mercredi 25 septembre 2024

Liban, mon bien aimé

 

                                             Maison d'hôtes Al Fanar à Tyr

                                  

J’ai le cœur déchiré par la nouvelle tragédie qu’est en train de vivre le Liban depuis quelques jours. Et je peine à trouver les mots pour exprimer mon empathie pour un pays que j’aime et que je connais, pour ces hommes et ces femmes, quelle que soit leur religion, que j’ai côtoyés de près, chez qui j’ai vécu le temps d’une nuit ou que j’ai brièvement croisés. Pourquoi le Liban ? Il y a des pays qu’on aime soudain, par fulgurance. Et il y a les pays qui, lentement, parfois même à notre insu, s’imprègnent en nous. L’histoire d’une goutte d’eau calcaire puis d’une autre qui forment un jour une stalagmite. Le Liban s’est moulé en moi sur mes années d’enfance, d’adolescence sans que j’en ai conscience. C’est avec ces mots que je commençai mon carnet de voyage de retour du Liban en février 2006. J’étais allée là-bas parce que j’écrivais alors mon roman Le Silence de Galatée.[1]

Aujourd’hui, je ne trouve pas les mots pour dire mon désarroi et mon inquiétude. Des images se bousculent en moi. Je revois le petit port de Tyr et ses barques de pêcheurs ; j’avais dormi dans une maison près du phare – Al-Fanar – construite sur les fondations d’une bâtisse de l’époque des Croisés. Le salon embaumait la fleur d’oranger que distillait notre hôte sur la terrasse. À la télévision, on suivait en direct, depuis Beyrouth, la commémoration du premier anniversaire de la mort de Rafic Hariri[2]. Je me souviens d’une man’ouché qui fleurait bon le zaatar[3], dégustée tout juste sortie du four à bois du boulanger, devant le port. Cinq mois plus tard, le port était bombardé par les Israéliens lors du conflit que les Libanais ont appelé « la guerre des trente-trois jours ». Je me souviens d’une amie, que la guerre des années quatre-vingt avait grièvement brûlé au visage, qui m’annonçait, au téléphone, le décès d’un cousin dans ce nouvel épisode tragique. Je voyage en pensée vers le nord-est du pays et l’image qui vient à moi est celle de la plaine de la Bekaa, que je connus l’hiver, enneigée, ainsi parée d’une énigmatique majesté, spectre immaculé, un linceul qui semblait encore accuser les bombardements israéliens de 1982. Je me revois partageant le thé devant un antique poêle à bois avec des hommes au visage tanné et ridé, taiseux entre deux tentatives vaines de me vendre de la bimbeloterie figurant les temples de Baalbeck. Il y avait là une quiétude autour de la chaleur du poêle et de ce tea time insolite que je savourais après avoir arpenté, dans la froidure, le site antique strié de flocons de neige. J’ai aimé Baalbeck et sa parenthèse hors du temps, sa rudesse et, paradoxalement, son empreinte culturelle avec le souvenir de Jean Cocteau et d’une cohorte d’artistes, de musiciens qui firent de la petite cité, à partir des années 1950, un pôle artistique international avec son festival. Baalbeck, la chiite, berceau du Hezbollah en 1982, est aujourd’hui dans le collimateur de Tsahal.

 Le sifflement des roquettes dans le ciel. Un éternel recommencement. Mes propos se gardent bien de prendre parti ; je n’écris que pour dire ma peine et ma colère. Tous ces hommes, quels qu’ils soient, qui s’écharpent. L’Homme est un vautour qui mange ses propres entrailles en s’en prenant à ses semblables. Dans mes souvenirs, reviennent aussi ces étranges ballets citadins de voitures affublées de haut-parleurs et du drapeau de la milice qui sillonnaient les rues du sud de Beyrouth et psalmodiaient à longueur de journée le nom des martyrs. Aujourd’hui les martyrs sont aussi d’innocentes victimes, des femmes, des enfants. Le Hezbollah servit longtemps de paratonnerre contre Israël mais fut tout autant la mèche allumée de l’amadou. Et ce qui était à craindre depuis un an arrive. Le Liban, par la complexité de son histoire, n’est pas blanc comme le labneh[4], mais il est vrai aussi qu’il est fragile car véritable plaque tectonique de cette partie du monde en perpétuelle ébullition.

