[…]
Chez Thérèse, on arrive comme on viendrait embrasser une grand-mère ou une
grand-tante.
–
Entre. Je n’ai pas le temps de m’occuper de toi. Je suis avec Martin. (Dans le
hall sombre d’une vieille maison, j’écarquille les yeux pour mettre un visage
sur la voix déjà connue et sur une massive silhouette vêtue d’une longue
tunique orange.) Voilà ta chambre, la salle de bain. Va à la cuisine. Prends ce
que tu veux sur la table ou dans le frigo.
Pas le temps de dire ouf. Ma prêtresse en toge
safranée a disparu. Les étagères du couloir ploient de mille et unes choses
abandonnées par une maîtresse de maison plus soucieuse d’accueillir et choyer
des pèlerins que de confiner sa solitude de retraitée dans le rangement
d’objets inertes, sarcophages du désœuvrement. Chez Thérèse, les papiers
bruissent sur le buffet de cuisine, aux murs, les cadres, crucifix, posters,
dessins et drapeaux nous font un clin d’œil. La maison est vouée à l’accueil,
en témoignent les lits de camp alignés dans une pièce qui fut autrefois une
salle à manger. Si besoin, ils seront dépliés pour un pèlerin tardif. Nul
esprit mercantile ici. Simplement la maison du Bon Dieu. Sur la table de
cuisine, je n’ai que l’embarras du choix : cinq ou six sortes de sirops,
de l’antésite à la réglisse ou à la menthe, des fruits secs, des fruits frais,
des biscuits, des bonbons. Au matin, les auront rejoints yaourts, sachets de
thé, confitures, miel, œufs durs.
Ma chambre jaune aux tables de chevet vert
d’eau est une chambrée de nanas. Hélène, la Québécoise, Bénédicte et Claire,
les deux amies instits. Mise en ordre des sacs, échange de potins, rédaction du
carnet de route. Le bonheur s’est assis sur nos lits. On l’emmène dans la
cuisine au dîner. Thérèse lève un toast et chante :
Tous
les matins, nous prenons le chemin.
Tous
les matins, nous allons plus loin.
Jour
après jour, la route nous appelle.
C’est
la voie de Compostelle.
Ultreïa !
Et suseïa ! Deos adjuva nos !
On
reprend en chœur. Les filles de la chambre jaune et moi, Adrienne et
Christiane, deux amies et le couple de Mulhouse. Et trinquent nos verres !
Et dansent nos fourchettes tandis que tournent les plats : olives
onctueuses, gousses d’ail marinées et fondantes, rillettes, salade de crudités,
larges tranches de mozzarella, risotto … non, vraiment, sans façon, Thérèse, on
n’a plus faim pour la viande. Le plateau de fromage est riche mais la
Québécoise, rassasiée, le boude poliment. Thérèse la rabroue :
–
Ferme ton caquet, ma chérie, et goûte le bon fromage de France !
Le vin est gouleyant. Nos mines sont gorgées
de joie de vivre. Thérèse, entre deux verres, nous glisse que son médecin lui
reproche de trop participer aux agapes quotidiennes avec ses pèlerins. Agapes
qui ce soir s’achèvent sur des morceaux de melon trempés dans du floc, boisson
alcoolisée traditionnelle de l’Armagnac.
Nathalie BONIFACE-MERCIER Le Chemin des Veilleurs, Editions Unicité 2017 (pages 121 à 122; été 2009)