savourer un thé
avec un bon bouquin.
Une portion de la route qui me permet
de me rendre au collège rural où j’enseigne est actuellement en travaux et la
déviation me fait passer par une sinueuse route de campagne laquelle descend
dans un vallon, si tant est qu’on puisse attribuer à la Picardie un relief
aussi marqué. Champs et pâturages côtoient des bosquets qui, déjà, virent au
roux par petites touches dans le vert fatigué et mat des feuillus. Ma voiture
entame une descente entre deux rangées d’arbres qui façonnent une allée
cavalière à l’orée du parc d’un majestueux château du XVIIIe siècle
en face duquel se dressent les murs de briques et pierres d’une ferme qui peut
s’enorgueillir d’un imposant pigeonnier en forme de porche, signe patent de la
richesse du domaine autrefois. Le village ne manque pas de charme non plus car
il a conservé plusieurs longères picardes nichées au fond d’une cour et qu’on
aperçoit furtivement lorsque le portail de la grange qui borde la route est
ouverte. Façade, pour l’une, en torchis passé à la chaux sur lequel se découpent
les boiseries vert vif, comme cela était encore typique dans la région il y a une
cinquantaine d’années. Façade, pour l’autre, bardée de planches. Ou encore celle,
aux nuances de beige, basse et engoncée dans sa courette, calée en angle droit
au mur coquettement restauré de ce qui fut autrefois la porcherie et l’étable.
Les week-ends du patrimoine mettent à
l’honneur monuments privés et publics, demeures d’écrivains et de personnes
célèbres. Des villages pittoresques accèdent aux happy few des Plus beaux
villages français. Comment ne pas tomber effectivement sous le charme des
bourgades alsaciennes, d’un Luberon semé de hameaux restaurés ou d’une poignée
de maisons bretonnes recroquevillées sur un petit port où la houle berce des
chalutiers ? Les villages picards, à quelques exceptions près, n’ont pas
d’unité architecturale. La fragilité du matériau – le torchis –, la saignée des
guerres, voire la pauvreté ont signé le déclin et la destruction des fermettes
locales. Le bâti y est hétéroclite,
insignifiant mais dans ce bric-à-brac de constructions au milieu duquel
l’église a su rester jolie quand elle n’est pas du XIXe ou
d’après-guerre, on peut parfois trouver une modeste demeure au charme désuet. Mes
trajets quotidiens, ces jours-ci, qui me font sillonner la rue principale de ce
village des bords de Noye, m’offrent ces plaisirs fugaces à happer ces traces
d’un passé honoré, cet habitat modeste d’hier de la paysannerie laborieuse. Et
montent en moi des images de mes maisons d’autrefois, dont celles des
arrière-grands-parents: longère aux volets vert sapin, aux tomettes brunes et
rideaux de crochet aux fenêtres, vaste maison cossue aux plafonds hauts, au
carrelage à damier noir et blanc et manteau de cheminée garni de barbotines et
chandeliers. Mes maisons d’hier ou d’aujourd’hui, amicales ou familiales,
portent souvent un, deux ou trois siècles sur leurs solives. Nobles ou modestes,
elles ont vu passer le laboureur picard, les chasses aristocratiques, le
vigneron sancerrois ou le fier Vendéen. Elles ont couvé des joies et des
peines. Elles sont pleinement ce patrimoine intime qui ne s’efface pas tout à
fait avec le temps, tant que durent les souvenirs.
Ce que deviennent les jours
Ce que deviennent les jours
Dans le pressoir du temps
Inexorable
Est-il seulement affaire de mémoire
La battue des heures
Écrase des mottes
Quand on a soufflé la fleur de pissenlit
Il est déjà trop tard
Le passé a les genoux écorchés
On ferait volontiers de petits paquets
D’ecchymoses de larmes de cœur gros
De joies bégnines
De déchirures ou d’amertumes
À caler entre les menus bonheurs
L’odeur des draps propres
Le ronron du vieux frigo
Dans nos anciens matins chocolat chaud
La poussière des craies
Nos soucis d’écoliers
Le tout bien plié
Expédié
Retour à l’envoyeur
Motif
N’habite plus à l’adresse indiquée.