 

                          Port de Tyr    Source: internet



[1] Le Silence de Galatée, Editions Myriapode (Janvier 2012) Epuisé.

[2] Homme d’affaires et ancien président du Conseil des ministres au Liban, assassiné le 14 février 2005.

[3] Man’ouché : Galette de blé, ici recouverte de zaatar, mélange d’herbes aromatiques et sésame.

[4] Lait fermenté, plat de base dans la cuisine libanaise.


samedi 7 septembre 2024

Inconnue du grand public

 



Hier midi, alors que je quittais le collège, une de mes nouvelles élèves de 3ème court jusqu’à la barrière et me demande, un peu intimidée : « C’est vrai, Madame, que vous avez écrit des livres ? » Je ne suis qu’à moitié surprise et réponds en riant : « Les informations circulent vite ! Qui te l’a dit ? » Et elle, enchantée de m’informer qu’elle le tient de Madame D., son orthophoniste, ajoute, une pointe d’admiration dans la voix : « Alors vous êtes professeur de français et écrivain ! » J’opine de la tête. « Oui, tu vois, c’est un peu comme si j’avais deux métiers ». Et je quitte cette demoiselle, ravie de détenir un scoop sur son enseignante.

Deux métiers ? Il serait prétentieux de parler de profession d’écrivain en ce qui me concerne. Mais j’ai simplifié pour l’adolescente. Que pourrait-elle, à son âge, appréhender de ces nuances ? En montant dans ma voiture, mes pensées focalisent surtout sur ladite Madame D. Une mère d’élève ? La lectrice d’un de mes livres ? Comment les a-t-elle découverts ? Par le bouche-à-oreille ? Un article dans la presse locale ?

         Avec, à ce jour, environ 800 exemplaires vendus de Destins tragiques de princesses[1], je joue toujours dans la cour des petits et reste une inconnue du grand public. C’est un constat lucide. Que les lecteurs de passage à la Datcha voient derrière les mots du dépit, de la résignation ou de l’indifférence, peu importe. Je ne suis quasiment pas « likée » sur les réseaux sociaux. Le profil de mon lectorat n'a pas le virus du petit cœur ou de l’étoile et je ne lui en tiens pas rigueur. Alors quand une Madame D. glisse trois mots sur ma personne, c’est toujours plaisant, je ne le nie pas. Quand une étudiante passionnée de lecture fait la promotion des Princesses sur son compte Instagram et que je découvre son charmant commentaire, je suis ravie. Quand le libraire d’une ville qui n’est pas la mienne me dit avoir vendu une douzaine d’exemplaires en quelques semaines, j’exulte. Un livre édité mène son bonhomme de chemin souvent à l’insu de son auteur, même si une cohorte de « like » sur Facebook et compagnie peut être un indicateur.  Il y a fondamentalement une différence entre un écrivain et un artiste peintre ou sculpteur. Ce dernier cède à l’acheteur un exemplaire unique, il se dépossède de son œuvre. (Je n’aurai jamais pu être une artiste ; je suis trop conservatrice !) Parfois, il connaît l’acheteur ; quasiment toujours, l’intermédiaire et le lieu de la transaction. Pour l’écrivain, la vente de ses livres garde en partie une part de mystère. Où les lecteurs se sont-ils procuré l’ouvrage ? Fruit du hasard, d’une couverture qui leur a fait de l’œil sur l’étal d’un libraire ou recommandation d’un tiers ? Lecture d’un article élogieux dans la presse régionale ou nationale ? À la radio. J’avais eu cette belle promotion pour les Princesses. Je garde une immense gratitude envers le journaliste Thomas de Bergeyck qui m’avait invitée à son émission Place Royale sur RTL Belgique à l’automne 2021. Lecteurs de l’ombre, vous avez toute ma reconnaissance. Et vous mésestimez souvent la solitude de l’auteur ou ses efforts individuels pour assurer, en sus des médias – quand ils ont le mérite de le chroniquer, ce qui est déjà un luxe ! – la visibilité de son livre. Bien sûr, d’aucuns ont davantage de talent ou de bagout pour se mettre en avant. On touche là un autre point que je ne développerai pas dans ces lignes. Il y a des semaisons personnelles discrètes ; d’autres tonitruantes ou intrusives. Mais le travail d’éditeurs impliqués fait aussi beaucoup. Petit clin d’œil en cette page à mon éditeur La Chouette Imprévue qui fait le job avec passion et intelligence pour que les amateurs de poésie accueillent mon Engrangeoir[2].  

        

 

 



[1] Nathalie BONIFACE-MERCIER, Destins tragiques de princesses, Editions Jourdan (2021)

[2] Nathalie BONIFACE-MERCIER, L’Engrangeoir, Editions La Chouette Imprévue (2021)


dimanche 1 septembre 2024

La cloche a sonné

 

                                              Exposition "Les doigts pleins d'encre", La Chaise-Dieu, été 2024*

                                              

Pas d’école sans goûter. Puisque la cloche de la rentrée des classes a sonné, n’oublions pas de glisser une friandise dans le cartable. Ah comme l’attente de la récré est longue ! Le cours n’en finit pas !  (* Toute ressemblance avec un élève inattentif est à chercher dans la classe du maître Robert Doisneau)

« Lorsqu’on demande autour de soi ce qui vient à l’esprit en entendant le mot « goûter », l’interpellé dit d’abord : « Quatre heures. La récréation de quatre heures. » Même ces enfants qu’il fallait tour à tour supplier et menacer pour les faire manger sourient. Aussi bien était-ce le seul repas où ils avaient appétit. […] Quant à moi, j’emportais mon quatre-heures dans un sac de papier brun décoré d’une coupe de fruits dont les rouges et les jaunes d’être imprimés sur un fond bistre prenaient une teinte de de fleurs séchées. D’habitude il s’agissait de pain et d’une bille de chocolat. Dans ces cas-là, je n’y touchais pas avant l’heure. Mais quand le pain était accompagné d’une bouchée, d’un « rocher », la gourmandise me la faisait grignoter, miette par miette, sur le chemin de l’école. Il me restait le pain sec pour la récréation. […] Les jeux de quatre heures en étaient plus doux, on s’y disputait moins, les discussions sur les règles étaient moins âpres. Comment ce que l’on achevait de mâcher en allant à cloche-pied de la Terre au Ciel n’aurait-il pas eu un goût unique ? Comment le dessin d’une marelle ne remplirait-il pas la bouche d’un chocolat sans égal ? »[1]




[1] Marie ROUANET, Mémoires du goût, Albin-Michel (2004)


samedi 24 août 2024

Troisième anniversaire

 



La datcha célèbre son troisième anniversaire. Cette année, la porte d’entrée s’est ouverte environ 3500 fois, à raison de quelque 600 visites certains mois. Amis ou hôtes occasionnels, vous êtes de plus en plus nombreux ou de plus en plus réguliers à venir vous ressourcer à la datcha. Elle est une maison sans clef, toujours ouverte. À toute heure, vous pouvez y trouver, sur la table, un bol fumant comme dans la maison du conte Boucle d’Or et les trois ours. Picorez. Dégustez.  Et n’hésitez pas à convier vos proches.


dimanche 28 juillet 2024

Sur la route des vacances

 


La datcha ferme ses volets pour l’été.





Valses d’étés d’ici et d’ailleurs. Villages de vacances traversés dans le ronronnement d’une Dyane. Pompes à essence ventrues en bord de route, platanes aux bras larges, carotte du bar-tabac. Des vœux pour les deux-chevaux vertes, des sourires aux grands-mères en charentaises assises sur un banc et qu’on ne connaît pas. Ne pas courir après les lézards dans le potager des religieuses. Ne pas tomber dans les abreuvoirs. Les planchers craquent dans les couloirs des hôtels.

Nathalie Boniface-Mercier, L’Engrangeoir, Editions La Chouette Imprévue (2021)

 


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