Nathalie BONIFACE-MERCIER, Origami, Editions Unicité (2025)
Les
derniers jours des vacances sont déjà loin et si près à la fois. L’ultime
échappée belle s’est nourrie d’images, mais pas de celles qu’on épingle sur les
réseaux sociaux. Parce que l’intime ne s’affiche pas. Parce qu’il y a des
moments précieux, ténus ou volatiles que l’appareil photo ou le téléphone
portable ne capte pas. Mon album des derniers jours d’été loin de chez moi est
fait de musique : quelque part dans une petite église en Vendée, les voix
magnifiques d’un chœur amateur chantant le Veni Creator, quelque part en
Charente, dans le salon d’une maison de famille, une envolée majestueuse au
piano d’un morceau de Keith Jarrett. Tournons les pages de mon album. Les
couleurs déclinées au soleil levant, au cœur du jour ou au couchant : la
prairie et les moutons devant les volets tout juste ouverts, le blanc irradiant
de la robe de la mariée, le millefiori des têtes chapeautées, les
teintes d’ocre du clocher du village. Il s’échappe des parfums de mon
album : celle du foin accablé de chaleur, celle des chemins de terre au
petit matin qui innervent la campagne charentaise. Il s’échappe des saveurs :
douceurs du cocktail, tomates délicieuses et pêches du jardin, vin grenat
savoureux. Mais je garde pour moi et les personnes aimées avec qui j’ai partagé
tous ces moments l’essentiel, ce que la photographie ne capte pas, les mots
glissés, murmurés, déclamés, chahutés par les rires ou l’émotion. Les mots qui
disent de longues histoires, les mots des jeunes, les mots d’une vieille dame
née dans cette lointaine et ancienne Indochine, les mots des prières à Notre
Seigneur, les mots où l’on se confie, les mots des voix de ceux et celles avec
qui j’ai vieilli, de près ou de loin, les mots des voix nouvelles et inconnues
avec qui j’ai partagé un fragment de vie, une coupe à la main.
Un
album bien garni, bien épais dans mes souvenirs et encore tout plein de pages
vierges qui se rempliront au fil des ans.
Avec le mois d’août
revient la date anniversaire de ce blog.
Quatre ans ! Quatre ans d’écriture plus ou moins féconde, plus ou moins régulière et 145 chroniques publiées depuis que la datcha a ouvert ses portes.
Un rythme au ralenti cette année, semble-t-il. La faute à d’autres travaux d’écriture
en cours ? Ou à celle de manquer d’inspiration parfois ? Comment trouver
le sujet pertinent sans tomber dans le journal intime ni avoir la plume acerbe
quand la bêtise du monde exacerbe la souffrance ? Rédiger des articles, qu’ils
soient en phase avec l’actualité ou achroniques, légers ou sérieux, requiert
une discipline. Cela a quelque chose du rendez-vous. J’ai sans doute un peu
perdu en constance et, partant, en fidélité. Mon lectorat, pourtant, ne m’a pas
lâchée et je m’en réjouis. En quatre ans d’existence, ce blog a franchi la barre
des 10 000 visites. Un chiffre dérisoire au regard des milliers ou
millions de followers de sites sur les réseaux sociaux, c’est vrai. Mais je l’assume.
Dans un monde où tout et n’importe quoi se chiffre, quelle est encore la valeur
d’un nombre ? Seul compte à mes yeux le plaisir de mes visiteurs à pousser
le portillon de ma modeste datcha. Merci à vous. Seules comptent à mes yeux la
rigueur et la sincérité de mon écriture. Pour vous. Pour moi.